Direction l’Est du Royaume pour une nouvelle édition des Francofolies de Spa. Au programme : quatre jours et quatre nuits de concerts où se mélangent joyeusement les grosses têtes d’affiche tournées vers le grand public et une riche programmation plus spécifique et toujours la découverte d’artistes émergeants, aussi bien sur le site du festival que dans les nombreux bars du centre-ville. Il y a bien longtemps que les Francofolies se sont affranchies d’une ligne de conduite (trop) stricte pour établir leur programmation : la francophonie s’entend ici au sens large du terme et ne se limite pas au stéréotype du chanteur ou de la chanteuse venant interpréter ses titres exclusivement en français. C’est ainsi que Mika occupe la tête d’affiche de cette très chargée mais finalement sèche première journée. On vous raconte tout ça

Après le traditionnel jeu consistant à réussir à se garer au plus près du centre  névralgique de la ville, nous prenons la direction du verdoyant parc des 7 heures et du site “payant” du festival qui a ouvert ce jeudi à 16h. C’est en nous laissant guider par le son que nous atterrissons du coté de la scène Proximus où MARIE-FLORE conquis un public déjà nombreux avec ses titres pop aux arrangements électros et aux rythmes bien calibrés. Ses textes sont intimes et grinçants à la fois. Le concert s’achève dans une ambiance de dancefloor disco avec son titre “Tout ou rien”. Idéal pour entrer dans le vif du sujet et le reste de la soirée.

© Jean-Yves Damien

Nous partons ensuite en direction de la Scène Pierre Rapsat pour le concert de RORI. Que de chemin parcouru en peu de temps pour la jeune liégeoise alors que c’est à elle que revient la délicate tâche d’inaugurer la grande scène des Francos. On se souvient de son passage en première partie d’Aaron à l’AB en novembre 2021. Elle était montée sur scène avec l’humilité de ceux qui s’excusent presque d’être là et de se retrouver sous le feu des projecteurs. Moins de deux ans plus tard, c’est avec des titres qui tournent pas mal en radio et un futur passage par le Club de l’AB en novembre qu’elle monte sur scène, accompagnée de ses deux musiciens (guitare-batterie). Et ça commence avec les gros accords de son guitariste et de son joli t-shirt Garbage. La scène paraît immense mais Rori y met l’énergie pour occuper l’espace et captiver des festivaliers venus, soit par curiosité, soit en fredonnant déjà les paroles de l’une ou l’autre de ses chansons, comme sur “Ma place” et “Docteur”. On avoue qu’on aurait préféré la voir sur une scène de taille moins gigantesque. Ce qu’on aime chez Rori c’est sa manière d’aborder ses textes comme si la grange était en feu et qu’il n’y avait donc plus rien à faire, si ce n’est danser. Avec Rori on évolue quelque partre entre l’apocalypse et un flegme joyeusement fataliste. Born to be chaos.

On reste en terres liégeoises pour la suite de la soirée avec DAN SAN qui joue du côté de la scène Spa Reine. Ils reviennent en 2023 avec un troisième album, “Grand Salon”, sept ans après le précédent. La force des six membres du groupes repose dans la complémentarité de leurs influences musicales, plusieurs membres menant également différents projets solos en parallèles. Leurs titres indie-rock sont élégants et rappellent certaines sonorités de Phoenix et Air. Mais cela n’a rien d’étonnant car le producteur du dernier album du groupe a sévi dans le passé avec ces deux groupes. Ils font face à un public attentif et connaisseur dans le cadre le plus agréable et verdoyant du festival. On en profite aussi pour se restaurer après avoir du faire un choix parmi la très riche et diversifiée offre culinaire proposée par le festival. Les prix pratiqués ne vous obligent pas non plus à prendre rendez-vous à la banque dès lundi pour vous expliquer sur vos dépenses du week-end.

Après le joli succès rencontré par son premier album sorti, une AB soldout et un passage de dernière minute à Rock Werchter l’an passé, CHARLES occupe aujourd’hui une place incontournable dans le paysage musical belge, à la croisée du rock et d’une pop introspective. Comme RORI, la marge d’évolution a été énorme pour Charles, que nous avions vue à l’automne 2020 dans l’Orangerie du Botanique. La fébrilité des débuts a fait place à une assurance pleinement assumée. Le public est nombreux devant la scène Proximus (il n’y a rien à faire, Proximus n’est définitivement pas un nom sexy pour une scène de festival) alors que la première partie du set est résolument rock. Elle démontre une fois encore toute sa maitrise et et sa puissance vocale, toujours avec ce timbre légèrement brisé. On retrouve aussi ces accords de guitares nerveux mais contenus avant d’être libérés dans un registre sonore légèrement sali et crasseux pour accentuer cette couleur rock. Charles va ensuite se poser derrière son piano pour quelques titres plus posés sur des thématiques aussi joyeuses que les regrets, la tristesse et plus globalement les tourments de l’âme. Charles profite de sa présence aux Francofolies pour interpréter un titre inédit dont le texte est en français, alors que son répertoire était jusque là exclusivement composé de titre en anglais. La fin du set reprend une tournure beaucoup plus électrique avec notamment les deux bombes “Riddle” et “Systematic”. L’énergie et la fougue de Charles sont communicatives et nous rappellent qu’il est encore possible, pour des jeunes artistes, de se revendiquer pro-guitares en 2023, à l’heure de la digitalisation généralisée de la musique.

Nous partons ensuite à la découverte la Scène de la Fontaine pour le concert du duo KOWARI dont nous vous avons déjà dit beaucoup de bien chez Scènes Belges. Cette nouvelle scène se veut être une vitrine pour les artistes proposant des choses plus atypiques et sortant des sentiers battus, sans pour autant virer dans des délires musicaux forcément perchés. Kowari fait partie de cette joyeuse famille qui fait le choix d’associer une musique classique contemporaine (piano et violon) avec des touches et des arrangements électroniques, privilégiant aussi bien les mélodies que les atmosphères sonores globales de leurs compositions. Le violoniste du groupe sévit également au sein de Dan San dont on vous parlé plutôt. C’est donc au pas de course que nous le voyons rejoindre la scène pour un soundcheck express.

© Jean-Yves Damien

Le duo séduit un public de curieux qui ne faisait que passer par là mais qui finit par prendre le temps d’écouter ce qu’ils proposent et de se laisser embarquer dans les univers cinématographiques de chacun de leurs morceaux. On apprécie tout particulièrement cette capacité qu’ils ont à proposer des titres qui prennent des virages tumultueux et ardents, nous rappelant certaines atmosphères mastodontesques dont le post-rock en a fait sa spécialité, mais avec une touche classique et élégante en plus. Le duo bénéficie d’une chouette ovation en fin de concert, et c’est d’autant plus mérité au regard des conditions techniques imposées par cette scène qui empêche qui que ce soit d’être face aux artistes. Sur papier le concept peut paraître séduisant, dans les faits c’est un peu plus délicat à gérer, aussi bien pour les artistes que pour le public qui se voit contraint de se mettre de biais ou dans les allées où les autres festivaliers circulent. 

© Jean-Yves Damien

Avec tout ça, et parce que la musique de Kowari nous a fait nous écarter de notre plan d’attaque du jour, nous assistons seulement à la dernière partie du concert de JULIETTE ARMANET. Elle transforme la scène Pierre Rapsat en véritable brasier incandescent avec son hit “Le dernier jour du disco”, après s’être offerte un bain de foule plus tôt dans la soirée. D’abord assise derrière son piano, elle part ensuite arpenter la scène d’un bout à l’autre avec un feu de bengale tendu vers le ciel. La fin du set est donc pilotée pied au plancher, avec des airs de hit machine pour faire danser les festivaliers.
 

Nous reprenons ensuite la direction de la scène Proximus pour le concert de SUZANE qui vient présenter et défendre son second album intitulé “Caméo”. Pop, électro, une touche de flow aux accents rap et hip-hop, Suzane distribue les claques sonores avec ses pas de danses complètement fous mais aussi avec ses rythmes et ses textes bruts, délicats et nuancés. C’est sur une scène complètement épurée (à l’exception d’un écran géant) et sans musiciens qu’elle part au combat et attaque son set de manière aussi incisive qu’à fleur de peau avec “Génération Désenchantée”, version contemporaine et pleinement assumé du “Désenchantée” de Mylène Farmer qui a marqué le débuts des années nonantes. Pendant plus d’une heure, et sans temps morts, Suzane enchaîne les titres qui résonnent tous comme des cinglants tableaux de notre époque, avec notamment le très stromaïen “Insatisfait” ou “Suzanne” et “24 heures”, son duo virtuel avec Grand Corps Malade.

© Jean-Yves Damien

C’est dans une ambiance de sombre dancefloor gangsta qu’elle achève le concert avec “Danser”, au milieu des festivaliers qui connaissent toutes les paroles sur le bout des lèvres. On avoue avoir eu un peu peur au début du set en la voyant toute seule sur scène, devant logiquement avoir recours à des bandes sonores pour accompagner son chant, mais il n’en a rien été, bien au contraire. Ce minimalisme technique et humain est plus que compensé par la présence scénique de très haut vol de Suzane, affectueusement surnommée “la tornade venue du sud” par Grand Corps Malade. Toute autre présence scénique n’aurait été que figuration inutile. Suzane, en plus d’avoir une identité artistique à part entière, est une guerrière pleine de bienveillance et portée par une énergie qui semble inépuisable. En cette veille de fête nationale, Spa vient de trouver sa nouvelle reine (on espère que vous avez suivi notre honteux, mais assumé, jeu de mots)

© Émilie Boigelot

La joie des festivals nous contraint à faire des choix et des sacrifices qui ne nous laissent pas d’autre choix que de maudire le responsable du planning des différentes scènes. C’est ainsi qu’au même moment que Suzanne, KONOBA monte sur scène lui aussi. On ne présente plus cet artiste globe-trotter qui a annoncé, il y a quelques mois, mettre en pause sa carrière pour se consacrer à d’autres projets professionnels tournés notamment vers les enjeux écologiques. Sa décision est aussi motivée par l’état actuelle de l’industrie musicale qui ne lui permet plus de vivre de sa musique, malgré des millions de streams à travers le monde et des tournées internationales qui lui ont permis, avec son pote R.O et leur projet “10”, de se produire devant plusieurs dizaines de milliers de personnes en Géorgie notamment. Le concert de ce soir est le dernier en festival, avant quelques dernières dates prévues pour cet automne dans des petites salles. Durant une heure, et en profitant l’obscurité de la nuit et d’un joli lightshow, Konoba et ses deux musiciens égrènent les titres de son répertoire, avec les immanquables “On our knees” et le dansant “Roll The Dice”. On apprécie aussi tout particulièrement “I Could Be” et sa lumineuse montée en tension électronique qui fait danser un public très nombreux. Ce concert nous permet donc de confirmer l’utilité de tous les projets machiavéliques et inavouables que nous avons élaborés dans nos têtes pour nous venger du dilemme de planning que nous ont imposé les Francofolies.

© Jean-Yves Damien

La plaine devant la scène Pierre Rapsat est noire de monde lorsque, peu après 23 heures, MIKA y fait son apparition. Ils étaient nombreux, et de tous âges, à avoir fait le déplacement pour ce concert, y compris en venant de Flandre. Dire que Mika est un chanteur dont les chansons plaisent à un public de 7 à 77 ans (comme Tintin) n’est clairement pas une insulte, et c’est même là plutôt un gage de qualité. Durant la grosse heure et demi qui va suivre, le chanteur va faire souffler un vent de folie colorée pour réchauffer les festivaliers devant affronter une fraiche température d’une petite quinzaine de degrés à peine. Accompagné de six choristes, c’est avec “Lollipop” et en douceur qu’il entame son set au piano. Mais très rapidement on le retrouve debout sur ce piano. Le ton est donné et il enclenche ensuite la machine à tubes que constitue une bonne partie de son répertoire. On se fait ainsi la réflexion suivante au début de chaque nouveau titre : “ah on avait oublié ce titre, et pourtant on le connait et on l’a fredonné encore et encore”.

Mika alterne tout au long de la soirée entre les titres chantés en français et anglais. Le garçon rayonne dans ses costumes aux couleurs pétantes. Il s’offre aussi un premier bain de foule sur “Big Girl”. Autre moment un peu fou du concert : Mika s’en va en coulisses durant le titre “Relax” et il en revient sur scène accompagné de Juliette Armanet qu’il fait s’asseoir avec lui au piano pour un moment totalement improvisé qui désarçonne complètement la chanteuse. Mika le sait, il en joue avec bienveillance, et les deux artistes échangent de nombreux regards complices. Sur “Underwater”, il demande au public de se taire pour permettre aux quelques spectateurs présents aux fenêtres des chambres de l’hôtel qui jouxtent la scène de chanter seuls les paroles du titre. “Rain” transforme quant à lui la scène en énorme dancefloor multicolore et tournoyant. 

Chaque titre joué ce soir est un nouveau tableau scénique où les choristes et le piano ne sont jamais bien loin. Mika profite également de son passage par Spa pour tourner un clip pour un titre inédit intitulé “C’est la vie”. Mais ce n’est pas sur scène que l’action se déroule, puisque le chanteur s’en va à nouveau prendre un bain de foule débridé, accompagné d’un caméraman qui le filme tout au long de son escapade en terre festive. La fin du set est du même acabit avec l’enchaînement “Elle me dit”, “Grace Kelly”, qui l’a fait connaitre du grand public, et “Love Today” en titre de clôture. Les Francos ont joyeusement basculé dans la folie ce jeudi soir. Il en sera ainsi jusque dimanche avec notamment Cali qui viendra clôturer le festival, la promesse d’autres moments complètement fous.

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