C’est dans les caves du Botanique et de son Witloof Bar que nous avons passé notre mercredi soir. Le discret SLAMINO y présentait en effet son premier album, « Fall Asleep », fraichement sorti au début du mois de février. Après « Ego Trip », un très réussi premier EP sorti il y a 3 ans, le voici qui passe à la vitesse supérieure avec cette nouvelle production. Ce Bruxellois d’adoption navigue depuis une dizaine d’années, le plus souvent en coulisses, au travers du paysage musical belge francophone. Ce point d’ancrage dans la capitale, lui permet aussi de se nourrir des influences multiples qui s’y cotoient et s’y rencontrent, Bruxelles étant « ouverte comme une vieille pute », telle que la décrivait Arno avec son irremplacable délicat choix des mots et de la formule. Après avoir déjà fait pas mal fait chauffer la platine depuis quelques jours au son de ce premier album, nous avons donc été nous rendre compte de la manière dont la musique de Slamino prenait vie sur scène.
En première partie, c’est une autre Bruxelloise d’apotion qui monte sur la scène centrale et circulaire du Witloof Bar. APOTEK, de son vrai nom Elisa Di Riccio, est en effet une productrice et claviériste originaire de Bologne et installée depuis pas mal de temps à Bruxelles. Comme chez Slamino, l’influence multiculturelle de la ville dépeint sur sa musique aux contours électroniques marqués, avec une recherche détaillée de la texture sonore idéale et d’un beat jamais basique mais qui finit par faire bouger les corps. Rien d’étonnant pour cette amatrice de la discographie d’Aphex Twin et d’autres producteurs passés maitres dans la chirurgie des sons. Sur toutes ces couches sonores, elle vient également plaquer quelques samples vocaux décortiqués et numerisés pour en faire émerger des boucles hypnotiques parfois denses et parfois plus aériennes. En trente minutes, Apotek balance, avec son synthé et ses machines, un échantillon sonore électronique aux origines aussi variées et riches que cohérentes sur fond de basses en tout genre qui percutent de manière directe ou en lame de fond.
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Il est ensuite temps de passé au set de SLAMINO. Ce dernier prend place sur une scène relativement épurée, avec quelques paddles multicolores, des machines, pas mal de pédales d’effets disposées au sol et enfin une guitare posée légèrement en retrait. C’est pourtant celle-ci que le gaillard saisit lorsqu’il monte sur scène. Tout au long du set, elle va être sa plus fidèle alliée, véritable collone vertébrale de chaque morceau. Durant une grosse heure, Slamino enchaine en effet les enregistrements lives de notes et de riffs sur lesquels il vient greffer une impressionnante série d’effets et de traitements du son. De ces recettes sonores découlent une série de boucles qui tournoient avec souplesse dans les enceintes du Bota. Avec un tel travail d’artisanat, chaque concert peut prendre un caractère unique où jamais les titres ne s’imprimeront de manière identique et millimétrée. Cette façon de travailler et de créer en direct donne également une opportunité devenue rare dans le cadre de concerts dits modernes : l’improvisation avec le plaisir de pouvoir tirer en longueur des séquences de morceaux en fonction des réactions du public ou du kiff personnel de l’artiste. Tout ça est donc aussi dynamique qu’authenrique, aussi bien d’un point de vue visuel que de l’énergie générale qui se dégage.
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La musique de Slamino nous emmène au carrefour de plein de choses : entre sons digitaux et organiques, entre bandes sonores et production live, entre machines et instruments ayant besoin d’une âme pour vivre. Slamino agit comme un chef d’orchestre qui brouille les pistes et nous embrouille l’esprit tel un talentueux sorcier qui n’a pas besoin d’artifices discutables pour captiver son assistance. Slamino interprète ce mercredi soir la quasi-totalité de son premier album, nous plongeant dans des ambiances vaporeuses sur « Dreamwalker » avant de prendre un virage plus euphorique sur « Solar Sail ». Ces deux titres semblent avoir été composés pour atterir progressivement et en continuant à danser en douceur au sortir d’une nuit de fête. L’énergie de la danse on la retrouve ausi avec la farandolle de notes de guitare sur « Speedway ». Cette si précieuse guitare peut aussi se faire plus électrique et inscrire un morceau à la croisée du post-rock et de l’électro avec « Memory Lane » avant de prendre avec certitude la direction du dancefloor sur « Bouncy House ».
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Et malgré une ambiance sonore générale plus tournée vers les beats et l’ondulation des corps au rythme de ceux-ci, Slamino arrive à créer des moments de délicatesse et de tension en égrenant par exemple les notes d’une guitare devenue bien sombre, ponctuée de ces courts instants de silence qui vous font retenir votre respiration pour ne pas en briser le charme. Tout ça nous est servi avec une chorégraphie lumineuse du plus bel effet, venant parfaitement habiller chaque titre interprété ce soir.
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Après l’une ou l’autre incursion dans son premier EP avec des ambiances plus posées et contemplatives, Slamino offre, au moment du rappel, un musclé remix de son propre remix du titre « Rivari » des deux furieux de La Jungle. C’est finalement là que Slamino confirme l’indécision assumée qui fait tout le charme de son identité musicale : Il fait le choix de ne pas choisir entre le camp des machines ou celui des instruments, entre les musiques électroniques ou un (post-)rock instrumental plus traditionnel (ce qui ne signifie rien de très croncret par ailleurs). Il y a ce petit quelque chose à l’esthétique synthétique parfaite que l’on retrouve chez Tycho tout en passant par la douce fougue plus brute de Mount Kimbie. Bref, vous connaissez le chemin à suivre pour rejoindre les autoroutes du streaming, bien que le mieux reste de se procurer la très belle version vinyl de ce premier album de Slamino, qui plus est vendue à un prix tout à fait honnête et abordable.