Un peu à la manière du fêtard qui n’arrive pas à aller se mettre au lit, appréhendant le moment fatidique où il devra mettre fin à la soirée de l’année, le Rocktobre arrive sur le tard… Mais avec l’intention très louable de clôturer comme il se doit une saison 2013 de festivals riche à souhait. Malgré une belle programmation, dont on a beaucoup apprécié l’éclectisme, le public ne s’est pas déplacé en masse, mais il semblait savoir pourquoi il était là.

Après trois ans d’absence, l’organisation du Rocktobre a pourtant mis le paquet pour faire de ce grand retour une réussite. Entièrement couvert, le festival au coeur de Genval était pourvu de deux grandes scènes, occupant des chapiteaux communiquant, sur lesquelles se sont succédés les concerts avec une ponctualité rare. Alors, pourquoi le public n’était-il pas au rendez-vous? Peut-être à cause du match Belgique-Croatie du vendredi soir, mais surtout, selon nous, à cause de tarifs un peu exagérés. Si le pass “2 jours” était au prix abordable de 25 euros, les entrées à la journée étaient respectivement à 15 et 20 euros. Et ce n’est pas les boissons à 2 € d’un bar ne proposant que de la pils et de la kriek qui pouvaient rattraper le coût. Nous aurons cependant passé un excellent weekend au son de concerts de grande qualité !

La soirée s’ouvre sur la qualification des Diables Rouges à la Coupe du Monde, le tout retransmis sur écran géant (bien vu !). Que demander de plus? C’est donc avec la banane et les mots «Lukaku champion» sur le bout des lèvres que le public – restreint mais chaud bouillant – se jette sur Purpleized, premier concert du Rocktobre 2013. Les p’tits gars de Rixensart et leur chanteuse dévouée nous offrent un ska simple et efficace, délicieuse mise en bouche dont on retiendra le flot de rap artisanal mais impeccable dans son genre de la seconde voix.

C’est ensuite The 1984 qui enchaine dans un tout autre genre. Proposant un metal pur jus, The 1984 est le genre de groupe dont on apprécie la technique, même si l’on n’adhère pas complètement au style. Chaque morceau contient sa dose de solo de guitare déchainé, dont la seconde vocation semble être d’offrir au chanteur les indispensables occasions de balancer sa crinière d’avant en arrière. On constate d’ailleurs que le public habituel du groupe est absent puisque la masse capillaire des musiciens sur scène dépasse largement celle de la salle au grand complet. Le chanteur ne se laisse cependant pas démonter lorsqu’il se rend compte que personne ne connaît le premier album et arrive même à s’en réjouir : «On comptait vous faire une surprise avec une chanson inédite du second album, mais pour vous, elles sont toutes inédites ! C’est génial !»

Nous quittons le chapiteau au sol boueux, parsemé de flaques dues à l’infiltration de l’eau de pluie par les interstices de la bâche, pour rejoindre la scène principale, qui contraste par son sol sec, entièrement recouvert d’un plancher de bois. Ce que le chanteur de Cheeky Jack, qui nous attend armé d’une pop bondissante, n’hésite pas à relever de manière appropriée : «Bienvenue à Werchter, le concert précédent avait lieu à Dour…». Comme d’habitude, le groupe bruxellois affiche une bonne humeur incroyablement communicative, et dès l’intro du concert, célébrée par un détonnant “Black Sheep”, on constate que c’est eux que le public attendait. Arborant pour la circonstance le drapeau belge à la manière d’une cape, le chanteur de Cheeky Jack est une véritable pile électrique montée sur ressort. À grand coup de «Jump ! Jump ! Jump !», il nous envoie dans la tronche tout ce que la musique a de plus groovy, chevauchant habilement une pop-rock hip-hopisante, souvent teintée de dub et de ska. Alors que le groupe nous présente le prochain morceau à passer sur les ondes, on se surprend à retrouver un peu de Maroon 5 dans leurs influences.

The Meridians, quatrième groupe de la soirée, offre l’occasion de se reposer un peu avant le dernier concert, qui s’annonce enflammé. Les p’tits jeunes qui montent, qui montent, nous envoient une pop-rock alternative de très bonne facture, mais qui sonne parfois un peu trop à notre goût comme du rock à midinettes.

Et c’est alors à Bulls on Parade que revient l’honneur de clore cette première soirée de festival. Le cover-band flamand nous propose de revivre la folie des concerts de Rage Against The Machine, et ils n’y vont pas par quatre chemins. J’irais même jusqu’à dire qu’ils nous rentrent littéralement dedans, à sec et sans élan… Et qu’est-ce que c’est bon ! La musique et l’énergie qui se dégagent du groupe et du chanteur, à fond dans son rôle, nous attrapent à la gorge et déchaînent le public. Il suffit alors de fermer les yeux pour douter de la présence du véritable Zack de la Rocha. Le chanteur gagne encore un peu plus l’engouement de la petite foule lorsqu’il adresse une chanson à Bart de Wever, «parce que vous n’êtes pas wallons, nous ne sommes pas flamands, nous sommes tous belges !» Décidément, le plat pays est à l’honneur ce soir ! Et c’est un véritable incendie qui se propage jusqu’à la fin du concert, c’est-à-dire jusqu’à l’inévitable Killing in the name of, qui a le pouvoir de faire danser tout le monde, même les barrières de sécurité… Il faut dire que le plancher vibre tellement sous les assauts acoustiques que des pulsations vous remontent littéralement dans les jambes et poussent les plus réservés à se dandiner malgré eux.

C’es le heavy rock et l’attitude grunge de Shoot The Pin-Up ! qui ouvrent à 18h les festivités de ce deuxième jour du Rocktobre. Dommage, le public n’est pas encore là pour leur rendre hommage comme il se doit… Les jeunes néo-louvanistes ont pourtant une corne d’abondance pleine de dynamisme à partager. Le chanteur, qui n’hésite pas à quitter la scène pour rejoindre le plancher des vaches et adresser un couplet à chacun de ses spectateurs, garde sa bonne humeur même lorsqu’une coupure de courant interrompt la fin de leur set.

La soirée continue avec Autorecall Supervizors, qui nous demandent de réserver un accueil chaleureux à Nico, « dont c’est le premier concert avec nous ». Et quelle bonne surprise de constater que le Nico en question, «qui n’a répété qu’une heure» avec le groupe, n’est autre que le chanteur de The 1984. Je ne pourrais présenter mieux le rockband et son chanteur ultra-charismatique, Wolfgang Bang, qu’en reprenant leurs propres mots : «Autorecall Supervizors ou quand un acteur de porno reconverti en crooner polytoxicomane rencontre un fightclubber psychopathe».

À 20h, Houya One apporte un peu de fraîcheur à la soirée. Investissant la grande scène, le bruxellois Christophe H., accompagné de ses musiciens, nous emmène à la croisée des chemins entre le Rock alternatif, la pop, la funk, le folk et le reggae, le tout relevé d’une exotique pointe de raï. Le son est malheureusement un peu brouillon et ne permet pas bien de saisir les paroles du seul groupe de la soirée qui chante en français.

Puis, Beautiful Badness nous replonge dans un rock calme et pénétrant, incarné par une voix claire et posée qui rappelle tantôt Coldplay, tantôt Muse. On assiste à une époustouflante envolée sur le titre Slipping Away et on s’émerveille devant une reprise à la sauce pop-folk de «We will Rock You», menée de mains de maître par un piano dominant. Le groupe nous enthousiasme plutôt dans ces morceaux langoureux que dans ceux qui virent au “rock à patates”.

Puis, à 22h, ceux que la plupart des gens attendent montent sur scène. Les Elvis Black Stars débarquent avec prestige sur le premier “light show” digne de ce nom de la soirée. Des lumières blanches percent l’obscurité d’une scène plongée dans le noir et éblouissent magistralement le public, annonçant le show lourd et sexy des jeunes Andennais dont la notoriété grimpe à toute allure. Le rock alternatif de Elvis Black Star est indéniablement à découvrir en concert, plutôt que sur l’album, tant leur génie tient à leurs prestations suintant la sueur et la rock’n’roll attitude. Ils assument un show sans temps mort, planant en permanence parmi les sommets. Alors que la voix du chanteur, Augustin Dujeux, s’épanouit dans les hauteurs, le rapprochement avec le timbre de Liam Gallagher, le chanteur d’Oasis, nous saute à l’oreille.

Vient ensuite Juke Boxes, dont on sortira un peu déçu, tant on nous en avait dit du bien… Il faut dire que si le groupe a le mérite de construire ses propres sonorités, réinventant la pratique des instruments pour une approche non conventionnelle de l’indie-pop et du rock alternatif, le peu de présence et de communication sur scène empêchent la sauce de prendre. On aurait aimé les voir un peu plus se réjouir de ce qu’ils font, et prendre du plaisir à partager avec le public… aussi réduit soit-il !

Et puis vint Superlux… Enfin ! Que dire sur ce concert qui nous a consumé jusqu’à la dernière étincelle d’énergie sinon qu’ils nous ont fait vivre un incroyable voyage au coeur d’une électro-pop-rock aussi atypique que délectable. On se retrouve véritablement hypnotisé par ce qui se déroule sur scène, incapables de quitter des yeux l’ensorcelante Elena Chane-Alune, possédée par sa propre musique… Une fois pris dans le piège Superlux, on n’en ressort qu’avec le rallumage des lumières. La montée est longue et puissante, le temps distordu, et l’atterrissage brutal. Le final est grandiose et les quelques dizaines de personnes qui composent le public suffisent à faire remonter sur scène les cinq liégeois pour un rappel forcé. Les pieds martèlent le sol et les applaudissements s’accompagnent de tonitruants «we want more » !

Le mot de la fin reviendra à Nicolas Muselle, chanteur de Superlux : « Public du Rocktobre, vous êtes incroyables ! Vous n’êtes pas nombreux, mais qu’est-ce que vous êtes chauds !!! »

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