Depuis la sortie de l’album Les Vestiges du Chaos, Christophe est revenu sur le devant d’une scène qui tremble toujours plus sous ses expérimentations scéniques et vocales, faisant fi des conventions et du formatage ambiant pour mieux s’épanouir dans un style qui lui est propre. Il allait de soi que le rendez-vous fixé à Bruxelles ne pouvait être raté pour rien au monde. Et aux abords du Cirque Royal, plein à craquer, il était difficile de trouver une place pour se garer. Ce samedi, Christophe a continué son combat avec le chaos et en est sorti gagnant. Le public aussi. Tonight, tonight, encore une nuit formidable de plus.

Mais avant de voir l’homme de la nuit, c’est l’homme du soleil (qui peut être breton, il nous l’a prouvé) qui a pris les rênes de la première partie. Adrien Soleiman, seul au clavier mais aussi au saxophone (il jouera des deux tout en chantant comme si de rien n’était) et sans doute un peu stressé. Après tout, ce n’est pas tous les jours la première fois qu’un artiste joue en Belgique et… « qu’on fait la première partie de Dieu ». C’est drôle, c’est ce que je me disais en réécoutant « Comm’si la terre penchait… » sur la E411 en prélude de cette soirée magnifique: « Christophe, c’est un peu Dieu ». En attendant de voir si Adrien avait raison, le jeune homme, véritable révélation depuis quelques mois, n’a pas boudé son plaisir, proposant tour à tour des souvenirs familiaux sur la plage (peut-être, fut un temps, quelqu’un y avait-il dessiné « Aline »?), tantôt tristounet, tantôt gracieux, jamais très loin de l’eau. Bon, un peu linéaire aussi, mais sans doute l’absence des musiciens qui l’entourent habituellement n’y était-elle pas étrangère. Toujours est-il qu’il nous a donné envie d’en apprendre plus de lui !

Le plafond du Cirque s’éteint et ne restent quelques lumières pour faire briller la nuit, celle qui emballe et envoûte ce grand bonhomme de la chanson à la française (mais aussi à l’Italienne et à l’Anglaise). Mais, Définitivement, plus le temps de réfléchir, place aux sensations. On ne touche plus terre, appelés sans sommations pour un voyage entre hier, aujourd’hui et demain, au bord des Vestiges du Chaos. Comme il le fait depuis quelques années déjà (c’était le cas, aux Fêtes de Wallonie 2009, la première fois que j’ai vu sur scène ce passager dont je ne savais s’il venait du futur ou du passé… sans doute des deux), c’est d’une traite que Christophe et ses musiciens, des fidèles pour la plupart, reprennent la quasi-intégralité du dernier opus du chanteur. « Pour permettre à ceux qui ne l’ont pas écouté de le découvrir, et faire plaisir à ceux qui le connaissent déjà ».

Et quel plaisir. Car Christophe se fait Pandore, ouvre la boîte à sons et laisse s’échapper les chansons de son dernier album. En compagnie de ses six musiciens, il leur donne force et vigueur, donnant à voir et à entendre son « film sonore », mille fois plus percutant encore que le cd joué dans le lecteur. Loin du copié-collé-joué pratiqué par certains, c’est de la réinvention, des merveilles pour les oreilles. Jambe écartée, maître de la scène, Christophe ne s’en laisse pas compter dans ce lieu qu’il adore, avant de gagner sa chaise haute. L’alchimie opère, généreuse, les musiciens et les rythmes électroniques, le bidouillage fameux, ont le pouvoir. Le spectateur est pris d’émotions à l’évocation de Lou Reed ou d’Alan Vega. La tangerine est démentielle, tout est à toute épreuve, bien plus loin, bien plus fort que les cinquante nuances usuelles et certainement à l’oeuvre dans un des cinémas de la capitale. Ici, on ne compte pas, le moment est inestimable. Même les amoureux d’Aline et autres Marionnettes, un peu perdu au début du tour de chant, en conviennent.

Après avoir touché le rêve du doigt, Christophe quitte la barre de bateau ivre mais éminemment vivant et laisse ses musiciens jouer jusqu’au dépouillement. Disciplinant le déferlement sonore, chacun pousse ses dernières notes et quitte la scène. Ce n’est pas une mort en soi et Christophe revient bien vite dans sa « chaise à sons » (invention créée à ses heures perdues de savant un peu fou) pour entamer une deuxième partie de concert conçue comme un best-of. Mais qui dit best-of ne dit pas, non plus, une nouvelle fois, jouer comme sur le cd. Et après s’être fait marionnettiste solitaire (accompagné des 2000 voix du Cirque, quand même) et avoir joué sa vie « comme un interdit », Christophe lance la période des idylles en duo.

Pas tous à la fois, pas besoin de tirer la couverture sonore à soi, il y en aura pour tout le monde et autant de moments de réinvention dingue et sensoriel, à contre-clichés. De la bassiste Rachel Boirie au batteur Lawrence Clais en passant par le clarinettiste-saxophoniste Renaud-Gabriel Pion, le guitariste Christophe Van Huffel et le claviériste Ludovic Fiers. La crème de la crème, à laquelle s’ajoute un régional de l’étape, Jean-François Assy au violoncelle, dont on vous a souvent parlé en compagnie de Daan après avoir longtemps tourné avec Bashung. L’occasion était trop belle que pour ne pas reprendre, une fois de plus, Alcaline. Vous nous croyez, si on vous dit qu’on a eu les poils ? D’autant plus que ce génie contemporain n’a pas lésiné sur son répertoire, reprenant entre autres classiques des chefs d’oeuvre comme Mal Comme ou La man. Avant de faire entrer Les Mots bleus dans l’ère « vestigineuse » avec de nouveaux arrangements.

Très loquace, Christophe a pas mal taillé la bavette. Humoristique, comme quand il évoque le retrait de son permis en 2001. « Ce n’est plus de l’espace, c’est de l’impasse ». Avant de se proclamer contre le permis à point. « Vous l’avez en Belgique ? Non ? Bonne idée ». Facétieux mais humain plus que tout, « le dernier des Bevilacqua » a répété son envie, son besoin de communiquer. En symbiose totale avec son environnement, le chanteur a prouvé qu’il savait encore le faire admirablement. Et après deux heures d’un concert magistral, on a crié, crié. Et l’ombre l’a repris. Clôturant un tango loin d’être déglingué.

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