Probablement la journée la plus hétéroclite du festival, l’affiche de ce dimanche devait constituer, tout comme les deux premiers jours, un gros morceau où les programmateurs avaient eu l’audace de programmer BENJAMIN BIOLAY sur la même scène que SHAKA PONK alors que THE PRODIGY et FRANZ FERDINAND allaient emmener la programmation de la scène de la Colline, sans oublier THE HAUNTED YOUTH, JEANNE ADDED ainsi que le duo féminin le plus couillu du royaume : JUICY. Mais les conditions météos désastreuses (et le manque d’anticipation des organisateurs ? On y reviendra) en ont décidé autrement, comme un acharnement du sort.

C’est ainsi que plus de la moitié des artistes et groupes programmés ce dimanche sont passés à la trappe pour se concentrer autour de quatre artistes : Jeanne Added, Benjamin Biolay, Franz Ferdinand et The Prodigy, tous replacés sur la scène Tribord, les pluies de la veille et du matin même ayant rendu inutilisables les installations techniques et la plaine située devant la scène de la Colline. C’était ça où l’annulation pure et simple. Mais la déception est grande, la frustration aussi. En effet, la prestation de SHAKA PONK est passée à la trappe alors que le groupe était déjà présent sur le site en matinée. Sur les réseaux sociaux, ils sont nombreux à déplorer cette annulation qui constituait la pierre angulaire de l’affiche du jour avec The Prodigy. Beaucoup de festivaliers s’étaient décidés à prendre leur place pour la journée du dimanche suite à l’annonce de la venue de Shaka Ponk dans le cadre de sa tournée d’adieu. Plus tard dans la journée, les organisateurs devront même publier un communiqué pour expliquer que le groupe n’est pas responsable de cette annulation et que ce sont les conditions techniques imposées par le remaniement du site du festival qui sont la cause de l’annulation du concert du groupe français.

Sur le site d’ailleurs, des tonnes de pailles ont été répandues pour tenter d’absorber l’impressionnante quantité de boue qui s’est formée. Malgré les efforts des équipes techniques, les zones “aquatiques” restent très nombreuses. Sur la scène Tribord, le matériel technique et les instruments ont été bâchés autant que possible pour limiter les effets conjugués de la pluie et du vent qui souffle (fort) en direction de celle-ci. Freddy Tougeaux et son comparse, qui sont en charge de la présentation des groupes, avertissent les festivaliers déjà présents que les concerts pourraient être interrompus si la météo vient à se dégrader. On croise les doigts.

Dans cette affiche du jour reconfigurée, c’est JEANNE ADDED, qui prend possession de la scène pour une petite heure. Elle est accompagnée de deux choristes-danseurs pour un set où elle chante aussi bien en français qu’en anglais. Consciente d’être passé à un fil de l’annulation, la chanteuse française s’applique à offrir un set parfait aux nombreux festivaliers qui continuent à subir les assauts du vent et de la pluie. Jeanne Added enchaine les titres avec élégance et dynamisme à la fois, à l’image de sa musique. Objectif atteint : les festivaliers ont retrouvé leurs sourires et leur enthousiasme.


Pendant ce temps, en backstage, la jeune RORI et SAINT-GRAAL, dont les concerts ont été annulés ce jour, offrent chacun un petit concert improvisé à une cinquantaine de festivaliers privilégiés. Rori va même plus loin puisqu’elle va proposer un second set un peu plus tard dans la soirée, armée de quelques amplis et d’une guitare, cette fois sur le site du festival, en profitant des espaces couverts qu’offre le plan incliné.

Véritable ovni sur l’affiche initiale du jour, BENJAMIN BIOLAY et ses musiciens montent ensuite sur la scène Tribord peu après 19h. Contre toute attente, le chanteur français fait le plein avec une plaine généreusement garnie. Il entame son set avec élégance et son titre “La superbe”. Il prend également le temps de remercier les festivaliers présents dans cette météo polaire. Ensuite, il enchaine des titres qui accrochent l’attention des festivaliers notamment avec “Parc fermé” et “Ton héritage” au texte autobiographique très marqué. Il clôture son set avec le très rythmé et tourmenté “Comment est ta peine ?”. Il prendra le temps de saluer longuement la foule massée devant la scène.

Place ensuite aux Ecossais de FRANZ FERDINAND qui montent sur scène sous un grand ciel bleu et un généreux soleil couchant. Le Ronquières Festival 2023 vient d’en finir avec la pluie. Durant une heure, les Ecossais vont donner une bouillante leçon de rock anglo-saxon avec cette identité musicale qui leur est propre. Le groupe, emmené par Alex Kapranos, n’a rien perdu de son énergie, multipliant les sauts dans les airs et les incursions sur l’avancée de la scène. Sur la plaine, ça chante, ça danse. Les titres issus des deux premiers albums du groupe sont toujours ceux qui fonctionnent le mieux en live, comme avec “Do you want to” et “The dark of the matinée” qui ouvre le concert. Bien entendu, “Take me out” fait décoller la plaine avant que le groupe ne clôture le set avec une version survoltée et complètement barrée de “This Fire”. Un peu plus tôt, le groupe a fait monter sur scène un festivalier qui était venu avec une pancarte en carton pour demander au groupe si il pouvait jouer de la basse sur le titre “Michael”. Son vœux a été exaucé. Franz Ferdinand fait définitivement partie des groupes de rock les plus cools du monde.

Suite au décès brutal de Keith Flint en 2019, beaucoup pensait que l’histoire de THE PRODIGY allait s’arrêter là. Mais le groupe a malgré tout repris la route des festivals et des salles de concerts depuis une petite année maintenant. Les plus anciens se souviennent de leur passage plus que mouvementé à Forest National en 2009 où le sismographe de l’IRM à Uccle s’était emballé durant toute la durée du concert. Et c’est une armée de fans qui les attend donc ce soir à Ronquières. Mais avant ça, un petit malin (il faut le virer celui-là) à la régie son ne trouve rien de mieux à faire que de balancer un titre de Shaka Ponk dans les enceintes . La foule se met à hurler son mécontentement en réponse à cette absurde maladresse.

Le son des enceintes est ensuite poussé à son maximum pour accueillir le groupe. Liam Howlett et Maxim, accompagnés de leur batteur et de leur guitariste attaque le set de manière hyper-frontale avec “Breathe” et “Omen”. Le public est à fond, sur scène ça se démène bien aussi, mais l’absence de Keith Flint se fait durement sentir, une impression de vide qu’il ne sera pas possible de combler malgré la présence scénique de Maxim et toute la folie maitrisée de Liam Howlett pour coordonner l’ensemble derrière ses synthés et ses machines. The Prodigy envoie cependant le son et la puissance comme à son habitude, par déflagrations successives et par attaques de stroboscopes. Le bonheur absolu en quelques sortes. Au bout d’un petit quart d’heure, Maxim, quitte la scène, laissant les musiciens seuls. Ceux-ci quittent ensuite également la scène. Moment de flottement, plus rien ne se passe sur scène en dehors du son d’un gros moteur qui tourne en boucle durant de longues minutes. Dans le public, chacun se demande ce qu’il se passe. Le groupe revient finalement sur scène avec “No Good”. Il semblerait que Maxim se soit blessé au dos au début du concert, il se positionne alors près de la batterie et n’en bougera plus du concert.

A parti de cet instant, le concert prend une tournure brouillonne et décousue : les morceaux sont expédiés les uns derrières les autres et ne sont pas joués dans leur intégralité, ponctués de quelques transitions instrumentales sans grand intérêt. Même un titre comme “Voodoo People” est compressé sans ménagement. The Prodigy est en train de gentiment massacrer sa propre discographie avec pour effet de ne pas réussir à maintenir en fusion l’énergie live qui a fait leur réputation. Heureusement “Smack my bitch up” ne subit pas ce traitement et est joué entièrement dans une ambiance survoltée. Cela fait à peine un peu plus de 45 minutes que le groupe est sur scène et l’heure du rappel sonne déjà. “Take me to the hospital” (avec un vigoureux lancé de guitare en direction du backstage) et “Invaders must die” sont envoyés bien comme il faut, avec force et efficacité, et en entier. “Out of space” est malheureusement expédié lui aussi en moins de deux minutes montre en main. The game is over !


Le concert a duré une petite heure à peine, alors que le groupe était programmé pour jouer une demi-heure en plus et que les festivaliers présents étaient prêts à à enchainer pour le reste de la nuit. De quoi renforcer la déception et la frustration liée à l’annulation de Shaka Ponk. Si Maxim était effectivement blessé, nous comprenons que le set ait pu être écourté. Mais était-il vraiment nécessaire de passer chaque morceau dans une moissonneuse-batteuse à l’exception des 5 ou 6 restés intacts ? Décidément, rien n’est épargné cette année aux organisateurs du festival.

D’un point de vue artistique, cette édition 2023 restera une très bonne cuvée, les concerts de haute-voltige se sont en effet succédés, malgré les annulations de cette dernière journée. Sur le site du festival on a vu beaucoup de sourires, de bonne humeur et de solidarité entre les festivaliers devant affronter des conditions météos exécrables, surtout durant la journée du samedi. On a aussi vu un public qui arrivait très tôt sur site (pour éviter les embouteillages c’est vrai) et qui venait se masser devant les scènes dès le début de la journée, offrant une assistance digne de ce nom aux artistes, sauf les fans d’Indochine qui sont restés de marbre le vendredi jusqu’à l’arrivée sur scène de ‘”leur” groupe. On a aussi vu des bénévoles restant calmes, impliqués et courtois malgré la fatigue et des conditions de travail souvent difficiles.

A titre individuel, nous n’avons que très peu été impactés par les problèmes dans les parkings mais les images que nous avons vues un peu partout sur Internet nous laissent imaginer que beaucoup de festivaliers ont vécu des heures pénibles cette année à Ronquières. Cela nous amène au sujet qui a parfois éclipsé la programmation musicale du festival durant les trois jours : avec la météo des dernières semaines, il n’y avait pas besoin d’attendre les bulletins météos de l’IRM pour savoir que les choses n’allaient pas se passer sans encombres dans les parkings et dans la verdoyante cuvette naturelle où était située la scène de la Colline. Ce constat est aussi valable pour certains festivaliers qui se sont lâchés sur les réseaux sociaux en se plaignant de la présence de boue sur le site du festival et des embouteillages (causés par la sortie de route d’un camion le vendredi)… no comment.

Avec des “si” nous pourrions refaire le monde, et nous n’aurions pas aimé être à la place des organisateurs du festival ce dimanche matin au moment de prendre la décision de sacrifier plus de la moitié de l’affiche du jour. Malgré la réactivité de ceux-ci face à tous ces événements, il y a eu un manque manifeste d’anticipation et une communication (principalement sur les réseaux sociaux) souvent tardive, parfois à contre-courant ou même dans le déni concernant les inquiétudes et questions légitimes des festivaliers. Qu’en est-il, par exemple, des éventuels remboursements (même partiels) qui seront proposés aux festivaliers pour la journée du dimanche ? Le festival n’a pas communiqué clairement à ce sujet. La communication pouvant être “on revient vers vous dès que possible à ce sujet” ce qui aurait le bénéfice de rassurer, sans pour autant pouvoir garantir une issue favorable. Nous faisons confiance à l’équipe organisatrice pour tirer les leçons de cette édition finalement très “rock’n’roll” où au final les moins bons moments ont été amplement compensés par les nombreux bons moments. Sur ce, nous allons aller nettoyer nos bottes et nos vêtements de pluie au tuyau d’arrosage puisque la météo est maintenant presque digne d’un printanier mois d’avril et qu’il ne pleut plus. Rendez-vous en 2024 !

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