Vingt ans et dix albums sont passés. Nul besoin, donc, de les présenter. On se contentera de dire que, toute grande pointure de la scène post-rock internationale, MONO continue inlassablement de répandre son dogme à travers le monde. Ce mercredi soir, les Tokyoïtes réunissaient une fois de plus leurs adeptes belges pour un concert anniversaire à en fendre l’âme.
J’ai déjà assisté à un concert de Mono. C’était en 2015, à l’occasion du Dunk!Festival. Jo Quail, qui assure la première partie du groupe ce soir, était également présente cette année-là.
On ne peut pas faire l’impasse sur la performance prodigieuse de la compositrice londonienne. Armée de son violoncelle électrique, elle se présente seule à des spectateurs pour l’instant peu nombreux, mais tout de même très attentifs ; certains d’entre eux la découvrent sans doute ce soir.
Durant ces quelques minutes dont elle dispose, Jo Quail s’adonne à la recherche de timbres et d’ambiances. Avec ses pédales de loop, elle dirige un véritable orchestre qui, invisible à l’œil nu, prend peu à peu vie dans nos oreilles. Chaque morceau est d’abord épuré pour ensuite prendre tant d’ampleur qu’il remplit l’espace scénique. Elle caresse, frappe, pince son violoncelle jusqu’à lui arracher la séquence musicale qui intègrera la boucle. Si le début des morceaux est curieux, la fin nous laisse simplement haletants. Pour le reste, la Britannique montre un perfectionnisme attachant et s’excuse à plusieurs reprises du rendu de certains morceaux qui font peau neuve à chaque prestation. Elle demande d’ailleurs l’indulgence du public à l’égard de cette musique pourtant parfaite en raison de son étrangeté.
Au premier rang, accoudée sur la scène, je suis sincèrement émue… Mais ce n’est que le début.
Les écoutant d’une oreille fort peu attentive, ma première expérience live avec Mono ne fut pas transcendante. Ce mercredi je décide donc de mettre toutes les chances de mon côté : je suis seule, au premier rang. Comme quoi, la solitude sublime certaines expériences.
La première chose que l’on constate, c’est l’apathie apparente des membres du groupe qui prennent place sans adresser la moindre parole. C’est la bassiste qui entre sur scène la première, suivie des deux guitaristes et du percussionniste qui s’installent sur leur tabouret respectif. Personnellement, je décide d’interpréter cette “ingratitude” autrement : le quatuor est concentré, la musique est sacralisée.
C’est avec le dernier opus Nowhere Now Here qu’ils ouvrent le bal. Les premières notes de “After You Comes the Flood” me font immédiatement penser à la pochette de l’album, à cette ballerine qui surplombe gracieusement l’obscurité, se tenant à quelques orteils de la chute. Cette chute, elle se produit au moment où la batterie retentit ; chacun se lance alors dans un headbang frénétique. D’où je suis, je distingue à peine le visage des musiciens qui enveloppent leur instrument à la manière d’une carapace.
Le set nous fait d’abord voyager au travers du dernier album, explorant ses consonances classiques et sa veine électro timidement initiée. La technique est parfaitement calibrée et l’atmosphère qui s’en dégage est indescriptible. Tout se déroule plutôt bien, jusqu’au grisant “Dream Odyssey” qui signe l’abandon du public à lui-même. Une flopée d’émotions me submerge à m’en donner les larmes aux yeux! Le contact, pour moi, est établi. Cependant, nous ne sommes pas au bout de nos peines : c’est “Halcyon (Beautiful Days)” qui aura ma peau. Jo Quail revient sur scène pour performer avec les Tokyoïtes. Aucune extravagance ici, la Britannique se contente de mettre ses talents de violoncelliste au service du groupe. Le dévouement est mutuel ; délicatesse et lourdeur se succèdent jusqu’au tonnerre d’applaudissements qui annonce la fin du morceau. Le guitariste chuchote un “thank you” sincère à l’invitée, et cette sage discrétion me fait chaud au cœur.
Mono nous accorde une dernière chanson en guise de rappel. Nous savourons alors ces quinze dernières minutes avec un “com?” dépouillé et désespéré (à ce stade, les dents remplacent la main droite dans le jeu de guitare) qui se clôt dans un larsen insistant.
Mieux encore qu’une séance de méditation collective, les Japonais sont finalement parvenus, grâce à leur technique ancestrale, à exorciser la moindre de nos frustrations.