Si il fallait écrire un proverbe pour définir AMENRA, il pourrait être le suivant : des ténèbres et des tourments émergeront le sublime et la puissance. Cela fait plus de 20 ans que les Courtraisiens construisent album après album une musique et un univers à part entière où les émotions les plus sombres sont abordées avec une sincérité brute et sans filtre avec un petit quelque chose qui touche à l’universalité de l’humain. En plus de l’Europe, où le groupe enchaine les dates et les festivals prestigieux, Amenra a aussi séduit le continent américain et y multiplie les tournées. Concernant la Belgique, Amenra fait mentir le proverbe “nul n’est prophète en son pays”, chaque concert affichant systématiquement complet et étant suivi par une impressionnante masse de fidèles. Ce vendredi soir à l’AB, Amenra doublait la mise puisque le premier concert programmé la veille affichait lui aussi complet. Les deux concert prévus en mars 2025 le sont également, les tickets s’étant tous vendus en deux jours.

Et ils sont déjà très nombreux à patienter sur le Boulevard Anspach en attendant l’ouverture des portes à 19h. Le stand merchandising est directement pris d’assaut pour se procurer vinyles et autres t-shirts à l’effigie du groupe. La grande communauté du métal vit comme toujours sa passion avec conviction et quelque chose qui se rapproche de la dévotion. Tous les éléments sont donc bien réunis pour que le concert de ce soir se transforme en sombre et puissante célébration. Une prestation d’Amenra va en effet au delà d’une “simple” performance scénique à la force de frappe démesurée mais hautement maîtrisée. Nous sommes plus proche de l’expérience multisensorielle qui pénètre l’âme, y compris celles des tempéraments les plus robustes. Derrière le mur sonore et les paysages post-apocalyptiques et déchus l’accompagnant, l’univers d’Amenra touche en effet à quelque chose de très sensible qui nous rapproche du concept de recueillement. Rage et fragilité semblent s’y affronter constamment en flirtant avec un hypothétique mais perceptible point de rupture, tel un combat permanent et éternel.

Même si cela peut étonner, entendre la voix fantomatique d’Agnès Obel résonner dans la grande salle de l’AB avant que le concert ne commence trouve finalement assez bien sa place au cœur de cette soirée. Il est alors 20h45, soit un quart d’heure avant le début du concert, et l’intensité de la lumière diminue fortement. Un bruit d’eau s’écoulant en goutte à goutte se fait alors entendre dans ce qui pourrait être un espace sombre et froid. L’ambiance se fait légèrement inquiétante avec une ligne de basse continue qui gagne petit à petit en intensité avant qu’une voix masculine ne vienne aussi à s’extirper de manière lugubre et messianique des enceintes de la salle. L’AB est ensuite plongée dans l’obscurité totale pendant que la scène se noie dans les fumigènes.

Un silence absolu gagne petit à petit la salle. Une intense lumière blanche émerge alors du fond de la scène, laissant apparaitre la silhouette de Colin H. van Eeckhout, porte-voix du groupe. Il est à genoux, dos au public et cogne deux barres de métal à intervalle régulier, laissant le silence occuper l’espace et le temps entre chaque percussion. Cette entrée en scène nous fait hérisser les poils, aussi bien par son aspect visuel que par la connotation de rituel obscur qu’elle comprend. Mais c’est aussi le silence de l’assistance qui nous impressionne, tout semble s’être figé. Une guitare sombre vient ensuite distiller ses notes une à une, montant lentement en tension pour le titre “Boden”. Il en découle finalement un véritable déluge électrique où la basse et la batterie martèlent les tympans tandis que les guitares se font hurlantes et métalliques. C’est en rythme que les cinq membres du groupe courbent l’échine au rythme des riffs des guitares alors que dans la salle de véritables vagues de hochements de tête sévissent elles aussi en rythme, comme un rituel d’initiés. Il en sera ainsi tout au long de la soirée.

La voix de Colin H. se fait elle aussi hurlante, comme pour exorciser les démons et les traumatismes invisibles de l’âme, avec autant de douleur que de puissance. Celui qui a longtemps chanté exclusivement dos au public, se tourne aujourd’hui de temps à autre face au public. On apprécie aussi sa capacité à transmettre des émotions contrastées lorsqu’il alterne les passages presque déclamés (et en néerlandais) avec un chant fragile et presque enfantin, bercé par des notes de guitare tout aussi délicate avant de repartir dans de puissants hurlements. Amenra est capable de faire s’abattre des tempêtes dévastatrices entremêlées d’accalmies qui vont vous toucher profondément, à des degrés et sur des aspects bien différents.

Sur l’écran géant en fond de scène, toujours en noir et blanc, les tableaux visuels se succèdent entre paysages sauvages et désolés, âmes en errances et à la dérive, chapelles de campagnes, personnages religieux vêtus de noirs marchant d’un pas inquiétant, corps immolés par le feu et semblant être offert en sacrifice. On retrouve aussi quelques plans tournés dans le cadre majestueux de l’Abbaye de Villers-La-Ville. L’esthétique générale est forte et hautement travaillée, presque lugubre mais irréprochable. Pareil pour le lightshow où seuls des lumières blanches éclairent la scène, parfois de manière minimaliste et statique mais aussi en agissant comme une véritable tornade aux allures de plongées au cœur des entrailles tumultueuses d’une tornade. Si nous devions faire une comparaison cinématographique pour illustrer la musique et l’univers d’Amenra, nous vous renverrions vers le Royaume du Mordor et de Soron dans le Seigneur des Anneaux mais dans ce qu’il a de pire, de plus froid et de torturé et de tourmenté. N’y cherchez pas la lumière ou la joie.

Il est impossible d’associer ce qui se passe sur scène comme de la brutalité musicale mais pourtant chaque titre nous met un peu plus KO. Les riffs sont mastodontesques et hypnotiques. De toute cette puissance aux airs de rouleaux compresseurs, se dégage aussi une force mélodique indéniable et une capacité à construire des atmosphères et des ambiances. Les moments d’apaisement ne sont que les préludes des énormes houles qui suivront. Nous pouvons là aussi tenter une comparaison cinématographique (très foireuse on vous l’accorde) en repensant à Jamel Debouzze qui s’inquiète que tout soit trop calme dans Astérix et Obélix – Mission Cléopâtre (C’est trop calme, j’aime pas trop beaucoup ça J’préfère quand c’est un peu trop plus moins calme.) Avec huit titres joués en une heure trente, la durée de chacun d’eux permet en effet de pouvoir construire musicalement les choses de manière très immersive.

Au sein de cette setlist, bien différente de celle de la veille, il est difficile d’isoler l’un ou l’autre moment clé tant chaque instant semble compter, être important et surtout être à sa place là où il doit l’être. Cependant, “Aorte-Ritual” qui s’étire sur près de vingt minutes constitue une des pièces maîtresse de la soirée avec son énorme montée en tension qui occupe plus d’un tiers du morceau. Le son rugueux des guitares y est acéré et celles-ci mènent une marche forcée en compagnie de la basse qui semble racler des surfaces métalliques abruptes. “A Solitary Reign”, et son imparable sens mélodique et mélancolique, constitue quant à lui le moment le plus aérien du set, tout en restant une énorme masse sonore à la charge émotionnelle manifeste. La voix de Colin H. y est elle aussi magnifiée.

C’est avec “Am Kreuz” que le groupe achève son set, dans une dernière volée de riffs lourds pour finalement laisser place à une unique guitare électrique qui vient alors poser une dernière note avec doigté et délicatesse. Celle-ci s’évapore tandis que la salle est plongée dans le noir. Le public de fidèles qui retenait son souffle peut exploser. Amenra clôture ainsi sa célébration avec la même maitrise qui a guidé toute la soirée, se rapprochant toujours un peu plus de la perfection. Amenra continue à écrire son histoire et à s’imposer comme un des groupes les plus importants de son époque.

SETLIST – Amenra – AB – 31/05/2024

Boden – Razoreater – De Evenmens – Heden – Aorte-Ritual – A Solitary Reign – Diaken – Terziele / Am Kreuz

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