Samedi, Scènes Belges était à la Maison de la Culture de Namur pour assister au concert d’Axel Bauer.
Ce dernier nous a accordé beaucoup de son temps avant son show pour répondre à nos questions. Vous trouverez dans son interview le discours d’un artiste engagé et indépendant, un musicien professionnel dans tous les sens du terme. Tantôt un homme qui revient sur son passé, ses origines. Tantôt quelqu’un qui dénonce le système actuel mais tout en gardant un regard optimiste sur le futur.
Au fur et à mesure de la discussion il parlera de son dernier album mais aussi de ses précédents, de la Belgique, de ses influences, de son autobiographie écrite récemment, de la défense des artistes en France comme en Belgique, du marché de la musique … Des sujets très variés qui en intéresseront autant les fans du chanteur que les musiciens.
Interview d’ Axel Bauer à la Maison de la Culture de Namur |
A l’occasion de son concert à la Maison de la Culture de Namur, Axel Bauer nous a accordé une très longue interview, dont voici les éléments principaux. Il nous emmène dans son monde, loin des questions habituelles de l’exercice. On y découvre un homme politisé, parfois militant, passionné, mais aussi calme et serein, à l’image de l’ambiance détendue de l’entretien. “Peaux de Serpents” Axel Bauer: Pour plusieurs choses. J’avais l’impression qu’au cours de cet album, il y a eu des transformations, il y a eu le fait que j’ai quitté ma maison de disques Universal avec laquelle j’étais en contrat, c’était une première transformation. Une transformation dans ma vie affective. Il y a eu des transformations dans les équipes qui ont travaillé sur cet album, j’ai rencontré des gens nouveaux, différents. J’ai eu la sensation d’un cycle qui recommence, et j’ai donc appelé l’album comme ça. C’est une métaphore. SB: Vous avez été signé par de très grandes maisons. Ici, vous avez redécouvert une certaine autonomie. Est-ce important pour vous de vous sentir aux commandes de tous les aspects de votre production ? AB: Quand vous travaillez pour un gros label comme Polydor, chez qui j’étais, ce qui s’est passé, c’est qu’il y a eu un changement de direction. Et comme dans toutes les entreprises, le nouveau directeur a viré les gens qui étaient en place pour placer son équipe. J’avais signé recemment dans ce label et je ne me voyais pas travailler avec lui et avec les gens qu’il avait mis en place. A partir de ce moment, soit je me pliais à la discipline du label, soit je m’en allais. Guitare et synthés: Axel Bauer, entre rock et électro AB: C’est plus original qu’un disque, plus facile à choisir (rires) ! SB: C’est important, le rapport à l’instrument? Cela vous aide dans une composition? Est-ce que c’est quelque chose qui peut être à la base d’un morceau par exemple? AB: Ah oui, totalement. Quand vous faites l’acquisition d’un nouvel instrument, ça veut dire un nouveau son, de nouvelles idées aussi. On ne joue pas de la même façon selon les guitares. Il y a des choses qu’on peut faire avec telle guitare et d’autres pas. Cela veut dire aussi de la musique différente. SB: Vous composez principalement à la guitare? AB: Non, en fait, je travaille parfois avec des synthés, des guitares, je mélange, même à la guitare j’ai des sons très “bruitistes” par moments. Comme c’est l’instrument que je connais le mieux, je me dis qu’à la fin, quand le morceau est fait, je dois pouvoir le faire dans son plus simple appareil, avec un seul instrument. Pour moi, c’est la base d’un truc pas trop mal foutu. S’il faut trop d’instruments pour restituer la chose, ce n’est pas pour moi. Mais par contre, c’est agréable, on a plein d’outils. Je suis assez sensible aux sons nouveaux. J’écoute aussi de l’électro. SB: On sent dans votre parcours musical, dans vos albums, ce côté électro dès le début. Je pense que “Cargo de nuit” était au départ du bidouillage de home-studio. AB: Oui. Beaucoup de synthés, des séquences, des choses assez régulières, mécaniques. SB: Vu d’ici, en Belgique, vous apparaissez dans le panthéon des rockeurs français. Vous comptez parmi les grandes personnes qui font partie du monde rock, et en même temps vous avez ce côté électro, qu’on va ressentir dans tous les albums, peut-être plus au début, un peu moins maintenant. Vous êtes un peu plus assagi, dans le dernier album, entre autres. Je vais prendre un Bertignac, par exemple, je ne sais pas ce qu’il ferait de l’électro. Chez vous, c’est quelque chose de caractéristique. AB: J’aime ça, le son neuf. Je suis quand même un peu hybride. J’ai écouté beaucoup de musique classique. J’ai pris des cours aussi de musique contemporaine et électro-acoustique, avec Yannis Zenakis, qui était un mathématicien qui faisait de la musique, qui est très connu. Donc, très jeune, à 17 ans, je travaillais déjà avec des sons d’ordinateur, des timbres, j’ai travaillé à l’Ircam avec Boulez. J’ai toujours été nourri de plein d’influences diverses. Les harmonies de la musique classique, le côté bruitiste de la musique contemporaine. Déjà en 1980, on donnait des cours à Jussieu. Et Il y avait déjà des séquenceurs qui tournaient, c’était déjà très moderne à l’époque, dans cette approche. New Wave… AB: Je n’étais pas tout seul. Il y avait Indochine, les Rita Mitsouko. On était toute une bande. Et d’autres moins connus: Jacno. Il y avait plein de groupes. On se retrouvait tous les soirs dans un club qui s’appelait le “Rose Bonbon” à l’époque. On buvait des bières, on discutait. On était très conceptuels. On voulait inventer de nouvelles musiques. Le punk venait de se terminer. On sortait du rock progressif, du psychédélisme. Il y avait toujours des courants qui arrivaient. Le hard rock, puis il y a eu un retour au rockabilly. Et nous, on arrivait et on disait que c’était “new wave”. On n’utilisait plus de disto à l’époque sur les guitares. Par contre, on mettait du phasing, du flanger, etc. C’est cela qui a donné un son. On a obligé les batteurs à jouer beaucoup plus comme des boîtes à rythme, des tempos reguliers. SB: En même temps, vous êtes revenu avec du gros son “Marshall”, comme dans ‘Mens moi”, “Alligator”, où on sent que ça décoiffe ! Vous êtes passé par toutes ces phases-là, et puis vous êtes revenu aux racines. AB: En fait, à cette période-là, parmi les gens que je côtoyais, il y avait aussi toute une attitude très snob, “Berlin”, etc. Très new wave, assez agressive, ce qui est un peu normal quand on vient d’inventer quelque chose. Et puis, quand on a 20 ans, c’est le rejet total du passé. SB: Oui, on sent cela. L’intro de “Mens-moi” est magnifique ! Cette façon dont ça éclate. Vous avez beaucoup de morceaux de cet ordre-là, on sent que vous êtes un rockeur dans l’âme. On sent que le fond, c’est du rock: “Guitare ! On se branche et on y va”. AB: Oui, j’essaie de le faire moins maintenant, mais on ne change pas. SB: Cette énergie-là, vous la ressentez encore actuellement? Le matin, quand vous vous mettez à travailler, dans la compo, est-ce que ça ressort naturellement? Ou est-ce que vous vous dites: “je me calme, je suis dans la cinquantaine, j’ai d’autres choses à exprimer” ? AB: Je n’ai pas l’impression de me calmer avec la GAM (Guilde des artistes de la Musique), parce que je me mets en risque aussi, ce n’est pas non plus de tout repos la GAM. C’est assez rock and roll ! France – Belgique ? AB: Oui, on n’avait pas joué beaucoup sur l’album précédent. On a dû faire une ou deux dates. Même si j’ai dû faire Spa quand même, j’ai dû le faire 5 fois, donc je suis venu quand même assez souvent, mais jamais à Namur: c’est la première fois. Ce n’est pas une envie de ma part de ne pas tourner là ou ailleurs, ce sont les circonstances. SB: La Belgique représente-t-elle quelque chose de particulier pour vous? Ou est-ce une étape comme les autres? AB: Comme tout Français, j’adore la Belgique ! SB: On se demande toujours pourquoi (rires). On est toujours étonnés de voir la façon dont, vous, les Français, voyez les choses. Qu’est-ce qu’on a de plus, de moins ou de différent? Je sais qu’en Flandre, l’accueil serait assez “froid”… AB: Déjà, c’est plus chaleureux. Et notamment, quand on vient faire la promo, quand on fait des interviews, on ne sent pas le côté qui peut être retors par moments en France: quelqu’un qui vous regarde et qui va vous poser des questions sur votre album. Et on sent que la personne a en tête le fait de vouloir vous casser. On est un peu plus sur la défensive. Alors qu’en général, les journalistes belges viennent voir quelqu’un quand ils l’aiment bien, sinon, ils ne viennent pas. SB: On est peut-être obligés de sortir de nos petites frontières. Ici, un artiste francophone en Wallonie va toucher 4.500.000 personnes au mieux; s’il n’est pas dans les radios d’état, la RTBF, il a beaucoup de difficultés à se faire entendre. Ou alors, il est vraiment dans du “mainstream”, mais on sait qu’il fera un an à ce moment-là. Ce n’est pas évident, il faut se battre. AB: Le FACIR, en Belgique, a organisé les états généraux de la musique. Ils invitaient des labels, des radios. On était invités par eux pour travailler et parmi les gens qui étaient dans l’assemblée, il y avait des gens très virulents avec les Français en disant: “ils viennent bouffer notre business, squatter nos zones radio”. En France, nous avons un système de protection qu’on appelle les quotas; les radios sont obligées de passer un certain pourcentage, 40 ou 50%, de musique française. En Belgique, vous n’avez pas de quotas, ou alors 4%. Vous n’avez aucune protection de vos artistes alors que normalement, il devrait être acté que la production à la radio belge devrait passer au moins représenter 40 ou 50% d’artistes belges. SB: On a des radios qui le font. Par exemple, le service public avec Pure Fm ou Classic 21. Ils vont vraiment se donner une mission, mais cela vient d’eux, c’est le directeur de la radio qui va promouvoir les artistes francophones et belges. AB: Cela dit, vous envahissez bien la France avec Johnny Hallyday, Stromae. C’est vrai que vous êtes dans un pays où l’espérance du disque d’or, je crois qu’en Belgique, à une époque, cela a dû être 50.000 alors qu’aujourd’hui, c’est 10.000. J’ai vendu 1000 disques en Belgique, chez PIAS, et là ils sont très contents ! Je ne sais pas combien vous êtes en Belgique francophone, +/- 4,5 millions, en France, nous sommes 60 millions, c’est normal que les chiffres de ventes soient multipliés. “Maintenant tu es seul”: l’autobiographie. AB: C’est une décision que j’ai prise. D’abord, cela ne s’est pas fait comme ça. J’ai fait une rencontre avec l’éditeur qui m’a demandé si je ne voulais pas écrire un livre. Je lui ai dit exactement la même chose que vous, j’avais même 46 ou 47 ans à l’époque et je me disais que ça n’avait pas d’intérêt. Il m’a répondu que si: l’histoire que je lui avais racontée là était géniale, le truc que j’avais vécu là, c’était super, que ça intéressait beaucoup de monde ! J’étais un peu en résistance avec ça. EB: Oui, c’est vrai, il y a l’épisode du Sahara, ou alors lorsque vous vivez dans une maison sans chauffage, dans une cave même ! On découvre là un homme très différent. AB: J’avais envie de faire plein de choses, en fait. Je ne voulais pas faire une seule chose. SB: Justement, dans votre autobiographie, il y a un passage qui m’a fait beaucoup rire, c’est quand vous imitez un animal avant de monter sur scène. Vous le faites encore? AB: Je ne le fais pas avec eux. On le faisait avec Laurent Griffon et Mathieu Rabatet (?) durant ma première tournée. En fait, ce sont des techniques d’acteurs pour se mettre dans la peau de ce qu’on va faire. On arrivait à rester des heures dans la peau d’un animal, on s’enfermait dans la loge et juste avant de monter sur scène, on frappait à la porte. C’était très drôle parce qu’on était vraiment dans cette concentration. SB: Vous avez le trac ? AB: C’est différent à chaque fois. Souvent, je suis abattu, comme si je n’avais pas d’énergie. Quand je me rends compte que je vais monter sur scène, deux ou trois heures avant, j’ai une espèce de chape de plomb qui arrive, j’ai l’impression que je ne vais pas pouvoir y aller, que je ne suis pas en forme, etc. Et 5 minutes avant, il y a une espèce d’énergie, d’adrénaline qui prend, tout se bouscule, un peu une peur d’y aller mais en même temps, il faut y aller, donc je me raisonne. C’est plutôt cet abattement. L’avenir – les combats futurs AB: Il y a un côté politique, mais pas syndical. C’est comme un lobby. On s’est rendu compte que les artistes n’avaient pas de voix collective. Cela existait en Angleterre (FAC), regroupant Pink Floyd, Radiohead, Blur… . Ils s’étaient mis ensemble, pour peser politiquement, médiatiquement, et aussi dans les négociations avec les sociétés de gestion collective, etc… En tous cas, pour pouvoir dire “avec ça, on n’est pas d’accord” ! SB: Vous êtes optimiste pour l’avenir? En matière de musique. Par exemple, au niveau du téléchargement, du numérique, qui fait que la musique se dématérialise d’une certaine façon. Il y a quand même toujours des gens qui jouent, mais en même temps, il y a une économie qui échappe à l’artiste par ce téléchargement illégal, qui devient chez les jeunes, presque une évidence. Cela ne leur vient même plus à l’idée de payer ! AB: Si vous êtes en contrat d’artiste avec une major, vous touchez entre 10 et 12%. Grosso modo, il faut que vous fassiez 1 million de streams, vous aller gagner 10 mille euros. C’est comme de la gratuité aussi. Entre le piratage et même la vente d’albums en numérique, je pourrais vous démontrer qu’un artiste qui est en contrat d’artiste et qui vend un album signé en Belgique ou en France avec une major, et qui vend un album aux Etats-Unis, alors que l’album est vendu au prix de 9,99, l’artiste va seulement toucher un centime. SB : Cela ne fait pas peur? AB: C’est très intéressant de voir cette remise en question totale, fondamentale. D’ailleurs, on est là pour pousser cette réflexion et cette remise en question avec la GAM:
Une interview d’Eric Beaujean et Patricia Herens – Photos de Natacha Jovenaux. |