Qui a dit que le dimanche soir était forcément une soirée calme ? En proposant une double affiche rassemblant l’incontournable VITALIC et l’homme-orchestre électronisé MEZERG, le FESTIVAL DES LIBERTES a frappé très fort. Inutile de préciser que tous les sièges et gradins amovibles de la salle ont été soigneusement rangés pour laisser un parterre libre à disposition des clubbeurs qui se sont déplacés massivement du côté du Théâtre National à Bruxelles. Il faut dire que les deux artistes programmés ce soir sont précédés par des réputations lives qui font l’unanimité.

C’est tout d’abord Mezerg qui prend possession de la scène avec son piano boum-boum. Son électro-jazzy sonnant comme un orgue rétro ne trompe personne car c’est rapidement que le parterre se met à danser alors qu’il enchaîne les montagnes russes sonores. Il agrémente tout ça de son thérémine au sonorités forcément dingues et expérimentales. Cet instrument offre d’ailleurs l’opportunité au gaillard d’enchaîner les postures quasi mystiques et conquérantes tout en balançant des gros beats assassins avec ses grosses pompes qui frappent les pédales situées au sol sous ses synthés. Il s’en suit une longue tornade de stroboscopes pour un set qui prend des airs de rave party sauvage où le son tape bien dur et sèchement, tout en gardant une petite touche disco grâce à ces synthés et leurs sonorités rétros et festives. Après un passage plus posé, presque lounge, Mezerg relance sa machine à faire, danser accompagné d’un lightshow multicolore. La fin de set arrive et va tout défoncer sur son passage avec le thérémine qui est utilisé bien au-delà de ce que la notice technique prévoit pour en extirper des ondes quasi industrielles, aux relents d’hard-tech et de tout ce que la scène électro propose de plus nerveux et sauvage. Une heure est passée et Mezerg à mis tout me monde d’accord.

Dans la salle, on retrouve une majorité de trentenaires dont la fin de l’adolescence fut bercée par le premier album de Vitalic, “Ok Cowboy” sorti en 2005. Cela fait en effet plus de vingt ans maintenant que le Dijonnais fait danser les clubs, les salles et les festivals du monde entier avec son électro aux sonorités aussi novatrices qu’inspirées par la disco de Giorgio Moroder et son thème du film « Midnight Express ». Vitalic évolue quelque part entre rétrofuturisme et ambiances berlinoises enfumées. Et c’est logiquement avec son titre « Cosmic Renegade », issu de son dernier album en date, « Dissidaence », que le producteur entame son set alors que beaucoup sont encore en train de finir leur bière en dehors de la salle. On comprend très rapidement que l’heure et demi qui arrive risque d’être une grosse machine de guerre sonore mais aussi visuelle. Avec une unique table de mixage au centre de la scène, il y a du volume et de la surface pour permettre de déployer un gros lightshow bien généreux et survolté. Le son frappe fort, le son frappe dur, et surtout le son frappe avec précision et robustesse. On en prend plein les tympans et les tripes. Pareil pour les jeux de lumières qui ne laissent aucun répit à nos rétines, tout en ayant un effet quasi-hypnotique et euphorisant. Vitalic se met au service de la musique et de ce dispositif lumineux, tout en gardant les commandes de ce voyage cosmique agité.

Tout au long du set, il alterne entre passages plus bruts (« Cabrbonized ») et ses titres les plus connus, aux airs d’hymnes nocturnes presque pop (« Poison Lips », « Waiting For The Stars ») ou explosifs (« Second Lives », « Stamina », « Rave Against The System », « La Rock 01 », « My Friend Dario »). On voit même quelques spectateurs grimpés sur scène durant ce dernier titre qui retourne le Théâtre National. Vitalic le sait, et en profite pour tirer le morceau en longueur et permettre, encore et encore, aux spectateurs de pouvoir lâcher les chevaux. Le son continue à tabasser et les instants de répit sont peu nombreux, même sur « Power in my hands », son récent duo enregistré avec la voix de la chanteuse Silly Boy Blue. On regrette cependant que quelques titres soient expédiés trop rapidement et que quelques transitions soient un peu brutales entre les titres. Malgré tout, l’énergie qui se dégage de la scène est hallucinante et nous fait rapidement oublier cela. Le titre « Boomer OK » et son BPM éreintant nous poussent en surrégime et nous font immanquablement penser à l’épileptique « Positif » de Mr Oizo.

La fin du set approche, et Vitalic envoie valser la grosse basse sursaturée et ronflante de son titre « Poney Pt.1 », issu de son premier album. Ce titre incarne à lui seul tout ce que la musique de Vitalic dégage : une mélodie identifiable et entêtante comme dans un titre pop qui se transforme en une sombre et nerveuse ritournelle électronique à faire danser les monstres nocturnes. Le dernier quart-heure prend un virage sans concession où Vitalic nous emmène dans les contrées les plus reculées de la musique électroniques, là où seuls les plus courageux osent s’aventurer, là où l’obscurité gouverne et où le son du métal rencontre celui du bêton avec violence, à un rythme presque suffocant. Les danseurs sont aux anges, nos oreilles en prennent pour leur grade. Vitalic nous a joyeusement malmené durant nonantes minutes, sans que nous n’ayons jamais eu la sensation que cela était excessif. Oui le set de ce dimanche soir a pris des airs de rouleaux compresseurs, mais à la manœuvre on retrouvait un vieux briscard qui savait exactement ce qu’il faisait. A plus de 45 ans, Vitalic ne semble pas vouloir lever le pied, bien au contraire : malgré les années qui passent, chacune de ses prestations nous semblant être à chaque fois encore plus robuste que la précédente.

“Rave Against The System”, titre issu du dernier album de Vitalic, résonne comme un slogan de résistance. Il trouve clairement sa place dans le cadre du Festival Des Libertés qui questionne et remet en perspective notre société et ses enjeux actuels par l’intermédiaire de débats, de documentaires, de films, de théâtre et de concerts. La musique électronique (on ne vous parle pas ici de la programmation de la grande scène de Tomorrowland), comme beaucoup d’autres, incarne pleinement cette remise en question qui bouscule les conventions, les certitudes et certaines idées reçues pour faire bouger les lignes. Les années nonantes ont vu l’émergence des raves sauvages qui, par définition, s’inscrivaient hors du cadre légal en place à cette époque. Les autorités de différents pays européens avaient alors bien tenté d’encadrer le phénomène et de le contrôler, voire de l’étouffer via une répression parfois brutale, sans jamais y parvenir. La seule conséquence a été de permettre à ce mouvement jusque-là disparate et presque bon-enfant de pouvoir, petit à petit, se structurer, s’organiser te de devenir plus safe malgré quelques dérives plus radicales et offensives. Après une période de cohabitation plus ou moins tolérante, la France a récemment (depuis le COVID) pris un nouveau virage plus autoritaire dans son rapport aux musiques électroniques. On a ainsi assisté à des charges de CRS lors de raves parties, aboutissant quasi-systématiquement à la destruction du matériel technique en place, sans autre forme de procès.

Est-ce que d’autres mouvements culturels et musicaux non-déclarés, indépendamment des nuisances engendrées, subissent un traitement identique de la part des autorités ? Les décennies passent mais la musique électronique reste un mouvement artistique et culturel empreint d’une très forte connotation contestataire d’un système, de ses valeurs et des incontournables restrictions (nécessaires et/ou disproportionnées) qui y sont liées. La musique électronique y répond avec ses armes dénuées de toute intention haineuse ou violente : des beats, des sons inconnus jusque-là et une increvable ferveur exclusivement générée par les substances sonores qui déchirent l’air en s’expulsant des enceintes.

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