Nous voici repartis pour un second round sur la plaine (ou la baie, vu le niveau d’humidité) du Festival de Ronquières et de son plan incliné. Comme la veille, il n’est pas question d’arriver trop tard sur le site car les concerts et les jolis noms vont s’enchainer. Dans le désordre, on va retrouver une affiche qui pourrait rendre jaloux certains festivals avec notamment PLACEBO comme tête d’affiche, JULIETTE ARMANET, WHISPERING SONS, JAIN, PIERRE DE MAERE ou l’incandescente ZAHO DE SAGAZAN.

C’est d’ailleurs avec cette dernière que nous entamons notre humide et boueux marathon musical du jour sur la scène de la Colline. Un premier album sorti au printemps, joliment intitulé “La symphonie des éclaires”, et voilà la demoiselle propulsée sous le feu des projecteurs, bénéficiant aussi bien de l’adhésion du public que des médias. ZAHO DE SAGAZAN constitue une curiosité aussi pop qu’alternative et électronisée à l’heure où le calibrage et l’uniformisation des compositions semblent régner en maîtres. Les festivaliers sont arrivés très tôt sur le site, et ils ne s’y sont pas trompés. Accompagnés de deux machinistes/percussionnistes, Zaho De Sagazan occupe une scène très épurée qui lui permet de développer à merveille son jeu de scène fait de gestuelles explicites. Elle interprète chacun de ses titres avec la conviction de ceux qui n’ont que cette option comme issue pour rester en vie. Son interprétation sous très haute tension du titre “Tristesse” nous fout des frissons. Et c’est tout logiquement qu’elle ponctue un de ses titres de la citation suivante : être sensible c’est être vivant et nous ne sommes jamais trop vivant. A revoir absolument en salle dès que possible. Premier concert du jour, première claque.

Nous faisons ensuite un crochet par la scène Tribord pour le concert de KAKI : il attire une foule jeune et nombreuse qui reste et chante ses titres malgré la pluie qui a généreusement fait son apparition. Musicalement KAKI se trouve quelque part du côté d’un Lomepal, plus pop et moins rap, jusque dans ses postures scéniques. C”était une découverte pour nous et ce fut une jolie surprise.

Retour sur la scène de la Colline où PIERRE DE MAERE débarque avec sa dégaine et ses attitudes de dandy rockstar et glamour, ainsi qu’avec son timbre de voix inimitable et des textes subtils, poétiques et efficaces. Le garçon est survolté, arpentant sans cesse la scène d’un bout à l’autre. Chaque titre résonne comme un hit repris par le public qui n’hésite pas à sauter en rythme malgré le peu d’adhérence qu’offre le terrain. Pierre de Maere est chez lui et semble porter par l’enthousiasme de la foule qui vire au délire collectif sur “Les animaux”. Pierre de Maere est définitivement en très grande forme : il chante, il hurle, il danse, il court et saute en même temps. Avec cette prestation fougueuse et survoltée, il rappelle à ses détracteurs que son personnage regorge de facette lui permettant, tout comme Zaho de Sagazan, de redéfinir les codes de la pop sans pour autant tout balancer à la poubelle.

Nous prenons ensuite un virage plus électrique pour le set des Limbourgeois de WHISPERING SONS sur la scène Tribord. Emmenés par leur chanteuse à la voix rauque et au look androgyne, ils envoient avec fougue leurs titres aux influences post-punk et new wave. C’est robuste et massif et ça déroule sous une pluie battante finalement tout à fait adaptée à leur musique aux relents sombres et acérés. On apprécie l’ambiance pré-apocalyptique de l’ensemble.


Changement total de cap pour la suite de la journée avec JAIN qui, après un passage à Lasemo en juillet, vient présenter son troisième album, “The fool”, aux sonorités ouvertement seventies et folk, avec une touche cosmique agréablement perchée. Sur scène, Jain apparait plus solaire que jamais dans sa tenue aux couleurs explosives. On voit même apparaitre un léger rayon de soleil sur la plaine de Ronquières, il est furtif et il sera surtout le seul de la journée, un persistant crachin venant rapidement l’éclipser. Elle est accompagnée de ses quatre musiciens qui évoluent sur leur podium rétro-fantaisiste. Pour le coup, on regrette l’époque où elle menait sa barque toute seule sur scène, selon le principe du do it yourself.

Sa pop aux couleurs du monde ravit un très nombreux public où nous apercevons notamment beaucoup de familles. Après une entrée en scène très rythmée sur “Heads Up”, le single “The fool” passe très bien l’épreuve du live, tout comme tous ses autres titres qui font danser la foule. La deuxième partie du set prend encore plus de relief avec “Come” où Jain s’en va enregistrer les voix du public pour les intégrer en direct au morceau, Jain réussit à faire danser et sauter la foule jusqu’à la cime de la colline (ce qu’Indochine n’a pas réussi à faire la veille) sur le très disco “Save the world” ainsi qu’avec l’incontournable “Makeba”. En fin de set, Jain revient seule avec sa guitare pour entamer la douce ballade “Marilla”. Ses musiciens la rejoignent ensuite pour un long final instrumental aux couleurs rock qui nous propulse dans une galaxie spatiale colorée. La pluie tombe toujours mais Jain a réussi à le faire oublier aux festivaliers.

Après un passage par les food-trucks pour nous ravitailler et nous réchauffer, on reste du coté de la Colline pour le concert de JULIETTE ARMANET, deux petites semaines après son passage aux Francofolies de Spa. Le set met du temps à démarrer, notamment lorsqu’elle est assise derrière son piano et qu’elle nous donne plus l’impression de proposer une version moderne de Véronique Sanson. Mais la physionomie change ensuite pour basculer dans quelque chose de sauvage et volcanique, au même moment où le ciel décide d’ouvrir les vannes sans retenue, déversant des trombes d’eau. Juliette Armanet répond à cette provocation en se précipitant sur le devant de la scène exposé aux intempéries, mais aussi directement dans le public, les pieds dans une bonne épaisseur de boue. La notion de bain de foule n’a jamais été aussi à propos qu’à cet instant.

Durant tout le set, la pluie va rester intensément constante. Il faut saluer le courage du public qui a tenu bon malgré les conditions très compliquées du concert. Mais rien ne semble pouvoir arrêter Juliette Armanet qui continue à défier la pluie, même dans sa tenue à paillettes, rappelant les grandes heures de Donna Summer. On assiste, un peu partout, à des scènes que seuls les concerts se déroulant dans des conditions extrêmes peuvent offrir : des centaines de festivaliers dansent avec euphorie dans d’énormes flaques et coulées de boues sur “Le dernier Jour du Disco”, comme un majeur levé bien haut en direction du ciel qui vient de transformer la plaine en véritable piscine de boue. Le concert de guerrière que vient de livrer Juliette Armanet restera dans les mémoires de nombreux festivaliers.

Tête d’affiche du jour, et malgré les longues heures de pluie qui se sont abattues durant toute la journée, PLACEBO est attendu de pied ferme par les festivaliers qui ont eu le courage de rester. En ce qui nous concerne, depuis le passage du groupe à Forest National en 2003 (oui ça ne date pas d’hier), nous sommes toujours restés sur notre faim à propos des prestations du groupe emmené par son charismatique leader Brian Molko. C’est donc sans attente particulière mais avec curiosité que nous nous plongeons dans ce dernier concert. Et nous n’avons pas été déçu : Placebo a livré un concert de grande qualité ce soir à Ronquières. “Special K”, “Every you, every me” ou “Pure morning” ne sont, certes, pas sur la setlist mais le groupe (Brian Molko et Stefan Olsdal étant accompagnés de 4 musiciens additionnels, dont un violoniste) compense amplement ces choix par une prestation élégante, énergique et moderne, avec un son frôlant la perfection, à des années lumières du concert d’Indochine la veille sur la même scène. Le concert a également bénéficié d’une production visuelle et d’un lightshow en cohérence avec l’identité visuelle du groupe : images volontairement brouillées sur les écrans géants, différents autres écrans en fond de scène où se dessinent des formes et des silhouettes énigmatiques.

Après avoir d’abord joué pas mal de titres issus du dernier album en date, le groupe a proposé quelques jolies vieilleries du siècle passé avec “Bionic” et “Slave To the Wage”. Placebo continue sa carrière, sans trahir son ADN artistique mais en étant un peu moins sous le feu des projecteurs que par le passé. Cette situation est d’ailleurs regrettable au regard du concert de ce soir.

Brian Molko, comme à son habitude, ne s’est pas montré très bavard, malgré l’une ou l’autre petite interaction en français. Par contre un petit mot pour les festivaliers ayant bravé les éléments n’aura pas été trop de luxe. Enfin soit, on connait le personnage et on ne l’avait plus vu jouer avec autant de conviction depuis longtemps. C’est bien là l’essentiel en définitive.

La deuxième partie du set, voit apparaitre des titres plus anciens, comme le très beau “Too many friends” mais aussi des versions très électriques de “Song to
say goodbye”, “The Bitter end” et du pourtant très électro “Infra-red”. En rappel, le groupe revient pour une reprise puissante de “Shout” des Tears For Fears où Stefan Olsdal mène le chant avant d’achever le set avec la traditionnelle reprise aérienne de “Running Up That Hill” de Kate Bush. Placebo n’a pas attendu Stranger Things pour jouer ce titre sur scène, puisqu’il clôture régulièrement les concerts du groupe depuis le milieu des années 2000. Mais la version jouée ce soir est, comme pour tout le reste du set, plus électrique par le passé et s’achevant dans une tempête de flashs lumineux et de larsens électroniques. Nous voici réconciliés avec les prestations live de Placebo, mais pas du tout avec la météo exécrable qui aura mis à rude épreuve l’endurance des festivaliers mais aussi de toutes les équipes techniques et des bénévoles.


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