La saison 2023 des festivals est maintenant bien lancée. Chaque week-end nous offre son lot d’événements organisés aux quatre coins du pays. Nous ne sommes cependant pas encore entrés dans la période la plus dense où les grosses machines vont drainer des dizaines de milliers d’amateurs de musique et/ou de fête. Nous avons profité du jeudi de l’Ascension pour prendre la E40 en direction de Gand et partir à la découverte du DUNK! FESTIVAL. Ce festival prenait ses quartiers, durant trois jours, dans l’élégant cadre du Centre Culturel Viernulvier (anciennement nommé Vooruit). Les têtes d’affiche pour ces trois jours se nommaient God Is An Astronaut, Amenra, We Lost The Sea et Mono. Des noms qui n’évoquent probablement pas grand-chose pour le grand public mais qui font briller les yeux et frémir les oreilles des amateurs de ces musiques labelisées « post-rock », au sens large de l’expression.

Sans bénéficier d’une notoriété débordante, le Dunk! Festival est connu et reconnu, bien au-delà de nos frontières, pour la qualité de sa programmation. Alors que nous pénétrons au sein du Centre Culturel, nous entendons effectivement parler aussi bien néerlandais, que français ou anglais. Il est à peine seize heures mais les différentes salles où les concerts ont lieu sont déjà très généreusement remplies d’un public attentif mais qui manifeste sans détour son enthousiasme à la fin de chaque morceau. Les festivaliers sont du genre à arriver dès l’ouverture des portes avec un furieuse envie de tout découvrir, tout écouter, tout voir et ne surtout rien rater. Ils sont également nombreux à déambuler avec plusieurs vinyles fraichement achetés dans le dédale d’escaliers et de couloirs tournoyants qui nous font rapidement ne plus trop savoir où nous sommes dans le bâtiment. Le Dunk! Festival, en plus de proposer des concerts, prend aussi des airs de marché musical pour les amateurs du genre. Chaque groupe présent à l’affiche bénéficie de son espace merchandising pour vendre ses CD, vinyles, cassettes et autres textiles. Si on n’y prend pas garde, il y a moyen de faire très mal à son portefeuille tant le choix est riche, avec des éditions limitées et exclusives, etc. Les festivaliers vous expliqueront qu’ils investissent pour un plaisir sonore sans fin (argument que nous cautionnons entièrement).

L’atmosphère et l’ambiance du Dunk! Festival ont quelque chose de très particulier : il y a de la décontraction et de l’enthousiasme, énormément de passion, un très grand respect des festivaliers entre-eux et vis-à-vis de l’ensemble des artistes faisant partie de la programmation. Nous avons l’impression de participer à une convention annuelle où chacun est heureux de se retrouver parmi les siens pour trois jours. Il y a quelque chose de l’ordre de la tribu communautaire mais sans que personne ne le nomme ainsi. Chacun est accueilli par les organisateurs et les autres festivaliers sans distinction ni éllitisme mais avec le point commun de partager une passion pour la musique et un certain goût pour les guitares électriques et les ambiances cinématographiques aussi crépusculaires que contemplatives ou tempêtueuses. Le format « trois minutes trente » fait par contre ici office de blasphème absolu.

Un autre aspect donne au festival un caractère singulier : le Vooruit Café qui annexe le Centre Culturel. Il est possible de simplement y boire un verre mais aussi d’y manger un croque-monsieur, une assiette de pates où un plat typé brasserie. Pas de food-truck avec des frites pas assez ou trop salées, de pizzas au goût de rien ou d’hamburger servi dans un pain botoxé avec du vide. Enfin, il nous est impossible de ne pas évoquer le cadre architecturel du Centre Culturel : quelque part entre art nouveau et art déco, nous avons l’impression de plonger dans un environnement historique où le temps semble s’être figé sans que rien ne se détériore : il y a des hauts-plafonds et des balcons avec des moulures et des fresques, il y a des vitraux, il y a du parquet, il y a des sièges en velours dans la salle du théâtre. Nous sommes à des années lumières des salles modernes aux standards communs et aseptisés sans pour autant que la qualité sonore et d’accueil des spectateurs en subisse le moindre désagrément. Bien au contraire.

Bon sinon, en dehors de tout ça, on a aussi assisté à pas mal de concerts. C’est avec les Portugais d’INDIGNU que nous avons entamé notre périple du jour dans la grande salle : au programme, des guitares, acérées mais aussi douces, des passages aériens et des envolées électriques. On apprécie la présence de la violoniste qui utilise de temps à autre son instrument pour le faire sonner telle une guitare, faisant vibrer avec ses doigts les cordes de celui-ci. Les seuls voix en provenance de la scène, sont utilisées sous la forme de vocalise, devenant ainsi un instrument parmi les autres. La musique d’Indignu nous renvoie régulièrement vers des ambiance de sombres westerns rougeoyants. L’autre avantage de ce genre de concerts : des tableaux de lumières sublimes, tout en contre-jour où les musiciens se retirent dans la pénombre pour laisser le champ libre à ces visuels lumineux et à l’évasion émotionnelle des festivaliers. Ils sont nombreux à s’immerger dans les mélodies et ces ambiances sans frontières en fermant les yeux au milieu de la foule pour laisser leur imaginaire et la musique diriger leurs sensations, sans pudeur. Ces scènes se répètent tout au long de la journée et au fil des concerts.

Nous prenons ensuite la direction des sommets du Centre Culturel pour atteindre la Doomzaal pour assister durant quelques minutes au concert d’HELLVETE. Ce dernier propose une musique atmosphérique à base de synthés dans un environnement minimaliste, juste éclairé par une ampoule pour percer l’obscurité totale de la salle. Nous redescendons ensuite vers la Balzaal pour le set des Péruviens de KINDER. Ils proposent un rock instrumental aux sonorités électroniques et rythmées. Ils évoluent quelque part entre post-rock, math-rock et synthwave. Là aussi, le recours aux voix, prend la forme d’incantations pour venir construire une atmosphère sonore. Ils font eux aussi le plein de festivaliers. Vous l’aurez remarqué, l’affiche du festival est du genre internationale, les programmateurs se faisant un devoir de proposer une affiche qui allie découverte et qualité, quitte à aller chercher les groupes à l’autre bout du globe.

Retour dans la grande salle pour le set de LOUD AS GIANTS. Il s’agit d’un projet belgo-britannique à base de guitares, de loops, de reverbs et de quelques rythmes lourds envoyés par un PC. On évolue entre des atmosphères étoilées et d’inquiétantes et lentes brumes électriques et telluriques. On serre parfois (avec joie et plaisir) les dents pour absorber les lignes de basses envoyées à haute fréquence et haut volume. La seconde partie du set prend une tournure plus dynamique et portée par des beats doucement syncopés, sur fond de lignes de guitares et de sonorités électrisées s’étendant dans d’infinies plaines sonores. L’utilisation d’un archer pour caresser fermement les cordes de guitare rend toujours un son particulier en plus d’un aspect visuel toujours élégant. Le set n’aura été qu’une seule et unique plage sonore traversant de grandes et magnifiques étendues sauvages jusque-là inexplorée et restée dans leur état naturel, proche de l’Eden.

C’est avec les roumains d’AM FOST LA MUENTE que nous prenons le virage du début de soirée dans une Balzaal surbondée. Ceux-là sont franchement tournés vers des chevauchées mélodiques étincelantes (merci les sonorités de guitares claires) tout en restant nerveuses et électriques à souhait. Leur musique nous évoque par moment celle des Tournaisiens d’Endless Dive. En fin de set, ils envoient un titre plus dur, avec quelques riffs bien bruts mais les accords et mélodies qui s’envolent ne sont jamais bien loin malgré tout. Le concert s’achève avec quelques notes de guitares égrenées une à une. Ovation et prise d’assaut de leur stand de merchandising suivent logiquement.

Retour à la grande salle pour vivre la fin des temps avec GODFLESH. Le duo guitare-basse lance son set avec une intro en forme de larsens plus qu’aiguisés. Nous sommes plongés dans un décor lugubre. Ils ne sont que deux sur scène mais ils balancent une fameuse oppression sonore. Les cordes des guitares et des basses passent un très mauvais moment et hurlent toute leur douleur. La basse racle et crépite pour tester la résistance des enceintes et des amplis. Un chant guttural et sombre semble s’extirper des entrailles des limbes de l’enfer. Les attaques sonores sont énormes et massives. Godflesh est un vrai rouleau compresseur qui n’épargne personne et qui n’est pas là pour dorloter les festivaliers. La cadence est dictée par une batterie métallique, presque indus, le tout dans une tempête de stroboscopes. En fin de set, un long et douloureux larsen fait littéralement fuir les festivaliers assaillis de toutes parts depuis près de trois quart d’heure. Il n’y a pas le moindre soupçon d’espoir ou de clairvoyance à l ‘horizon, et même bien au-delà. La démonstration sonore est cependant ahurissante et nous a captivé d’un bout à l’autre.

Nous faisons ensuite un fameux grand écart en prenant la direction du magnifique théâtre pour le set de la Suédoise MARIA W. HORN. La jeune femme propose un travail aussi minutieux que délicat à base de synthés analogiques. Dommage qu’elle soit si loin sur scène, nous empêchant de profiter pleinement de son travail de création sonore qui bénéficie d’une parfaite acoustique. Elle construit tout d’abord une atmosphère sonore résonnant comme une sirène anti-aérienne s’évanouissant lentement. Elle est ensuite rejointe par huit choristes pour une lancinante incantation sur fond de nappes électroniques froides. Cet ensemble de machines et de voix nous emmène à mi-chemin entre un étrange laboratoire sonore et un voyage intérieur aux airs messianiques. Ce sont ensuite d’intenses sons de clavecins qui émergent des enceintes, accompagnés par le chant puissant et habité des choristes. Une expérience aussi déroutante qu’hypnotisante.

Nous finissons la soirée dans la grande salle pour le concert de la double tête d’affiche du jour : les Irlandais de GOD IS AN ASTRONAUT accompagné de la violoncelliste anglaise JO QUAIL. Le groupe écume les terres sauvages d’un post-rock mélodique, poétique mais aussi tumultueux depuis plus de vingt ans maintenant. Ils se distinguent depuis longtemps par l’utilisation de synthés pour rajouter des couches sonores à leur musique, la rendant ainsi probablement plus accessible. Le titre « All is Violent, all is bright » en étant probablement la plus belle illustration. C’est donc en compagnie de la jolie JO QUAIL que le groupe monte sur scène ce soir pour venir rajouter une touche plus classique mais bien vénère à ses compositions. Le ton est donné dès le premier titre, avec une énorme ligne de basse qui gronde sur un rythme effréné, faisant littéralement vibrer les murs. Le son est énorme, massif mais jamais douloureux. Le lightshow est lui aussi colossal et dynamique à souhait. Les festivaliers en prennent plein la vue et les oreilles. 

God Is An Astronaut construit ses titres par l’ajout successif de couches sonores et de montées en tension mais aussi par des variations de gammes et de notes lorsqu’il s’agit de relancer avec bonheur les boucles mélodiques. Une fantastique tempête s’abat sur le Dunk Festival. Le bonheur est total lorsque, régulièrement, de véritables déflagrations de basses traversent nos corps, tels de multiples assauts successifs. On adore. On observe le public tanguer de plaisir au rythme de ces déflagrations. Et pourtant, nous n’avons jamais la sensation d’être malmené ou brutalisé par la musique, bien au contraire. Les apports du violoncelle se font entendre plus distinctement lors de passages plus aériens ou plus doux, comme sur « Frozen Twilight ». Visuellement tout ça en jette ! Le concert s’achève avec l’énorme « From dust to the beyond”. Les festivaliers exultent aux rythmes des dernières énoooormes vagues de riffs de guitare et de basses vrombissantes avant d’acclamer longuement le groupe qui vient de clôturer avec élégance et vigueur la première journée du festival.

Lorsque nous avions pris la route pour Gand en cours d’après-midi nous nous demandions si, au regard de la météo estivale du jour, nous avions fait le bon choix en décidant d’aller nous enfermer dans l’obscurité des salles du Centre culturel Viernulvier. A minuit trente notre hésitation a fait place à la certitude que ce choix était le bon. Et c’est à deux mains que nous signons pour revenir l’année prochaine nous perdre dans la programmation du Dunk! Festival, et durant les trois jours cette fois.

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