Les années nonantes avaient vu émerger une vague d’artistes étiquetés trip-hop, s’infiltrant dans la brèche ouverte par Massive Attack et qui avait popularisé ce style jusque-là peu calibré pour la bande FM généraliste. Dans cette vague on retrouvait notamment les Anglais de Sneaker Pimps, emmené par un certain Chris Corner. Après trois albums et une notoriété internationale en pleine croissance, Chris Corner décidait d’ouvrir une parenthèse artistique en lançant son projet solo sous le pseudonyme d’IAMX. Très rapidement, cette parenthèse s’est transformée en activité principale, au point que 20 ans plus tard, IAMX soit sont projet principal, évoluant artistiquement et commercialement de manière toujours plus alternative. Dès les débuts, une solide et fidèle fanbase se créa, à l’affût des moindres faits, paroles et sons proposés par un Chris Corner qui s’applique à entretenir le lien avec cette fanbase tout en y intégrant une bonne dose de brume et de mystère. C’est donc dans une AB Box bien remplie qu’IAMX s’est présenté ce mardi soir à Bruxelles.
C’est tout d’abord le duo turc de DUCTAPE qui monte sur scène dès 19h30. Durant un petit trois quarts d’heure, ils déversent un mélange de post-punk et de darkwave aussi qualitatif que quantitatif. La demoiselle au chant et aux synthés est complétée par son binôme guitariste qui fait débouler les notes et les accords hypnotiques à vannes grandes ouvertes. On en profite également pour passer par le bar prendre une petite bière (nous rappelons bien entendu que l’abus d’alcool nuit gravement à la santé, tout comme la cigarette et la tektonik) et nous nous rendons compte que le public de l’AB est plus que majoritairement francophone ce soir. IAMX constitue en effet une sorte d’exception dans le paysage sonore des musiques de l’ombre à tendance synthétique. Celles-ci attirent en général un public en provenance massive du Nord du pays. Il est vrai que dès le début du projet, IAMX avait bénéficié d’un gros support médiatique du côté francophone, notamment par l’intermédiaire de la défunte et regrettée Pure FM.
Les années passent et la tournure artistique d’IAMX se veut toujours plus brute et pointue à la fois, prenant petit à petit distance avec les titres aux sonorités plus radiophoniques (on ne parle pas non plus de popsongs) des débuts, comme une plongée dans les entrailles d’un genre musical aussi torturé qu’excitant et troublant. Déjà à l’époque, IAMX se démarquait dans le paysage musical de l’électro-rock, alors en pleine explosion, en proposant une identité visuelle forte, doucement sulfureuse et accompagnée d’émotions à fleur de peau. Là aussi, Chris Corner a continué à renforcer cette identité pour évoluer vers quelque chose de plus frontal.
C’est donc tout logiquement dans la pénombre que le concert débute. Des projections psychédéliques et brouillées apparaissent au ralenti en fond de scène alors qu’une batterie martiale se fait entendre. Celle-ci est rapidement rejointe par des choeurs fantomatiques et un piano aux sonorités faussement désaccordées. Ce piano étrange fait lui aussi partie de l’identité sonore d’IAMX. Alors que trois musiciens sont déjà sur scène, Chris Corner monte ensuite sur scène et, dès les premiers instants, enchaine les envolées lyriques fragiles ou plus rauques tandis que les boucles électroniques remplissent le reste de l’espace sonore encore disponible. Cette arrivée sur scène place le chanteur dans une position de leader incontesté, suscitant une fervente admiration auprès des fans. D’ailleurs, personne n’est dupe : IAMX existe uniquement car Chris Corner y donne vie, le jour où il décidera de débrancher les amplis et les machines, personne ne les rebrenchera ensuite. Il s’agit d’une entité liée de manière quasi-exclusive à sa personne où les musiciens, bien que jouant un rôle actif et créant une cohésion de groupe avec Chris Corner, restent sous les ordres de leur charismatique maître de cérémonie.
Charismatique et masqué, puisque c’est avec le visage caché derrière un étrange accoutrement aux airs de catwoman bodybuildée et plumée, plus SM que la version originale et flirtant avec l’imagerie de certains films d’horreur bien tordus, que Chris Corner débarque sur scène. Du coté des musiciens, le cuir et le noir domine et, notamment chez la bassiste où il n’y a pas beaucoup de matière pour dissimuler un corps qui semble en ébullition. Cela nous donne un ensemble visuel de la scène qui transpire le sexe et l’érotisme, tout le monde étant déjà à moitié nu sur celle-ci. Cette scénographie est habillée (c’est le cas de le dire) d’un lightshow où la pénombre et les contre-jours dominent de manière dynamique et intelligemment construite. Bref, nous souhaitons bonne mXXXX aux éventuels photographes accrédités pour en tirer quelque chose d’exploitable.
Musicalement, il se passe également beaucoup de chose sur scène avec une première partie de set tournée vers les deux derniers albums en dates, « Fault Lines 1 » et « Fault Lines 2 ». Les beats sont bruts et frois, le batteur frappant régulièrement sur un fut en métal, tandis que de grosses lignes de basses et synthétiques rugueuses font trembler l’AB, confirmant le virage artistique plus radical et brut pris par IAMX depuis plusieurs années, notamment caractérisé par des séquences rythmiques plus complexes au premier abord et demandant une écoute plus attentive. Petit à petit, le concert prend de l’envergure et la prestation scénique et musicale du groupe devient plus forte, plus massive et féroce. IAMX appartient à ces groupes qui proposent sur scène des versions adaptées à l’expérience du live, offrant une vision plus vivante et intense que celle de l’environnement asseptisé d’un studio d’enregistrement.
A partir du titre « After every party I die », le rythme se fait plus intense, le son plus massif, puissant et métallique. La délicatesse fait petit à petit place à une force de frappe efficace qui transforme l’AB en chaudron bouillant sur « Spit it out », « The great shipwreck of life » et « I come with knives ». IAMX continue d’enfoncer le clou pour mettre tout le monde d’accord avec « The alternative », là aussi dans une version solide et musclée, presque industrielle, alors que la version studio du titre étant déjà fortement chargée. Même le titre « Bernadette, étrange valse désacordée, se voit transformée et renforcée. Le batteur continue à matraquer durement ses cymbales et ses futs avec la précision d’un robot mais avec la conviction bien vivante d’un humain. Le constat est le même avec la voix de Chris Corner où les quelques effets qui y sont placés le sont avec justesse.
C’est finalement du chant de Chris Corner et des notes et choeurs de la claviériste que provient ce romantisme glamour, sensuel et dramatique qui participe aussi à l’univers d’IAMX. Tout ça n’est que le prolongement et la conséquence directe engendrée par ce projet qui a trouvé son origine du coté de Berlin, se nourrissant des mouvements culturels, alternatifs et historiques à l’oeuvre dans la capitale allemande. Bien que Chris Corner soit aujourd’hui basé du coté de Los Angeles, cette influence berlinoise reste bien ancrée dans l’ADN du projet. La lumière se rallume et nos yeux mettent quelques secondes à se réhabituer à un niveau d’éclaire normal après 1h45 de plongée dans les lieux secrets d’une ardente vie nocturne et musicale désinhibée.
SETLIST – IAMX – Ancienne Belgique – 20/05/2025
The ocean – Disciple – The X ID – Sailor – Aphordisiac – After every party I die – Grass before the scythe – Break the chain – I come with knives – Neurosymphony – Exit – Spit it out – The great shipwreck of life – The alternative – No maker made me – Bernadette – Mercy