L’Ancienne Belgique nous accueille ce mercredi soir dans sa grande salle mise en configuration “Théâtre”, offrant uniquement des places assises aux spectateurs, en lieu et place de la fosse. Cette configuration avait été utilisée durant les différents confinements et leurs infinies mesures transitoires et alternatives imposées aux salles de concerts. Mais ce soir, c’est de manière délibérée que la salle bruxelloise prend cette configuration pour accueillir dans des conditions de confort optimales la jeune pianiste islandaise EYDIS EVENSEN venue présenter son deuxième album sobrement intitulé “The Light”. Évoluant quelque part dans ce que nous nommerons “la musique classique contemporaine”, elle s’inscrit dans la lignée d’autres artistes dont la musique, classique et moderne à la fois, prend des airs cinématographiques en créant des couleurs et des ambiances sonores raffinées et délicates.
C’est le Belge INNERWOUD qui ouvre la soirée avec une longue plage d’une trentaine de minutes. Il est seul sur scène avec une énorme contre-basse et une multitudes de pédales d’effets et d’enregistrements. Avec cela, il construit une ambiance sonore sombre, lugubre,lancinante et sous tension, le tout dans une obscurité à peine percée par une légère lueur venue du plafond. Les boucles sonores rauques et vibrantes s’en vont et s’en viennent dans toutes les timbres sonores qu’offrent cet instrument. Nous ne sommes pas dans une approche classique de l’instrument, nous ne sommes pas non plus dans une approche expérimentale caricaturalement inaudible et virant à la démonstration technique sans queue ni tête. Le garçon sait exactement ce qu’il fait et vers où il veut emmener le public de l’AB. Plongé dans une Nappe de brume et de fumigène, quelques éclairages sonores rougeâtres créent des tableaux visuels aussi minimalistes que percutant. Innerwoud n’est pas à mettre dans vos oreilles lorsque vous êtes d’humeur maussade mais son univers musical séduira un public avide d’atmosphères crépusculaires.
Place ensuite à EYDIS EVENSEN qui entre seule sur scène après que les voix angéliques du titre d’ouverture de son second album aient retenti dans les enceintes de l’AB. Elle s’assied devant les touches de son piano pour un premier titre délicat, en solo. Elle prend ensuite la parole, avec un ronronnant et savoureux accent islandais. Elles explique que c’est sa première tournée et qu’elle est honorée de jouer à l’AB ce soir. Elle en profite également pour présenter le quatuor à cordes (trois violons et un violoncelle) qui va l’accompagner pour la suite de la soirée.
Les morceaux, qu’elle nomme de manière très soignée comme étant des “pieces”, s’enchainent et vont explorer des mélodies et des ambiances intimistes, introspectives et sensibles. Elles s’en vont aussi vers d’autres contrées tourbillonnantes et aériennes, bien portées par les cordes. Le concert de ce soir s’apparente à une prestation classique comme on peut en voir à Bozar par exemple. Il y a ce quelque chose dans ses compositions qui nous rappellent l’œuvre de Ludovico Einaudi, où piano et violons viennent aussi flirter délicatement avec élégance. Lorsque les cordes se taisent, c’est pour permettre à la pianiste de déployer tout son jeu, ponctué de silences maitrisés entre les notes. Le jeu est toujours délicat, parfois sombre et grave, parfois fragile et étincelant, parfois lent, parfois enjoué, tel un voyage intérieur s’imprégnant de différentes émotions et sentiments de l’âme. La comparaison est facile mais tout cela s’apparente à une valse entre la glace et le feu des terres islandaises.
La mise en lumière est sobre et élégante avec la présence d’une petite boule à facettes que nous pourrions qualifier d’excentrique dans cet ensemble. Mais elle ne l’est pas car elle couvre la scène d’un parterre et d’un plafond étoilés, là aussi avec élégante. Tout cela permet une mise en scène sobre mais créant une atmosphère scénique contemplative et légèrement féérique. Le quatuor à cordes quitte la scène pour laisser Eydis Evensen conclure le concert avec un dernier titre virevoltant et s’achevant sur une dernière note qui vient se poser en douceur dans une AB qui retient son souffle. Après de longs applaudissements, c’est dans le grand hall de la salle que les spectateurs font la file pour échanger quelques mots avec l’Islandaise et repartir avec la version vinyle du dernier album dans les bras.
