Pas facile de se faire une place sous les projecteurs quand on remporte le Concours-Circuit en 2020, soit en plein confinement COVID-19. Le risque de voir ce tremplin de carrière se transformer en pétard mouillé était grand pour les 4 musiciens bruxellois de TUKAN. Mais ils ont pris le temps de saisir les opportunités sans se précipiter et de faire murir leur musique pour proposer cet autonome un premier album. “Atoll” (aucun lien avec les opticiens et le chanteur Antoine qui en faisait la publicité) à des allures de bouillon sonore entré en fusion lorsque toutes les influences qu’ils y ont plongées s’y sont mélangées. Finalement tout ça est un peu à l’image de Bruxelles où ils ont posé leur camp de base. Alors qu’on aurait pu les attendre de manière assez conventionnelle au Botanique, bastion musical des artistes soutenus par la Fédération Wallonie-Bruxelles, c’est dans le CLUB de l’ANCIENNE BELGIQUE qu’ils sont venus fêter la sortie de cet album.
Le concert de ce mercredi soir affiche complet depuis plusieurs semaines. Et lorsqu’une place vient à être remise en vente sur Ticketswap, elle est instantanément récupérée par un chanceux spectateur. C’est déjà un signe qui en dit en dit long sur l’attente du public. Et pourtant TUKAN est une formation scénique qui, en 2022, n’a finalement rien d’extraordinaire au premier abord : une guitare, une basse, une batterie, des synthés et quelques machines pour bidouiller du son. Mais ce qu’ils font de tout ça est par contre une histoire qui nécessite qu’on y porte toute notre attention.
Après que les musiciens se soient faufilées entre les nombreux instruments présents sur scène, le concert peut commencer de manière solaire avec de belles nappes de synthés bien chaudes. Le quatuor se lance dans un premier titre très électro-jazz et déjà très dansant. Les têtes commencent à hocher dans le public alors que les enceintes crachent des basses et des décibels de tous les cotés. On peut observer un méthodique jeu de pédales d’effets chez le guitariste. On constate aussi très rapidement que les synthés occupent une place très importante. Le second titre prend une tournure très groovy avec une basse qui ronronne sur des notes de synthés spatiales. Le concert prend la forme d’une succession de montées et de breaks aux airs de douces montagnes russes. Ne cherchez dès lors pas la moindre structure traditionnelle couplet-refrain chez Tukan, c’est tout simplement proscrit ! Cela n’empêche pas le public de manifester régulièrement son enthousiasme au cours des différents morceaux qui se succèdent. Bien qu’étant influencé par le jazz (parmi une multitude d’autres courants), Tukan n’en a gardé que la ferveur et la spontanéité, laissant au placard l’étiquette parfois élitiste qui y est associée.
En cours de set, Tukan propose un titre plus aérien avec quelques jolis accords de guitares électriques tranquilles et posés. C’est aussi à ce moment là que le groupe est rejoint par un MC qui vient poser son flow aux airs de déclamation, et ce le temps de deux morceaux. C’est peut-être le passage le plus sombre du concert avec des guitares et basses assassines, nous rappelant le titre “Bastardized Ink” d’Archive. Tukan relance ensuite la machine à danser, faisant littéralement trembler le plancher de l’AB. Au bout d’une grosse heure, que nous n’avons pas vue passer, Tukan achève ce qui constitue son set principal dans une dernière salve de riffs et de synthés.
Le groupe revient ensuite sur scène pour ce qui doit être le dernier titre de la soirée. Et quel titre ! C’est une véritable bombe dansante qu’ils envoient, avec des sonorités qui nous rappellent le mythique “Da Funk” des Daft Punk. C’est abrasif, percutant, irrésistiblement dansant et euphorisant. Le groupe salue un public chaud-bouillant et quitte la scène. Mais le Club de l’AB ne compte pas en rester là et se met à reprendre en chœur la mélodie du dernier titre joué. Les membres du groupe reviennent alors finalement et annoncent ne plus avoir de titre à jouer. C’est donc un titre joué plutôt dans la soirée qui fera office de rappel improvisé (les vrais rappels spontanés sont toujours les meilleurs) dans l’euphorie générale. Et pour clôturer les choses en beauté, l’AB faisant bien les choses, le concert de ce mercredi soir a été filmé et il est déjà disponible gratuitement en ligne.
Il y a chez Tukan quelque chose de jazz et moderne comme le duo de Glass Museum en a fait sa spécialité. Il y aussi une ferveur rythmique qui transpire le dancefloor tout en restant esthétique et millimétré. Il y a enfin ce bouillonnement faussement anarchique et parfaitement maitrisé propre aux chevauchées rock’n’roll. Tukan préfère les chemins non-balisés qui sont la promesse d’explorations aventureuses et excitantes, délaissant les grandes autoroutes prévisibles, aseptisées et usées jusqu’à l’excès. Un concert de Tukan, c’est la certitude de se faire agréablement bousculer, d’être pris à revers là où on ne l’attendait pas forcément et d’y trouver un plaisir communicatif. Bref TUKAN est destiné à foutre le feu à toutes les scènes où ils passeront tout en brassant un public très hétéroclite. Vivement la suite.