Incontournable cette année, Julien Doré revient en Belgique pour plusieurs dates (cet été et fin de l’année). L’occasion pour Scènes belges d’essayer de mieux comprendre un artiste hors normes.
Trois albums, de nombreuses récompenses, de fameuses collaborations, un beau projet de reprise d’un album mythique de Daho, un titre d’homme le plus sexy de l’année, une tournée sold out, des dizaines de milliers d’albums vendus.
Quel est le regard que vous portez sur le chemin parcouru depuis « La Nouvelle Star » jusqu’aujourd’hui ?
Julien Doré : Le parcours est joli vu comme ça. Mais ce n’est qu’une vision limitée qui résumerait le temps que je passe à essayer de faire des choses. Personnellement, j’ai beaucoup de mal à analyser mon propre travail. Si je me mettais à regarder ce que je fais en prenant de la distance, pour moi, ce serait une perte de contact avec le plaisir que j’ai de faire de la musique. Je peux difficilement mettre des mots sur ce que j’ai vécu car je suis en perpétuelle recherche, je ne veux pas me retourner sur ce qui est acquis. Je ne veux pas m’asseoir et regarder ce que j’ai fait, je ne veux pas m’arrêter de chercher et d’avancer. Il y a trop de choses devant.
Quand je regarde par exemple la Nouvelle Star, c’est toujours avec beaucoup de joie et de tendresse. Ce concept m’a montré comment je pouvais utiliser ma sensibilité, comment je pouvais mettre ma voix et qui je suis au service de chansons écrites par d’autres. Ça m’a remis en question, ça m’a fait réfléchir sur ma démarche artistique. C’était un premier souffle de liberté et de possibilités.
Là, je rentre de la Rochelle, on a y repris l’intégrale de l’album « La notte, la notte » d’Etienne Daho, ce fut une belle création qui m’a nourrit. En me mettant au contact des textes et mélodies d’autres artistes que j’aime, je me sens inspiré. Tous les duos que j’ai pu faire sont d’abord des rencontres. Je ne me dis jamais je veux chanter avec cette personne. C’est l’évidence du moment de la rencontre qui crée l’envie de chanter ensemble. Je viens de ressentir ça avec Lavilliers. J’ai la chance de ne jamais avoir eu de pression dans ce domaine.
Ce rapport aux mots, aux sons des autres, je l’ai notamment ressenti sur le film de Pascale Ferran « Bird People » où j’ai repris Gainsbourg. Je suis intimement persuadé que les chansons ont plusieurs vies, une chanson existe sous différentes formes, elle offre tous les champs des possibles.
Mes propres chansons aussi, j’essaie de les récréer sur scène, que ce soit déjà une réincarnation de la chanson originelle. On joue sans séquence, tout ce qui sort de nous sur scène est joué dans l’instant réel. Il y a la fragilité de l’instant, il y a un vrai enjeu. Je pense que sans enjeu il ne peut y avoir d’envie. Parfois sur le Web je vois des reprises de mes chansons ça me touche. Une chanson ne nous appartient pas.
Les victoires, les récompenses, les titres pour moi c’est peu de choses. Ce que je vis c’est tellement une autre dimension. Je ne me dis pas je suis nominé aux victoires, je suis celui qui a été élu homme le plus sexy de France. Quand je me regarde dans le miroir, je me déteste aussi certains matins. Je ne comprends pas toujours ce que les autres projettent en moi. Parfois, j’ai l’impression que c’est une folie. Pour moi, au final, ce ne sont que des jets de cotillons sur une lame de fond beaucoup plus profonde. C’est grâce à ça, à ce projet ancré au fond de moi que j’ai envie de vivre ma vie. La musique m’anime, je suis fait pour chanter, pour jouer. Dans toutes les conditions, j’ai envie de me lever le matin et d’aller me nourrir de ces rencontres. J’essaie de prendre soin de moi, de me reposer, de vivre sainement. J’ai rarement été vide en me levant le matin. J’ai la peur d’annuler un concert, ce serait comme si on m’enlevait un membre. C’est assez cruel à vaincre au final.
Vous décrivez une démarche artistique très construire et pourtant on sent chez vous une grande part d’animalité. Quelle est la part de artistiquement réfléchi et de l’instinctif dans votre travail ?
JD : Ma formation artistique aux Beaux-arts est digérée, elle me sert de manière instinctive pour aller conquérir le beau, pour sensibiliser à l’ouverture du regard. Elle m’aide à aller chercher ce qui peut nous faire avancer. Quand on avance, c’est l’époque qui avance. En ce sens, en effet, ma démarche artistique est réfléchie mais sans être intellectualisée. Dans mes réalisations, mes textes, mes pochettes, mes clips, je ne m’appuie pas sur cette formation de manière consciente. Elle est présente, elle a fait de moi celui que je suis aujourd’hui.
Je crois beaucoup en l’instinct aussi. Cela caractérise notre animalité. J’ai intégré mon instinct et mon ressenti dans ma musique. En tant qu’humain, on essaie souvent de le masquer mais on sait que cela reste présent au fond de nous.
J’aime regarder, écouter, observer. En ce moment par exemple, j’écoute du hip hop américain. Mais ça part dans tous les sens. Je n’essaie pas de comprendre ce que cela peut m’apporter artistiquement, je le vis et je sais qu’à un moment cela aura une influence sur ma création. Où, quand, comment, je n’en sais rien.
Cette tournée vous a emmené dans des lieux très particuliers, des théâtres, des forums, des arènes, pas de zénith ou de grandes salles. En quoi était-ce un choix ?
JD : J’aime jouer. Et j’aime intégrer ma création scénique dans l’espace. En ce moment, je vis beaucoup de moments liés à des cadres magnifiques. J’aime les lieux dans lesquels je joue. J’ai l’impression que les lieux hébergent notre histoire, j’aime leur puissance. Je n’aime pas les zéniths, trop métalliques qui créent de la distance. Sur cette tournée, on joue dans des théâtres, dans des festivals très beaux, sur des places, face à des monuments. J’aime la force des lieux, jouer avec, je travaille avec l’espace, je ne veux pas lutter contre un espace. Je préfère m’en emparer et l’utiliser pour sublimer la musique et le spectacle. J’aime confronter mon histoire de faiseur de chanson contemporain avec le lieu et son vécu souvent lourd d’histoire et de souvenirs.
On vous sait proche de la Belgique, que vous aimez y jouer, que certains clips y ont été tournés. Avez-vous jamais envisagé de vous y installer ?
JD : J’aimerais avoir la double nationalité mais de manière poétique, avec les raisons et les attaches que vous citez. Mais la démarche ne serait pas comprise dans mon pays où on ramènerait ça à l’argent alors qu’aujourd’hui, si on regarde ce que gagne un artiste, on peut sourire. J’aime la Belgique, son surréalisme, sa poésie, sa folie. Mais il faut être un peu belge pour le comprendre.
C’est sur ces mots empreints de tendresse et de gentillesse pour notre pays que Julien Doré prendra congé, comme il est venu. Sourire sincère et regards bienveillant. Sa démarche chaloupée (à l’image de celle du lion qui illustre son dernier album), sa disponibilité, la profondeur de l’échange confirment ce que l’on dit de l’artiste dans les couloirs. Il est grand, original, talentueux mais surtout honnête et bien ancré. Julien Doré est quelqu’un de bien à l’intérieur et ça se voit à l’extérieur. Il est beau et sexy mais pas que …
Julien Doré sera à Ronquières ce samedi 2 août, le 13 octobre à la Maison de la culture de Tournai et le 2 décembre à l’Ancienne Belgique de Bruxelles.