Depuis plus de 30 ans, le Magasin 4 anime les nuits de la capitale dans des registres variés sortant ouvertement des circuits conventionnels et sagement établis des concerts qualifiés de « grands publics ». Comprenez par là que la programmation de la salle met le focus sur des artistes dits « alternatifs », explorant par la même occasion une riche galaxie de genres musicaux. La spécialité du lieu est de proposer des soirées où la programmation est aussi thématique que cohérente, allant aussi bien du métal au rock et au punk, en passant par l’électronique, l’expérimental mais aussi le hip-hop. Toutes ces tendances étant bien entendues exploitées dans leurs infinis sous-genres et nuances. Le Magasin 4 à donc de quoi rassasier toutes les tribus amatrices de musiques, à condition d’être un minimum curieux.
Avec 3 déménagements, ces 30 ans d’existence n’ont cependant pas été un long canal tranquille. Oui nous nous autorisons une version dérivée de l’expression « un long fleuve tranquille », le Magasin 4 n’étant jamais parti bien loin des rives du canal traversant Bruxelles. Après un bail locatif d’une quinzaine d’années à la Rue du Magasin… n°4, c’est ensuite à l’Avenue du Port, en face de Tour & Taxis, que le Magasin 4 trouve refuge jusqu’en 2021. Le projet de rénovation urbaine de ce quartier contraint ensuite ce dernier à se trouver un nouveau point de chute. Et c’est du coté d’Anderlecht, dans une friche industrielle aux airs de no mans land que l’équipe en place continue alors à sévir, et ce malgré une situation dans la ville bien moins attractive et facile d’accès qu’auparavant, la zone étant notamment peu desservie par les transports en commun. Arrive ensuite le mois de septembre de cette année : le Magasin 4 revient du coté de Tour & Taxis avec cette fois une infrastructure qui ne devrait plus être soumise aux aléas de l’immobilier puisque la salle devient propriétaire de son nouveau bâtiment construit à la rue de l’Entrepôt, de quoi se garantir un avenir plus certain et serein.

N’ayant pas pu être présents à l’inauguration, il était grand temps pour nous d’aller découvrir ce nouveau lieu où la célèbre pancarte « INTERDICTION DE CRACHER » continue à trôner fièrement au mur dans le hall d’entrée. En cet automnale mardi soir d’octobre, c’est en effet la venue de la productrice suisso-canadienne CAMILLA SPARKSSS qui a suscité notre attention. Une fois sur place, nous constatons qu’il Il n’a pas fallu attendre un mois depuis l’ouverture pour que les murs et couloirs de la salle et des toilettes (zone hautement stratégique) soient déjà copieusement recouverts de stickers en tout genre. Ouf, l’âme du Magasin 4 est préservée, toute comme le cadre brut mais malgré tout accueillant et décontracté du lieu avec un tarif au bar qui est franchement amical. La Chimay Bleue à 4 euros en est le plus dangereux exemple.

En première partie on retrouve un artiste énigmatique dont le projet musical se nomme MORTÒRI, proposant un mix aux accents de variété italienne (chanté dans un dialecte… italien) langoureuse sur fond de synthés faussement féeriques et de rythmiques plus électros et sombres. Déroutant au premier abord, la sauce prend finalement assez bien. Le garçon, aux airs de biker, est accompagné d’une musicienne déguisée en squelette. Halloween avant l’heure en quelques sortes. Les quelques lignes de basses qui transpirent le post-punk et la new wave viennent enrober l’ensemble pour le rendre définitivement aussi chaleureux que sombre à la fois. Et allant là où on ne l’attend pas, c’est dans un final noisy qui tabassent durement que le garçon et son squelette achèvent leur set.

Les premiers rangs se sont resserrés lorsque CAMILLA SPARKSSS monte sur scène et prend place derrière son attirail musical composé de vrais platines à vinyles, d’un synthétiseur, de plusieurs pédales d’effets et de toute une série de boutons et de câbles emmêlés. Un joli poste de pilotage old-school en quelques sortes, sans oublier un pied de micro. Après le titre d’intro, « Holy Shit », et ses sonorités de synthétiseur en fin de vie, la demoiselle se retrouve au four et au moulin, s’occupant à la fois de jouer avec ses vinyles et ses platines tout en allant poser ses doigts sur les touches de son synthés et sur les multiples boutons de ses machines, à tourner dans un sens ou dans l’autre selon l’effet sonore souhaité. Et pour être certaine de toute faire par elle-même, elle saisit également régulièrement le micro mis à sa disposition pour éructer et chanter des paroles le plus souvent scandées dans un esprit assez punk.
Là où dans d’autres concerts ou set électronique des temps morts et silencieux entre deux titres seraient perçu comme une faute de goût ou une hérésie, ceux-ci trouvent ce soir un sens particulier car Camilla Sparksss prend le temps de changer les vinyles sur ses platines entre chaque titre. Loin d’elle l’idée de jouer avec des samples ou des bandes pré-enregistrées si l’humain peut les gérer en live. Il en découle une prestation frénétique et visuellement intense, offrant aux spectateurs quelque chose évoluant quelque part entre DJ set et concert électro-rock aux textures aussi rugueuses que synthétiques.

Musicalement, on est effectivement quelque part par là aussi : électronique, dark wave, post-punk, indus, et autres dérivés issus d’expérimentations sonores diverses. On y découvre même un titre aux influences franchement orientales mais celles-ci ayant été passées dans un fameux transformateur électronique. La majorité des titres joués ce mardi soir sont issus d’ « Icu Run », dernier album en date de la productrice, avec une belle variété musicale et d’influences. Le concert ne s’enfonçant donc jamais dans l’uniformité et la monotonie. Et c’est finalement tout à l’image de la discographie de Camilla Sparkss : pleine de reliefs et prenant des visages multiples selon les moments, histoire de rendre l’équation impossible pour les spécialistes de la classification des artistes dans des bulles de styles et de genres bien établis.




