Chaque année au mois d’octobre le FESTIVAL DES LIBERTES prend ses quartiers pour une dizaine de jours à Bruxelles au sein du Théâtre National. Chaque soir, ce sont des débats, des conférences, des films et aussi des concerts qui animent les salles et les halls de ce bâtiment situé à deux pas du centre-ville de la capitale. Le point de convergence de toutes ces activités, coordonnées par l’ASBL Bruxelles Laïque, trouve sa source autour de la question des droits et libertés à travers le monde. La programmation musicale du festival fait donc elle aussi la part belle aux artistes dont les idées véhiculées par leur art s’inscrivent dans une démarche d’ouverture sur un monde sans frontières, où la tolérance et la défense des droits et libertés occupent une place prépondérante. En vrac, et comme chaque année, la programmation musicale propose de bien jolies choses dans des registres diversifiés avec notamment MC Solaar, Bagarre, Acid Arab, Irène Dresel, Arthur Teboul (Feu! Chatterton), Hugo TSR mais aussi Chinese Man.

C’est au set live de ces derniers nommés que nous avons assisté ce vendredi soir. Après des concerts de de haut-vols qui avaient mis tout le monde d’accord cet été à LaSemo et au printemps dernier à l’AB, le trio issu du Sud de la France est de retour en Belgique cet automne. L’occasion était trop belle pour ne pas replonger dans le riche univers du collectif où se mélangent hip-hop, dub, reggae, jazz et beats électroniques, sur fond de sonorités exotiques ou aux airs de documents d’archives. Pas de première partie au programme de ce vendredi soir. On attaque donc en rentrant immédiatement dans le vif du sujet. Chinese Man débarque à Bruxelles avec un très réussi nouvel album, sorti cette année et répondant au nom de “We’ve Been Here Before”. Le collectif reste fidèle à sa marque sonore qui s’articule autour d’une hybridation de patches, de samples, de genres et d’influences. Cependant sur ce nouvel album, Chinese Man embarque les auditeurs dans une majestueuse odyssée spatiale et poétique, s’éloignant de la terre ferme, nous plongeant de temps à autre dans un univers proche de l’opéra “Prince Igor” du compositeur russe Alexandre Borodine.

Nous voici donc parti pour un généreux voyage d’une grosse heure et demi avec, pour l’occasion, un dispositif scénique imposant : écrans géants, 3 tables de mixage, dispositifs lumineux mouvants et aériens aux airs de soucoupes volantes. Les projections visuelles sont extrêmement bien travaillées et affinées, sous forme de clips animés ou d’images énigmatiques entre couleurs éclatantes, nature et visuels plus bruts, offrant cependant toujours une esthétique générale au point et sans faute de goût.

Humainement, le collectif scénique prend vie autour des trois producteurs-beatmakers qui constituent le socle de base de Chine Man. Ils sont également accompagnés de trois élégantes trompettistes, trombonistes et saxophonistes aux airs de guerrières de l’ombre. Enfin, deux MC aux voix et aux flows puissants prennent régulièrement possession de la scène en allant chercher le public pour envoyer de furieuses séquences de hip-hop old school qui font à chaque fois bondir celui-ci. Au milieu de toute cette énergie, le flow se pose et ralentit aussi de temps à autre, comme sur le très sensuel titre ayant donné son nom au dernier album du collectif, ou sur le très tranquille et décontracté “Sacre bleu” et ses plom plom plom plom plom chantés à l’infini, tous les bras en l’air. L’ensemble sonore qui s’articule est envoyé dans les enceintes avec une puissance chirurgicale dont la clarté permet à chaque couche sonore de pouvoir atteindre nos tympans bien comme il faut, sans jamais nous assommer.

La présence des trois cuivres, en plus d’apporter une touche visuelle franchement sympa, contribue à donner une réelle chaleur festive à la musique live de Chinese Man. Les trois musiciennes balançant de grosses doses de grooves qui font chalouper le public des Libertés (notamment le titre “iQUe Si!” et son gimmick entêtant), aussi bien en trio qu’en solo. Ainsi, on ne compte plus les battles sonores dans lesquelles elles s’affrontent sans pour autant chercher la démonstration de puissance ou de maitrise technique tapageuse. Seul le groove compte. Mais ces cuivres peuvent aussi se montrer autoritaires et solennels comme sur “Salune” qui a notamment ouvert le set. Ce n’est pas par hasard que ce sont à elles trois que reviendra la responsabilité et l’honneur de venir poser les dernières notes en fin de de set principal, avant un ultime rappel.

Les trois Chinese Man se retrouvent aussi régulièrement seuls sur scène pour construire alors des moments sonores full électro, n’hésitant pas alors à aller titiller les oreilles des spectateurs avec des passages plus alternatifs et costauds. En bon producteurs hyperactifs, les membres de Chinese Man ont également produit un certain nombre de choses par l’intermédiaire de projets solo. Ils en profitent donc pour en partager des échantillons tous ensemble sur scène. Alors qu’arrive doucement la fin du set, Chinese Man se lance dans un très joli enchainement contemplatif avec les titres “Wolf” mai aussi “Lune” et ses projections de chats-astronautes qui quittent la Terre. Ils quittent alors eux aussi la scène et nous laissent avec le titre instrumental “Déjà vu” sur lequel les structures lumineuses aériennes exécutent une chorégraphie à l’esthétique une fois encore bien propre.

En rappel, c’est au complet que Chinese Man revient sur scène pour “Blah!”, aux accents indous et raggas plus qu’incisifs. Gros morceau ensuite avec LE hit “I’ve got that a thune” et ses airs de ritournelle entêtante qui est joué là aussi en version full band, tous cuivres et flows des MC’s sur le devant de la scène. En second rappel, c’est d’abord un titre au refrain hip-hop atomique qui ouvre la voie à une dernière épopée sonore aux couleurs drum’n’bass, histoire de tuer le game pour de bon.

Le concert s’achève sous les acclamation et, bien que nous n’en doutions pas, nous confirme à quel point la musique de Chinese Man puise ses racines aux quatre coins du monde. L’expression “world music”, trop souvent utilisée par les occidentaux pour qualifier musicalement dans un grand fourre-tout réducteur tout ce qui se fait ailleurs, et ce dans une vision culturelle autocentrée, trouve avec Chinese Man une saveur bien plus ouvertement universelle. En une heure-demi, Chinese Man nous a fait offert un voyage impérial sur tous les continents (et même en direction de la Lune), mais aussi à travers les époques, tout en prenant soin de casser les codes et les classess sans besoin d’avoir recours à la force.

Please follow and like us:
error
fb-share-icon