C’est dans un Cirque Royal qui affichait complet que nous nous sommes rendus ce mardi soir à l’occasion du passage du duo électro-élégant (oui on vient d’inventer ce nouveau sous-genre musical) de KIASMOS. Derrière ce nom, se sache deux artistes aux CV respectifs déjà bien remplis. Il y a d’un côté l’Islandais Ólafur Arnalds, multi-instrumentiste qui évolue quelque part entre néo-classique, folk et musique électronique intimiste et minimaliste. De l’autre coté, Janus Rasmussen, originaire des Iles Féroé, sévit dans un univers musical plus ouvertement tourné vers les musiques digitales avec un souci du détail et de la mélodie pleinement assumé. C’est du côté de Reykjavik que ces deux-là se sont rencontrés il y a une quinzaine d’années et qu’ils ont commencé à sortir quelques EP ensemble. Le temps et le succès faisant leurs chemins, c’est aujourd’hui ‘II’, leur troisième album sorti l’année passée, que le duo vient faire vivre sur scène au travers d’une tournée qui les emmène sur tous les continents du globe.
La première partie est assurée par la Suissesse Natascha Polké qui joue pleinement son rôle de chauffeuse de salle avec sa deep house lumineuse et vocale, alors que le public arrive encore dans la salle. On peut, sans trop de risques, voir l’influence d’artistes comme Christian Löffler dans sa musique. Elle a d’ailleurs assuré les premières parties du producteur allemand fin 2024, notamment du coté de La Madeleine à Bruxelles.
Il est finalement 21 heures lorsque le duo venu des hautes latitudes terrestres fait son entrée sur scène dans un grand lightshow blanchâtre tout en contre-jour. Les ombres et silhouettes de Kiasmos libèrent alors de première grandes nappes de synthés aériennes. Dès ce moment-là, nous avons abandonné l’idée de faire l’une ou l’autre photo potable avec notre smartphone, le vaporeux lightshow étant en mouvement constant. Après cette première chevauchée onirique où les notes de synthés et de pianos sont venues s’immiscer come un battement de coeur, les deux gaillards attaquent un titre plus électronique et complexe au niveau de ses rythmes et sonorités. Le son se fait alors plus dense, avec notamment de récurrents kicks aux airs de morceaux de bois frappés les uns contre les autres et dont émergent un son vif et clair. Ce marqueur sonore constitue un des fils rouges d’une bonne partie du set, quitte à parfois donner un peu l’impression de tourner en rond. Mais malgré tout, cette densité des sons et des rythmes s’accompagne d’une imprresion générale épurée et finalement très esthétique.

L’acoustique du Cirque Royal, malgré sa configuration et son architecture circulaire et vertigineuse, est rarement mise en cause par les spectateurs. Une fois encore, les professionnels du son ont réalisé un joli travail qui permet à l’oreille de lire sans difficultés et sans efforts chaque nuance et chaque couche sonore que Kiasmos génère depuis la scène. La puissance de l’ensemble est même dévastatrice par moment avec une véritable impression de mur du son. Et puis, sans trop que l’on sache pourquoi, le son se fait petit à petit plus aigu, parfois même un peu strident, ayant tendance de temps à autre à crisper nos tympans. Mais pas de quoi rendre la chose indigeste ou transformer l’ensemble en grosse bouillie.

Sur la scène, Ólafur Arnalds et Janus Rasmussen font preuve d’une présence assez dynamique avec notamment le second nommé qui passe le plus clair de son temps à secouer la tête et les cheveux dans tous les sens. Visuellement c’est assez sympa à regarder, d’autant que leurs tables de mixages respectives sont assez épurées et permettent de voir leurs corps se mettre en mouvement sur les rythmes et mélodies qu’ils construisent.
Kiasmos nous sort du traditionnel et prévisible schéma de certaines musiques électroniques où la montée en pression doit obligatoirement déboucher sur un gros beat efficace qui doit faire danser et hurler la foule. Avec Kiasmsos, la soirée prend des airs de doux vallons que l’on contemple et qui constituent la charpente même de chaque titre sans avoir besoin d’y ajouter des reliefs artificiels. Si il y a une montée en pression, c’est que celle-ci est l’essence même et la raison d’être d’un titre, offrant ainsi une véritable immersion aux spectateurs du Cirque Royal. Dans un set qui aura fait la part belle au dernier album en date, le rappel d’une petite vingtaine de minutes est constitué d’un unique titre, « Bent », issu du premier album du duo. La première partie de ce titre est lente et intimiste, à base de nappes électroniques malgré tout massives et orchestrée par Ólafur Arnalds en solo. Janus Rasmussen le rejoint ensuite pour une épopée musicale qui prend des airs de furieuse chevauchée électronique, emmenée par une énorme basse qui vrombit et ronronne avec autant de souplesse que de robustesse. Le public est aux anges et cette cavalcade s’achève finalement en douceur avec un final puissant et aux ambiances enchantresses.

Chez Kiasmos, les univers des deux protagonistes se marient, se mêlent, s’entre-choquent, flirtent et se démêlent ensuite pour se laisser de la place avant de revenir avec plus de conviction encore par la suite l’un vers l’autre. Tout cette langoureuse chorégraphie sonore est un petit peu à l’image de ces terres islandaises où le feu et la glace cohabitent dans une certaine élégante harmonie du chaos. La musique de duo est finalement à l’image des indomptées contrées qui les ont vu naître, alliant la pureté et la grandeur de ces espaces naturels préservés qui semblent tenir les hommes en respect, sans avoir besoin de se montrer offensifs ou agressifs. L’élégance qui s’en dégage se suffit à elle-même pour mettre tout le monde d’accord et laisser chacun en contempler la finesse avec l’humilité et la précaution de ceux qui sont conscients de la fragilité de ces équilibres.