C’est à l’été 2020, en pleine crise Covid, que nous avions découvert le charme des concerts au cœur du domaine de la splendide abbaye de Villers-La-Ville. La dynamique équipe qui gère le site multiplie en effet les événements culturels de toutes sortes depuis quelques années maintenant. Le théâtre avait depuis longtemps trouvé sa place au sein de l’abbaye. Les musiques actuelles y désormais aussi droit de cité. La soirée de ce samedi (qui affichait soldout) a ainsi vu Hooverphonic venir interpréter ses titres avec la classe et l’élégante sobriété qu’on leur connait. La fin d’après-midi et la soirée de ce dimanche ont vu pas moins de 7 groupes et artistes belges se produire sur les 3 scènes installées au sein de l’abbaye et de ses agréables jardins. Ce nouvel événement s’appelle L’ABBAYE EN SCÈNE et nous sommes allés voir en terre brabançonne ce que cette formule aux airs de festivals pouvait donner comme résultat.

A moins de vivre dans un autre pays, vous aurez constaté que la journée de ce dimanche a été plus qu’humide et pluvieuse. L’Abbaye de Villers-La-Ville n’a pas échappé à ces conditions météorologiques franchement peu engageante. Inutile de préciser qu’il fallait être courageux et s’équiper en conséquence : bottes, ponchos, k-way, parapluies, tout est bon pour se protéger de l’humidité ambiante du jour, mais ne soyons pas trop pessimistes.

En effet,  les dieux de la météo semblent se montrer cléments lorsque RORI monte sur la grande scène peu avant 17h. Le ciel est chargé mais les vannes en ont été refermées au préalable. Après un tout récent concert au Nuits du Botanique, la jeune chanteuse vient dévoiler les titres qui figureront sur son premier EP à venir. Dans un registre qui oscille entre pop, R’n’B et rock, elle réussit à captiver un public déjà présent en nombre sur le site. Accompagnée de deux musiciens, elle propose des versions finalement assez musclées de chacun de ses titres, parfois chantés en français, parfois en anglais. Le public le lui rend bien et ne déserte pas la plaine malgré le petit crachin qui s’est mis à tomber.

On se perd ensuite dans les ruines de l’Abbaye, ses cours et ses jardins, à la recherche de la scène où doivent se produire les Namurois de WINTER WOODS. Et pour cause, leur concert n’est est un des seuls de cet été. Le groupe a récemment annoncé sur les réseaux sociaux qu’ils allaient prendre un peu de recul afin d’assurer une suite digne de ce nom à leur très réussi premier album Rosewood. Avec un style posé et tranquille rappelant le duo belge de Barnill Brothers, mais aussi certaines compos folk d’Ed Sheeran ou de Lumineers, leur musique ne pouvait que trouver sa place au sein de l’Abbaye. Il manquait juste un petit feu pour que l’ambiance soit parfaite. Avec l’apport d’un violon et d’un traditionnel banjo, leurs compositions prennent un relief à la charge émotionnelle certaine. Là aussi le public est présent en nombre, et c’est sans amplification et au milieu de celui-ci que le groupe vient achever son set le temps d’un bœuf musical où ils interprètent un mashup de reprises de Mrs Robinson de Simon And Garfunkel et de Take me home, country roads de John Denver.

Retour ensuite vers la grande scène pour le concert de la jeune DORIA D, interprète de l’entêtant Dépendance. Elle vient présenter les titres de son premier EP et  aussi pas mal d’autres titres inédits. Elle doit jongler durant son set avec une météo un peu capricieuse et avec quelques soucis techniques probablement liés à l’humidité ambiante. Les titres de son déjà connus du public fonctionnent toujours aussi bien en live (spécialement Sur ma tombe et Hors Tempo). On est par contre un peu resté sur notre faim concernant ses autres titres inédits. Peut-être était-ce du au fait que c’était la première fois que nous les entendions ? A revoir et réentendre pour en juger de manière plus complète.

Il faut souligner la très chouette initiative des organisateurs avec la présence d’une interprète en langue des signes sur scène pour permettre à un public trop souvent exclu des concerts de pouvoir participer à l’événement ! L’ensemble des artistes ayant bénéficié de cette présence ont apprécié l’expérience et ont pris le temps de remercier l’interprète au cours de leurs concerts.

Nous prenons ensuite la direction de la magistrale nef de l’abbaye pour le concert de JUST VOX. Comme son nom l’indique, ce groupe composé de 5 chanteurs et beat-boxeurs proposent des reprises vocales dans un registre très très large allant de Netsky à Billie Eillish, en passant par l’electro-swing de Caravan Palace et la bande originale de Gladiator. La nef est bondée d’un public aussi attentif qu’enthousiaste d’assister à cette prestation vocale dans ce lieu un peu magique. Le groupe prend même le risque de s’attaquer à une reprise de L’enfer de Stromae. Le risque, car vu la singularité de la discographie de Stromae, on peut vite se prendre les pieds dans le tapis. Aussi, la version originale du titre bénéficiant déjà d’arrangements vocaux carrément dantesques, le pari était risqué. Mais ça fonctionne, et le beat-boxeur du groupe balance d’énormes basses qui font vibrer les murs de l’abbaye. Au milieu du titre, un couplet du titre Tout va bien d’Orelsan est adroitement inséré. Le public réclame encore un titre, mais le timing est trop serré.

La grande scène voit en effet débarquer le duo pop-rock de DELTA venu défendre en live son second album, Genre Humain, sorti en 2021. Accompagné de leur batteur, ils envoient le titre Taille Humaine pour lancer leur concert qui va prendre la forme d’une succession de titres aux mélodies et aux refrains accrocheurs comme Anomalie, En visant la Lune ou Comme tu donnes. Chez Delta, on possède un certain talent pour créer des morceaux accessibles au plus grand nombre sans basculer dans la facilité et la simplicité. Même le soleil a décidé de faire une brève apparition durant quelques minutes pur venir voir et entendre ce qu’il se passe sur scène. On apprécie tout particulièrement les envolées rock du duo où la guitare électrique se fait incisive et un peu sombre. Delta offre aussi de jolis moments intimes avec des titres comme Le verre de trop ou Un fils et son père, plus posés et débranchés. Le final du concert est plus rythmé et dansant avec Héréditaire (où le public se charge de faire les chœurs) et Nirvana.

On retourne ensuite vers la nef de l’abbaye pour le furieux et joyeux concert LOS PEPES. Avec leurs titres survoltés, ils dézinguent dans tous les sens : il est notamment question des riches du Brabant Wallon qui achètent des baraques partout, des féministes et des machos, de ceux qui s’emmerdent dans leur boulot et des artistes sans thunes. Les mélodies sont dansantes et les rythmiques percutantes et efficaces. Le public est à fond et saute partout dans la nef. L’apport d’une trompette donne un petit coté ska-punk bien robuste à l’ensemble. Ça raille dans tous les sens avec un humour potache mais grinçant, tout en faisant preuve d’une auto-dérision délicieuse. La météo se montre toujours relativement clémente, mais avec le concert de Los pepes, une tornade s’est quand même abattue sur Villers-La-Ville.

La nuit est presque tombée pour le concert de SAULE qui clôture la soirée sur la grande scène. Avec six albums au compteur en une petite vingtaine d’années, le gaillard en connait un filon pour faire décoller un concert. En plus d’être un compositeur de qualité, il a aussi le talent pour sentir un public. C’est donc tout logiquement sur scène qu’il a construit sa réputation de showman endiablé. Mais c’est avec douceur que son concert commence avec des titres comme Dare-dare ou Rebelle Rêveur issus du dernier album..

L’avantage de jouer une fois que l’obscurité s’est emparée de l’Abbaye, c’est que le public peut alors bénéficier d’une expérience visuelle plus immersive avec un lightshow sur mesure. Et à ce niveau, Saule a tapé très fort avec des véritables ambiances et atmosphères sur mesures pour chaque morceau. C’est ainsi que le titre Marta Danse prend une profondeur que l’on n’avait pas envisagée à l’écoute de la version “studio” du morceau. Saule ne se contente pas de venir réinterpréter des versions copiées-collées de ses titres tels qu’on peut les trouver sur CD : il y a un vrai travail d’arrangements pour que chaque titre puisse se déployer de manière libre en concert. Et c’est à ce moment là qu’on se rend-compte que Saule est une véritable bête de scène, bien soutenue et poussée par son band et particulièrement son guitariste. Avec ce dernier, Saule forme un véritable et bouillant binôme scénique, n’hésitant pas à lui laisser le champ libre à plusieurs occasions pour des solos aux accents de rock’n’blues.

Alors que Saule s’offre un petit bain de foule (en lâchant un jubilatoire “On va faire les choses comme avant, rien à foutre!”) et qu’un petit crachin vicieux et persistant tombe sur la plaine, le concert prend une tournure très rock et dense. Comme résonne tel un hymne bouillant qui fait danser le public. Le son en façade gagne ensuite un gros paquet de décibels pour lancer une version western et dance de Dusty men, avec un monumental final electro tout droit sorti d’un night-club survolté. Le guitariste de Saule assure quant à lui les parties vocales de Charlie Winston.

La fin du concert est carrément épique, et ça part en gros pogo intergénérationnel dans le public lorsque le band de Saule envoie le riff ravageur de Smells like teen spirit de Nirvana. Saule quitte ensuite la scène et c’est son guitariste qui revient armé de sa slide-guitar pour lancer une version très électrique du Chanteur bio. Alors que les rappels sont parfois des moments plus posés, Saule s’en fout et continue à passer les vitesses avec une joyeuse déraison pour Breathe et sa rythmique galopante. Et comme si cela n’était pas suffisant, les musiciens envoient un sample du titre Insomnia de Faithless, l’hymne dance planétaire en provenance des années 90. La plaine de l’abbaye se transforme alors en dancefloor où la petite pluie qui tombe parait bien mollassonne et n’arrive clairement pas à faire le poids pour plomber une ambiance de festival quasi-guerrière. Impossible de s’arrêter là : Saule revient donc pour un second rappel avec Nanana où chaque musicien part en solo comme dans Les Aristochats et sa folle farandole musicale. Le public se transforme quant à lui en tribune de stade de foot qui hurle la mélodie de ce dernier titre.
Les concerts de Saule ont cette particularité de toujours commencer en douceur avant que le grand garçon ne vienne craquer l’allumette qui fait basculer le concert dans une folie rock’n’roll qui rassemble petits et grands, où les timides se mettent à danser et chanter, où ceux qui étaient assis se lèvent parce qu’il est de toute façon intolérable de faire autrement, et où à la fin tout le monde est d’accord pour dire que Saule est le patron ! Concernant le déroulement général de cet événement, on a apprécié celui-ci en tout points : la qualité de la programmation entre valeurs sûres et découvertes, la beauté majestueuse du cadre et sa mise en valeur visuelle, des tarifs boissons et nourritures tout à fait abordables, des scènes petites et grandes avec un son de qualité. Enfin, il faut saluer l’organisation qui a du s’adapter et être réactives par rapport à des conditions météos franchement peu coopérantes. A l’année prochaine ?
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