C’était un grand rendez-vous. Samedi, vers 15 h, entre les amateurs du Salon du Chocolat situé à deux pas, le vent soufflait des hordes de spectateurs vers le Palais 12 pour la première représentation d’un spectacle fort attendu: La légende du Roi Arthur. Un public aux mille âges pour une nouvelle création de Dove Attia plus que séduisante.
Dans la salle, la diversité témoigne du pouvoir fédérateur de ce genre de comédie musicale: il y a des tout jeunes, des adolescentes, des grands-parents venus avec leurs petits-enfants mais aussi des couples de quadra voire même de septuagénaires. Et comme le spectacle commence un petit peu plus tard que prévu, les têtes blondes sont à l’honneur. Imaginez un peu, entourés de druides mystiques, voilà qu’une dizaine d’enfants s’essaie à tirer la fameuse Excalibur de son socle de pierre où elle est profondément enfouie. Les rires gagnent le public, de même que les applaudissements: les grands ont bien compris de l’importance du moment. Les échecs se suivent et se ressemblent, certains gamins abdiquent assez vite mais d’autres se révèlent téméraires en diable n’ayant pas peur de risquer la chute pour tenter de dévisser l’objet de toutes les convoitises. Mais rien n’y fait… quoique… attendez… voilà que lors d’une dernière tentative, un gosse pas plus haut que trois pommes réussit l’exploit. Excalibur a trouvé son maître et le spectacle, entre le vol d’un dragon et l’espoir d’Avalon, peut enfin commencer.
Après le prologue, c’est sans aucun délai que la salle (pleine à craquer, faut-il le préciser?) est emportée vers les brumes, les décors monumentaux, la féérie et la noirceur du monde dans lequel va s’imposer le Roi Arthur (Florent Mothe). La magie peut opérer. Et, pour l’heure, Arthur n’est encore que le larbin, le vassal de son demi-frère Ké (un impérial Yamin Dib, entre l’Édouard Baer de Mission Cléopâtre et le stand-up d’un Jamel Debouzze). Ké qui, malgré son allure de pantin, compte bien jouer crânement sa chance pour enlever l’épée Excalibur, prisonnière de son socle. L’enjeu est grand (celui qui s’en saisira deviendra Roi de Bretagne) et les ennemis forcément en nombre. Dont Méléagant (Fabien Incardona) et sa perfidie qui pourrait bien le faire triompher. Mais c’est sans compter le druide Merlin (David Alexis) qui veille et guide Arthur pour qu’il réalise son destin et se saisisse de l’épée sacrée. Un destin improbable pour ce moins-que-rien qui ignore tout de ses origines. Et sa sombre demi-soeur, Morgane (rôle tenu par l’ancienne Miss Anvers Sarah Van Elst en l’absence de Zaho) entend bien rappeler à Arthur d’où il vient et lui en faire payer le prix par des manigances et une vengeance impitoyable dont personne ne sortira indemne. Encore moins la Reine Guenièvre (Camille Lou) qui, très vite s’éprendra de Lancelot (Charlie Boisseau).
Pendant un peu plus de deux heures, Dove Attia et le metteur en scène Giuliano Peparini (déjà présent sur 1789, les amants de la Bastille) déroulent le tapis rouge à l’un des plus formidables paris musicaux de ces dernières années. Dans La légende du Roi Arthur, il y a tout: à commencer par la magie, la fascination, la complexité, l’amour, l’amitié, l’aventure et la fantaisie. Le récit est riche en péripéties et le spectacle musical s’en accommode pourtant très bien grâce et évite les pièges pour servir un récit qui coule de source et sans aucun temps mort. Quant aux chansons, entraînantes et richement arrangées, elles ne peuvent que séduire. Le tout porté par un casting vocal redoutable, avec un Florent Mothe affûté et terriblement charismatique mais surtout un Fabien Incardona monstrueux tant par la prestance vocale que par son rôle plus que maléfique. Charlie Boisseau apporte son grain de voix étrange et une certaine force au torturé Lancelot. Ici, comparé à d’autres comédies musicales, pas de playback et chaque artiste donne de sa personne, le meilleur de lui-même. Côté féminin, Camille Lou est étincelante et Sarah Van Elst vole la vedette à Zaho. Dans sa prestation, on oublie les très mauvais effets de voix et de vocoder de l’album (notamment sur Ce que la vie a fait de moi ou À l’enfant), ici la pureté domine, se manie avec l’élégance et c’est juste beau.
Mais dans un tel spectacle, les yeux se portent aussi sur le reste. À commencer par les chorégraphies qui embellissent le spectacle, lui donne un goût de voltige et d’inouï. Là encore, les amateurs ne s’y tromperont pas. Entre les hommes de Méléagan, les Chevaliers de la Table Ronde ou le loup et le cerf (unijambiste) de Merlin, tous les danseurs sont à l’unisson pour, eux aussi, apporter magie à ce spectacle. Mais dans ce monde de brutes et de lames sifflantes, il y a aussi place pour un soupçon d’humour et surtout de modernité plutôt bien vu. Et c’est le fanfaron Yamin Dib qui s’en charge avec un naturel déconcertant. Entre un “Juste Merlin” qui rappelle un certain Dîner de cons, le wi-fi que Ké voudrait au château et une tirade à la François Hollande (“Moi, sénéchal, je voudrais…”), l’accent belge se fraye aussi un chemin. Ainsi, Arthur est “biesse”, certains sont dikkeneks et c’est en toute logique que le demi-frère du roi veut aller boire une bonne jup’ en souhaitant à Merlin un retentissant “À tantôt”. Chaque réplique fait mouche et le public est hilare.
Enfin, si la Légende du Roi Arthur est très réussie, on regrette néanmoins deux petites choses. Si le décorum est immense et incroyable, tout en relief et en jeux de lumières, il n’en reste pas moins numérique. Sur scène, ne subsistent en vérité que quelques blocs sur lesquels flottent les images projetées. Et même si c’est désormais la donne des comédies musicales depuis quelques années, ce processus faire un peu rupture avec le spectacle vivant qui se donne aux spectateurs. C’est dommage même si le coup est bien récupéré grâce à certaines chorégraphies de géants et aux portes de l’avant-scène qui se ferment, s’ouvrent, se grillagent pour mieux donner profondeur au spectacle. Deuxièmement, si le play-back a été banni pour les artistes musicaux, il est néanmoins omniprésent en arrière-fond, pour la musique (on peut le comprendre) et, surtout, pour les chœurs. Et là encore, on aurait sans doute aimé que ces chœurs s’incarnent plus pour fortifier les voix du casting de base et l’envoler vers les cimes. Malheureusement, ce n’est pas le cas, on est loin d’un Roméo et Juliette, et cette chorale numérique affaiblit un temps soit peu les performances des artistes.
Pas de quoi faire un drame, cependant. La légende du Roi Arthur est un grand cru qui fait oublier le pitoyable Robin des Bois ainsi que la déception de ne pas avoir vu le Graal de Catherine Lara se monter, de même qu’elle rend au médiéval ses lettres de noblesse musicale. Un concentré de talents pour une histoire qui n’a pas fini de vivre et de revivre. On a goûté au Graal et on redemande de telles comédies musicales!