Les années passent et certaines choses restent immuables. Parmi celles-ci, il y a le Festival de Dour qui, chaque année, depuis plus de 35 ans remue fermement les terres du Borinage. Ce qui change par contre, ce sont nos agendas et obligations respectives qui nous ont contraints à jouer sauvagemment du chausse-pied dans nos plannings pour réussir à trouver le temps de partir en expédition sur le site des éoliennes situé à deux pas de la frontière française. Cette année, nous avons donc renoncer à la généreuse expérience musicale de 5 jours proposée par les organisateurs en concentrant notre effort et notre attention sur la seule journée du jeudi. Notre objectif est clair : voir un maximum de chose afin d’amasser un maximum de décibels dans nos vaillants tympans pour repartir de là avec la satisfaction d’avoir rentabilisé au mieux notre temps.

C’est en milieu d’après midi que nous arrivons sur la plaine en passant devant la Last Arena où les mélodies mélancoliques de Lovelace réveillent les festivaliers un peu assomé par la chaleur et le soleil. On prend ensuite assez rapidement la direction de la scène du Garage pour aller se dégourdir les tympans au son du rock… garage des Néerlandais de Library Card. Ils ont la particularité d’agrémenter leurs riffs nerveux d’une voix aux airs de spoken words, entre moment suspendus et tendus, et explosions électriques brutales. 

Du côté de La Petite Maison Dans La Prairie c est Kuna Maze qui déverse son jazz-rock agrémenté de touches électroniques, dans la lignée de groupes comme Tukan ou Echt!. Le Dub Corner fait quant à lui vrombir les murs d’enceintes oldschool avec des festivaliers collés à celles-ci pour mieux se faire embrasser par les énormes basses et sonorités psychés qui s’en échappent, sur un rythme tranquille mais euphoriquement dansant. Le Dub Corner est probablement l’endroit le plus détendu du site, rassemblant un bon paquet de festivaliers depuis le début de l’après-midi. On y retrouve notamment le duo Jah Heavy Load qui enchaine les vagues de basses qui ronronnent à plein pot. OK, on vous avoue qu’on a passé un certain temps dans cette zone car l’ambiance et le son y sont terribles. On y croise même le sosie de Tortue Géniale dans Dragon Bal.

Retour au Garage pour le set le plus pop-rock (et un peu blues aussi) de la journée. Aucklane vient y présenter son premier album. Celui-ci prend une ampleur bien plus massive et robuste en live, très électrique et rentre-dedans. Et c’est très bien qu’il en soit ainsi. Le plancher du chapiteau vibre sous nos pieds. La dame et ses musiciens savent y faire avec une présence scénique affirmée, tandis que les puissants riffs électriques finissent par jouer le rôle d’aimant pour rameuter la faune du festival. Elle encourage le public à foutre le feu avant de se raviser au regard de la récente actualité de la semaine. On note d’ailleurs une présence féminine affirmée sur la scène du Garage en ce jeudi. Quand le rock se conjugue au féminin, ça bastonne autant que quand ces messieurs sortent les gros bras. Dour a également bien fait les choses au niveau technique et a poussé le bouton du volume à des niveaux qui s’éloigne des standards actuels (comment expliquer de manière politiquement correcte que la puissance sonore est démentielle).

Les débuts du côté hip-hop de la Force se font aujourd’hui avec Gringe dans la Boombox. Arrivée posée, en douceur, le rappeur est accompagné d’un beatmaker (qui n’est autre que la légende Dj Pone), un claviériste (Livio) et un batteur (dont nous n’aurons pas le nom). Il ne faut pas trois morceaux pour que le public lève les bras et se laisse ambiancer par l’aisance scénique du français. Il interagit super bien avec le public, de manière juste sans que ce soit surjoué et vraiment, ça apporte un plus au show. Ça fait plus ou moins cinq ans qu’ils n’étaient pas montés sur scène et il partage son plaisir de retrouver le public, ici à Dour. DJ Pone à droit à son petit solo pour retourner la tente, il martèle des beats puissants pendant quelques minutes. Il y a une excellente osmose entre les artistes et le public, la Boombox bien remplie vibre d’un seul homme et ça fait plaisir à voir. Il laisse aussi la place à Sydney son backer, Gringe n’oublie pas d’où il vient et s’il peut aider comme on l’a fait pour lui, il n’hésite pas à le faire en retour.

On démarre ensuite notre revival électro avec l’un des piliers de la scène Drum’n’Bass : Murdock. Nous en avons déjà passé des heures à danser sur ses DJ sets et celui-ci n’a pas fait exception ! Excellente entrée en matière avec un set déjà bien agressif qui nous fait danser sur des remix de I Love It, Everybody’s Free (To Feel Good), Turn the Tide, etc… Aaaaah qu’elles sont délicieuses ces petites madeleines, savoureuses comme jadis ! Question décors à la Balzaal, certes la disposition des écrans est un poil différente, mais malheureusement ça reste assez sobre. Les animations durant le set sont vraiment très cool, mais on espère un effet un peu plus woaw une fois la nuit tombée avec toutes les lumières et les lasers… Au même moment, du côté du Garage, ce sont les Arlonais de Marcel qui donnent une grosse raclée post-punk saturée et brutale aux amateurs du genre. Deux scènes voisines, deux apocalypse sonores bien distinctes en cours.

Le début de soirée est ensuite doucement amorcé du côté de la Last Arena avec le ska-reggae-dub des Espagnols d’Iseo & Dodosound : rythmes festifs, trompettes et saxos mais aussi un beatmaker qui donne une petite touche encore plus exotique et ensoleillée à l’ensemble. Ça transpire et ça ondule des corps un peu partout sur la plaine de la Last Arena. En fin de set, les des rafales sonores plus drum’n’bass muscle le jeu.

Toujours du coté de la Last Arena, on commence ensuite à sentir une certaine effervescence. Un bon quart d’heure avant le début du prochain concert, il y a déjà pas mal de fans aux premiers rangs. Bien joué à Dour de l’avoir programmé alors que visiblement dans son pays, c’est compliqué. Il s’agit du fer de lance du 667, Freeze Corleone ! Comme Laylow en 2022, nous avons pas mal écouté les albums, il est temps de voir ce que ça donne sur scène. Le DJ chauffe gentiment la foule pendant cinq bonnes minutes et puis il enclenche. Et là, bordel, c’est parti ! Le MC n’est pas encore sur scène que la foule dégomme déjà là plaine. Durant cette intro, la foule continue d’arriver massivement pour remplir complètement la plaine. Nous n’étions visiblement pas les seuls à vouloir assister à ce show.

Arrivée triomphale de Freeze Corleone, il toise la foule et découpe son instru comme sur album. C’est d’une précision chirurgicale et lui ne communique pas trop avec le public, en tout cas de manière verbale, par contre son langage corporel est sans équivoque. Il est au-dessus, c’est lui le boss et ce n’est pas la peine de parler pour le faire comprendre. Pour les interactions verbales c’est le DJ qui assure cette partie du job et il le fait plutôt bien. Duo très complémentaire et show hyper bien rodé, y’a pas à discuter c’est carré. La fin du concert est une succession de tubes, Drill FR4, Shavkat, Freeze Raël, avant lequel il brise un peu la glace en s’adressant au public et esquisse un sourire sincère. Il remerciera un peu plus généreusement le public avant de sortir de scène. Excellent show, ça valait clairement le coup !

Nous voilà une fois encore en route pour Le Garage pour le set du trio Francais de Servo, quelque part entre post-punk saturé et touches synthétiques eighties qui font secouer energiquement les têtes des festivaliers. On apprécie cet équilibre des influences venues des tréfonds de la nuit, donnant un résultat percutant et massif. Leur lightshow massif, syncopé et blafard contribue à immerger les festivaliers dans l’ambiance suffoquante de l’ensemble. Et pourtant, soyons honnête, au début du set nous étions une cinquantaine devant la scène, mais les festivaliers affluent petit à petit, arrivant de loin, intrigué par la frontalité du groupe et le bordel sismique provoqué et ressenti de loin.

Nous restons sous ce même chapiteau pour la suite avec les guitares de Sprints qui viennent concurrencer les basses de la scène voisine du Balzaal. Là encore, c’est une dame bien vénère qui prend le rôle de meneuse et de porte-voix du groupe. Le son, jusque là irréprochable, est un peu brouillon dans un premier temps et on y perd en impact sonore, mais aussi en aspect crasseux et abrasif. La situation s’améliore ensuite et ça part en circle pit au devant de la scène, redonnant alors toute sa saveur à leur garage-rock qui pue aussi un peu la biere tiède renversée, la transpiration et le grunge rageux, proche du surrégime constant. C’est d’ailleurs dans le public et avec fougue que la chanteuse achève le concert. Même pas peur !

Bim bam boum, le king du “Energy Crew”, Stormzy débarque ensuite comme une balle sur la Last Arena à grand coup de basses profondes et effets pyrotechniques ! Ça va bientôt faire dix ans qu’on le suit, qu’on assiste à ses prestations dans différentes configurations. Une chose est certaine, son énergie n’a d’égal que son sourire et ça fait un bien fou. Le show a pris une ampleur faramineuse avec un jeu de lumière assez impressionnant, des visuels superbement réalisés, des choristes et un groupe pour les accompagner, lui et son DJ. Il tient la scène comme un roi, un grand patron du grime, la setlist est impeccable en allant piocher dans ces 3 albums et quelques inconnues. Son dernier album datant d’il y a quelques années, est-ce que nous n’aurions pas bientôt droit à une nouvelle galette ? La performance est une fois encore remarquable, on ne regrette pas d’être retourné le voir. Que ce soit en mode “Mainstage” ou comme à l’époque avec deux lumières et son DJ (on exagère à peine…) on apprécie ce qu’il dégage sur scène.

Retour à la Balzaal pour assister à une bonne vingtaine de minutes du set de Pendulum qui a bien joué les prolongations sur l’horaire affiché. Franchement, on ne crache pas dessus, ça nous a permis d’avoir les classiques Tarentula, Bonfire (de Knife Party) et Voodoo People, absolument parfait dans le thème du revival de nos soirées électro de l’époque (#onaplus20ans). Place ensuite à un duo iconique de la scène dubstep, cette scène qui nous aura fait danser des heures durant la fin des années 2000 dans des soirées sacrement endiablées sur l’ancien site du festival. Ce soir ce sont Rusko et Caspa qui nous régalent avec un B2B de légende qui va chercher des tracks que nous avions oubliées. Quand les morceaux commencent, c’est un shot direct de dopamine et on ne peut s’empêcher de se trémousser comme il y a plus de quinze ans. Que cette nostalgie est douce et agréable. On se laisse porter par le set d’une bonne heure sans voir le temps passer, c’est du plaisir directement dans les oreilles.

Petit point visuel, une fois la nuit tombée, effectivement la Balzaal produit son effet woaw avec des lights et des lasers dans tous les sens comme espéré. Dans les morceaux marquants, nous avons eu droit au Woo Boost de Rusko comme deuxième morceau, ça démarre de manière vraiment très énervée ! Ils annoncent la couleur en promettant un set archi oldschool, pour tous les steppers qui sont là depuis le début. Un peu plus tard dans le set, Caspa nous sort son remix de Where’s my money qui nous ramène pratiquement vingt ans en arrière. Le sourire sur notre visage en dit long !

Il est minuit lorsque, toujours du côté du Garage, l’ambiance se fait plus synthétique avec les Belges d’Ultra Sunn. Des machines, des synthés et une voix qui rappelle celle de Dave Gahan suffisent à rameuter les festivaliers en mélangeant les fans du groupe avec les curieux attirés par ces sonorités. Durant une heure, le trio enchaine les titres dans un registre darkwave et EBM dansant, presque disco. Le lightshow est incisif et tournoyant. La plongée dans la nuit de Dour se fait avec énergie et sans temps mort ou ventre mou. Mention spéciale au titre d’introduction du set qui n’est rien que moins que la version japonaise de « Tombe la neige » d’Adamo. Merci pour ce grand écart inattendu.

Nous entamons ensuite une énième grande traversée du site pour partir en direction de la Last Arena où le duo berlinois de Brutalismus 3000 sévit sur le coup d’une heure du matin devant une plaine comble. Au programme : une techno hardcore où le BPM s’affole. La guerre sonore sévit sur Dour mais le set un peu inégal avec trop de cassures de rythmes et les basses écrasent tout le reste. Comme son nom l’indique, Brutalismus 3000 ne fait pas dans le détail et dans ce registre, le job est fait correctement mais sans pour autant soulever notre enthousiasme de manière démesurée. Peut-être que contraitement aux autres scènes, le duo n’a pas bénéficie d’une puissance sonore suffisante pour être impactante comme cela doit l’être au regard de leur musique survoltée.

Notre soirée touche doucement à sa fin avec un dernier saut au Garage peu avant 2 heures du matin où l’énigmatique trio portugais de Makina. (oui le point derrière le nom est important) envoie un trans-rock sombre aux riffs syncopés, le tout sur fond de hurlements qui se perdent échos mais aussi de larsens noisys. Tout ça nous prend les airs d’un mélange de La Jungle et des premiers albums du regretté projet The Soft Moon. Makina. déploie un véritable rouleau compresseur capable de faire danser les foules vigoureusement malgré tout. Dans la structure des morceaux on est finalement pas bien loin des constructions linéaires et évolutives sur la durée de la musique électronique, chaque morceau allant tirer dans les 10 minutes. Dans le cas présent, ce sont les humains qui ont mis au sol les machines pour reprendre le contrôle. Tout à propos dans la nuit de Dour qui va se prolonger jusque 4 heures du matin sur le site… et bien au-delà dans les campings.

Notre Dour 2025 aura duré un jour mais c’est un intense marathon musical que nous y avons vécu, rappelant à quel point la programmation du festival est riche et diversifiée mais aussi alternative. Les curieux et explorateurs de notre espèce, tout comme ceux qui ont décidé d’oublier de dormir pendant 5 jours, peuvent ainsi y trouver leur bonheur. Les années passent mais Dour continue de nous intéresser malgré que nous commençions doucement à sortir de la tranche d’âge du public-cible du festival (#onaplus20ansBIS). Comme le dit l’expression locale : POURVU QUE CA DOUR !

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