Il m’en aura fallu du temps pour écrire cet article. Difficile de dézinguer celui qui a accompagné les mélopées de mon enfance et les râles révoltés de mon adolescence. Mais c’est un fait, le concert de Renaud à Forest National jeudi 30 mars était une insoutenable catastrophe. Séchan ne sait plus chanter.

Il est à peu près 20h. Au bar de Forest National, quelques foulards rouges commandent leur brassée de houblon et rejoignent la fosse, craignant de perdre leur place dans une salle pourtant loin d’être pleine. Je leur emboîte le pas, mon regard parcourant la foule. Certains énergumènes me donnent l’impression d’être dans les coulisses de La Nuit des Sosies. Je souris dans ma barbe. Certains symboles sont forts, mais apparaissent désuets quand ils sont poussés à leur paroxysme. Quand ils s’accrochent à un passé révolu. Ce soir, je vais voir Renaud.

La première partie, assurée par le jeune Gauvain Sers, fut pour moi une aussi bonne surprise que la seconde en fut une mauvaise. Je découvre avec délice ce chanteur à casquette en velours côtelé originaire de la Creuse et devenu titi parigot. Ces airs de Gavroche lui confèrent un capital sympathie proche de celui de Renaud… Et on se dit que ce n’est pas pour rien qu’il l’accompagne dans sa tournée. Je ne m’éterniserai pas dans ces lignes sur son excellente prestation mais j’ai hâte de revoir le bonhomme dans des circonstances moins lugubres. Promis, je vous en reparle dès la sortie de son album, le 9 juin !

Courte pause entre les deux sets. Un grand drap blanc cache la scène. Les premières notes de musique résonnent, annonçant l’arrivée imminente du phénix aux ailes brûlées devant une foule en délire. Des milliers de bras se dressent, les gens crient et ovationnent avant l’heure. Puis le rideau tombe enfin et découvre une silhouette penaude tandis que la voix de Renaud entame Toujours Debout, le titre phare de son dernier album. Un silence aussi soudain que pesant tombe sur la salle comme une chape de plomb et les bras retombent. Autour de moi, des fans s’échangent des regards livides en grimaçant. On a peine à croire que l’artiste tiendra jusqu’à la fin du premier morceau…

Toujours vivant, rassurez-vous,
Toujours la banane, toujours debout
J’suis retapé, remis sur pieds,
Droit sur mes guibolles, ressuscité.

Pourtant, l’homme qui s’agrippe à son micro m’évoque l’état de santé d’un mégot de cigarette conservé dans un bocal de formol. Oui, je sais. Je suis déjà en train de m’auto-flageller pour ce que je viens d’écrire… Mais il y a quelque chose de tellement pathétique dans le spectacle qui se déroule devant mes yeux… Le malaise est plus que palpable, je me noie dedans. Pour la première fois de ma vie, je me mets presqu’à regretter qu’un artiste n’ait pas opté pour du play-back. À cette distance, je n’y aurais vu que du feu, et mes souvenirs d’enfance auraient été préservés. Puis, contre toute attente, le morceau arrive à son terme avant que Renaud n’arrive au sien. Il s’adresse alors à son public. Même parlés, les mots ont du mal à s’extirper de sa bouche.

Je me suis tapé une rhino-pharyngite. La dernière fois que je suis venu, c’était une bronchite. Je m’invente des maladies pour justifier ma voix pourrie…

J’hésite à prendre son propos au premier degré. Quand bien même il serait malade au point de ne pas être capable de chanter, alors il ne fallait pas venir. Quand un maçon se pète les deux bras, il ne se lance pas dans la rénovation de la Chapelle Sixtine, même sous contrat… C’est pareil pour un chanteur. Si on justifie son incapacité à assurer un show convenable par une maladie invalidante, alors il fallait reporter le concert. Ne fut-ce que par respect pour les gens qui ont payé (cher) pour voir l’artiste. Ce qui m’amène à douter des raisons derrière lesquelles Renaud se réfugie. Aurait-il vraiment pu faire mieux dans d’autres circonstances ? Semble-t-il que oui à la lecture des compte-rendus de ses prestations d’octobre dernier. N’empêche que j’ai du mal à le croire…

Ceci dit, il en est conscient et l’auto-dérision est au top. C’est déjà ça. Sa générosité irradie les premiers rangs et une bonne partie des gens présents dans la fosse semble être aveuglément (et sourdement) prête à tout lui pardonner. Pas moi. Docteur Renaud, Mister RenardEn cloqueMarche à l’ombre, les morceaux s’enchainent, portés par des musicos en or qui investissent tout leur talent pour donner de l’emphase au (bout de) souffle rauque de Renard. Régulièrement, le public prend le relais pour permettre au “chanteur” de reposer son organe. Et à chaque fois, cela sonne comme une délivrance. Pour nous comme pour lui… Puis pointe en moi cette désagréable sensation que la foule ne chante plus par entrain, mais par pitié. Après seulement quatre chansons, les places assises autour de moi commencent à se clairsemer, certaines personnes préférant quitter la salle plutôt que de subir encore deux heures de ce qui commence à se dessiner comme la pire expérience scénique à laquelle il me fut donné d’assister. Des « bon courage » sont lancés à ceux qui décident de rester.

À chaque intervention parlée de Renaud, l’agacement d’une dame derrière moi se fait entendre : « Qu’est-ce qu’y dit ? Je comprends pas c’qu’y dit… ». OK, on sait où on est et l’acoustique est pourrie, c’est un fait. Mais quand même… Pour ma part, j’arrive entre autre à suivre les propos de l’artiste grâce au compte-rendu de son concert d’octobre, qui git sur mes genoux. Tout y est identique – à part semble-t-il la qualité de la performance –, de la setlist aux piques humoristiques du chanteur. À l’incapacité technique vient donc s’ajouter l’absence de spontanéité.

Franchement, je savais que ça allait être difficile, mais j’y suis allé armé de mon âme de gamin et de mon coeur d’artichaut. J’adore – j’adule – le bonhomme depuis toujours, j’étais prêt à pardonner beaucoup et je m’étais préparé au pire. Mais je ne m’attendais pas à ce que le pire, ce soit ça… Tout est faux, même les passages qui sont de base monocordes, chaque mot est un râle graveleux, me faisant l’effet rugueux du verre pilé que frotteraient vigoureusement de tous petits êtres directement sur mes tympans. On a du mal à comprendre les paroles de chansons qu’on connaît pourtant par coeur, une diction laborieuse atrophiant les fins de phrases, avalant certaines syllabes dans un vortex. Le concert m’évoque un chemin de croix dont chaque morceau serait une pénitence. Je commence à me demander qui de nous deux tiendra le plus longtemps, Renaud ou moi ? Et pensez bien que ça me fend le coeur de l’écrire…

Que s’est-il passé depuis novembre 2016, alors que ses prestations semblaient de bien meilleure facture ? Est-ce vraiment le même Renaud que j’ai sous les yeux ? Lui qui reconnaissait avoir repris la boisson en février dans une interview à Paris-Match… Doit-on y voir un lien de cause à effet ? Je ne m’aventurerai pas sur cette pente glissante, mais difficile tout de même de ne pas penser que le Renard n’est jamais bien loin…

Tant mieux si le retour de Renaud lui a permis de sortir la tête de l’eau. Sincèrement, j’en suis très heureux. Et tant mieux si une partie du public est au rendez-vous. Mais il s’agit d’un concert, pas d’un crowdfunding pour financer sa thérapie de groupe. Alors que le chanteur introduit Ta batterie, la chanson qui lui a redonné goût à l’écriture il y a un an et demi, son organe commence à défaillir de plus belle: « Y a ma voix qui se barre ». Sorry, mon gars, moi aussi je me barre…

Ce soir, tu as brisé quelque chose en moi, Renaud. Ce soir, j’ai perdu un morceau de mon enfance.

 

SETLIST

Toujours debout

Docteur Renaud, Mister Renard

En cloque

La pêche à la ligne

Marche à l’ombre

Les mots

Etudiant – Poil aux dents

J’ai embrassé un flic

Déserteur

La médaille

Héloïse

A la téloche

Hyper Casher

Dans mon HLM

Ta batterie

Morts les enfants

Manhattan-Kaboul

Manu

La ballade nord-irlandaise

C’est mon dernier bal

Morgane de toi

500 connards sur la ligne de départ

Son bleu

Germaine

Dès que le vent soufflera

Mistral gagnant

La vie est moche et c’est trop court

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