Plus habitués à passer nos soirées musicales dans diverses salles de concerts orientées vers les musiques dites « actuelles », c’est toujours avec plaisir et curiosité que, lorsque l’occasion se présente, nous poussons les portes de lieux qui nous sont moins familiers. Après une première expédition au printemps 2024 lorsque Rone était venu présenter son ambitieux projet « L(oo)ping » en collaboration avec l’OPRL (Orchestre Philharmonique Royal de Liège), nous n’avons pas longtemps hésité avant de reprendre la direction de la Salle Philharmonique de Liège en ce samedi soir. Comme beaucoup d’acteurs du monde des musiques classiques, on veille aussi à proposer au public des créations artistiques et musicales plus actuelles et audacieuses du côté de la salle liégeoise. Sur le site internet de la salle, les différents filtres de recherches rattachés à cette soirée du 15 novembre étaient les suivants : « pas si classique », « expérience immersive », « XXI Siècle », « découverte » et « rareté ». De quoi suffire à susciter notre intérêt pour cette soirée unique derrière laquelle on retrouvait le duo bruxellois d’ECHO COLLECTIVE.
Depuis une bonne dizaine d’année, ECHO COLLECTIVE trace un discret mais captivant sillon artistique, se revendiquant du courant des « nouveaux classiques » auquel on peut rattacher également les très populaires Nils Frahm et Ólafur Arnalds ainsi que la captivante Hania Rani. Bien que sobres et discrets d’un point de vue médiatique, ces artistes ont rapidement trouvé un public nombreux et très diversifiés, offrant ainsi de jolis melting-pots de tribus à chacun de leurs concerts qui affichent tous complets de manière presque instantanée. Echo collective appartient donc à cette mouvance où chaque artiste, animé par un certain minimalisme hautement maîtrisé, réussit à singulariser son œuvre et à la rendre identifiable dans un paysage sonore toujours plus encombré.

Le programme du jour qui nous est proposé par Echo Collective est donc le suivant : après un premier voyage par l’intermédiaire de l’interprétation de leur EP « Mirror Image », c’est un hommage à la mélancolie de Jóhann Jóhannsson qui nous sera proposé avec l’interprétation de l’album « 12 Conversations » que le groupe a sorti en 2019 sur le très réputé label Deutsche Grammophon. Lorsque nous pénétrons dans la majestueuse salle, nous découvrons une scène épurée , débarrassée de l’attirail des résidents permanents de l’Orchestre. Un élégant piano à queue prend place sur la gauche tandis qu’au centre se trouve une harpe et un violon avec deux chaises qui se font face. En fond de scène et en hauteur se trouve l’imposant orgue qui fait partie intégrante du décor et de la salle. On a connu pire comme environnement pour un concert.

La soirée s’ouvre sur un premier titre délicat et mineur à la harpe avant une lente mais certaine plongée en eaux troubles et inquiétantes. Cette sensation est renforcée par une amplification du son à 360 degrés, offrant une sensation tournoyante et très immersive, comparable à ce que l’on peut vivre au cinéma. Lorsque le violons se fait entendre, c est dans une alliance de finesse et de douceur mêlée à une rugosité presque chirurgicale où les cordes de l’instrument sont alors minutieusement triturées pour en extraite ce qu’elles ont de plus lugubre. Le temps est suspendu et les silences n’ont jamais été aussi dense et chargé que ce soir, nous permettant ainsi de citer Odezenne : Bon Dieu ça fait du bruit le silence. Le minimalisme permet une fois encore d’imposer une ambiance et une atmosphère aussi captivante que chargée en tension. Plus serait trop, moins serait imparfait. Dans le public, c’est aussi le silence qui domine, mais un silence hautement attentif, là aussi sous tension face à la délicatesse et l’appréciation de chaque geste et de chaque note.

Afin que l’expérience soit totale, la mise en lumière de la prestation fait elle aussi dans la sobriété et le minimalisme. Attention, pas question de parler d’investissement au rabais pour autant. C’est même le contraire qui s’applique puisque l’habillage visuel de la soirée est lui aussi immersif avec une utilisation sur mesure de l’architecture du lieu, marqué par la Renaissance. Il en découle des jeux de lumières qui viennent mettre en valeur les grandes colonnes des balcons de la salle et de son orgue tandis que le duo sur scène émerge de l’obscurité par l’intermédiaire de discrètes lumières à dominante blanche. On peut ainsi apprécier une présence scénique sous tension, le duo semblant physiquement habité par sa musique, les corps se contorsionnant pour accompagner les instruments dans la naissance des notes et mélodies.

Après ce premier acte d’une petite heure, un entracte d’une vingtaine de minutes permet aux équipes techniques de légèrement faire évoluer la configuration de la scène avec la harpe qui disparait et deux chaises supplémentaires qui font leur apparition. Il est en effet l’heure de passer à l’hommage à Jóhann Jóhannsson. Echo Collective se transforme alors en quatuor à cordes avec notamment l’apparition d’un violoncelle sur scène. La soirée prend alors une tournure plus chaleureuse bien que mélancolique, les mélodies se faisant alors plus prenantes, plus directes et instinctives. La tension atmosphérique du premier acte laisse alors place à l’évasion avec des envolées mélodiques qui alternent avec d’autres instants où la minutie des sons est là pour rappeler à quel point ces artistes néo-classiques évoluent dans une sphère de l’imaginaire très intime et introspective.

La fin de la soirée approche et il est l’heure pour nous de constater que sans avoir une éducation et une culture musicale initiale axée sur les musiques classiques, nous avons passé une soirée où jamais le temps ne nous a semblé long. Nous n’avons jamais eu non plus l’impression que la musique proposée s’adressait à un public d’avertis et d’initiés qui nous laissait sur quai de la gare et ce malgré les spécificités artistiques des deux actes de ce samedi soir. En jetant un bref coup d’œil à l’historique des concerts d’Echo Collective, nous constatons que le duo avait été programmé l’an passé au Dunk!Festival, festival flamand spécialisé dans les musiques rock instrumentales, preuve de la richesse des influences du projet, aussi bien musicales que dans d’autres disciplines artistiques. La peinture y occupe d’ailleurs un rôle important, le prochain album d’Echo Collective, prévu pour début 2026, sera en effet construit autour des œuvres des Monet, de quoi déjà éveiller notre curiosité pour l’année prochaine.




