Il y a vingt ans, GIRLS IN HAWAII, un jeune groupe indie-rock en provenance du Brabant Wallon débarquait sur les bandes FM de la Belgique francophone avec un premier album et une prétention proche de zéro. Quelques singles aux sonorités douces et mélancoliques ont suffit à susciter un intérêt chez le grand public qui s’est pris d’amour pour ce groupe qui finalement s’inscrivait comme alternative à un star-system tapageur dominé par la Star Ac’ et Popstars. GIRLS IN HAWAII arrivait donc à temps pour sauver et offrir quelque chose de différent dans le paysage musical. Bref, la machine s’est emballée et un succès plus vu depuis longtemps pour un groupe “made in Wallonie” s’en est suivi. Chose rare : il n’a pas fallu attendre que le groupe rencontre le succès en France ou à l’international pour qu’il puisse acquérir la reconnaissance sur ses terres d’origine, comme trop souvent en Belgique francophone. Vingt ans plus tard, “From Here To There” reste un album clé qui continue à susciter le même enthousiasme qu’à l’époque. C’est donc finalement 4 soirées, toutes complètes, que Girls In Hawaii propose à l’Ancienne Belgique en ce mois de décembre.
Avant ça, c’est LO BAILLY qui ouvre la soirée. Tout comme Girls In Hawaii, le jeune homme évolue au sein du label 62 TV Records. Il a sorti au printemps un premier album “Prosaique”, tout en français, à la frontière du chant et du slam, entre influences rock et sonorités plus urbaines et arrangements électroniques. Mais ce soir c’est en version piano-voix qu’il vient interpréter ses titres qui font la part belle aux description poétique et brute à la fois, sur fond de notes de musiques aux couleurs nocturnes. Malgré un set très épuré, il capte l’attention du public qui continue à remplir la salle. Pour les amateurs de la langue française et de ses infinies possibilites sémantiques et stylistiques, on vous encourage à aller creuser la discographie du jeune homme.
Cette série de concerts, qui vient conclure une tournée qui est passée par la France et le Luxembourg, s’inscrit dans le cadre du cycle “Rewind” de l’AB. Celui-ci consiste à proposer à un groupe ou un artiste belge de venir jouer l’intégralité d’un album phare de son répertoire, d’autant plus si celui-ci a marqué son époque. Pour l’occasion, via une toile blanche tendue en fond de scène et une petite dizaine d’écrans de télévision répartis sur scène, comme à l’époque, Girls In Hawaii propose un set où des vidéos recréent l’ambiance et les visuels de l’époque, démontrant aussi à quel point Antoine Wielemans n’a pas strictement pas bougé d’un point de vue physique depuis 20 ans. Ces images nous replongent dans le début du millénaire naissant au travers de campagnes, de forêts et d’images de souvenirs prenant des airs de films de vacances ou d’archives.
Pour l’ensemble de cette tournée anniversaire, Girls In Hawaii a fait le choix de respecter fidèlement l’ordre des titres de “From Here To There”, intégrant également le titre caché qui se trouve tout à la fin de l’album. C’est le même scénario qui se répète tout au long de la soirée : chaques premières notes sont accueillies par les cris des spectateurs, quand l’AB ne se transforme pas en grande chorale pour reprendre spontanément les paroles de certains titres. Girls in Hawaii rappelle aussi à tout le monde ses influences rock avec un set finalement plus électriques qu’on ne le pensait, notamment avec un final instrumental bien bouillant sur “Time to Forgive the Winter”. Mais cela n’est rien à côté de l’interprétation sous très haute-tension de “Flavor” où la scène et la salle sont plongées dans une ambiance rougeoyante qui permet de faire monter la pression avant le déchaînement des éléments sonores.
A côté de titres toujours aussi doux comme “Found In The Ground” et “Bees & Butterflies”, Girls In Hawaii propose aussi une version hypnotique de “The fog”. On apprécie aussi de revoir jouer sur scène “Catwalk” et son final en lumière et délicatesse où les bandes sonores des instruments ont été enregistrées à l’envers, donnant des airs d’absorption menant doucement vers le silence. Dans cette ambiance de jolie nostalgie, les membres du groupe évoque aussi différentes anecdotes de l’époque au sujet : entre bricolages de studio d’enregistrement et auto-promo de leur premier EP dans le magasin Free Record Shop où travaillait Lionel. On prend aussi un coup de vieux lorsque le groupe demande ce que nous faisions en 2003 et qu’un jeune spectateur répond qu’il n’était pas né. Boum ! Tout ça prend un air assez convivial, au point que Lionel en profite pour présenter au public sa maman qui est dans les gradins, assise exactement là où le Roi et la Reine étaient également assis en 2015. Le groupe en profite aussi pour pudiquement évoquer la mémoire de leur manager, Pierre Van Braekel, décédé l’année passée. Une disparition qui a laissé un grand vide dans le petit monde de la musique en Fédération Wallonie-Bruxelles.
Le chapitre de la soirée consacré à “From Here To There” terminés, le groupe quitte la scène et prend la direction de la console son, à travers la fosse et instruments à la main notamment pour une version très Simon et Garfunkel de “Misses”, issus du troisième album du groupe, “Everest”. Pour rappel, l’histoire de Girls In Hawaii a aussi été marquée par une tragédie avec la mort brutale de son batteur et frère d’Antoine, Denis Wielemans, dans un accident de voiture en 2010. A l’époque, personne ne pensait que le groupe pourrait se relever de ce traumatisme. Et pourtant, après avoir laissé la tristesse s’écouler, le groupe était revenu sur le devant de la scène en 2013 avec cet album qui rencontra lui aussi un grand succès auprès de la critique et du public. C’est d’ailleurs finalement quatre titres de cet album qui sont joués ce soir. “Not Dead” est ainsi repris en chœur par une AB qui en vient à couvrir le son des voix par son enthousiasme alors que le très nocturne et aérien “Switzerland” annonce doucement la fin de la soirée, le piano y étant mis à l’honneur avec des notes qui se perdent dans un écho silencieux. “Rorschach”, encore un titre issu d’ “Everest”, vient clôturer la soirée avec ses riffs de guitares assassins et là aussi telluriques. Le synthétiseur envoie également la dose de vibrations nécessaires pour rendre le morceau encore plus massif alors que la fosse de l’AB hoche la tête en rythme.
Les années passent et l’engouement qui entoure le groupe ne s’effrite pas. C’est même plutôt l’inverse qui se produit. Nous ne sommes pas certain que, même sans annoncer une tournée anniversaire, le groupe n’aurait pas rempli quatre soirs d’affilée la salle bruxelloise. Le succès du premier album du groupe n’a ainsi jamais fait d’ombre au reste de leur discographie. Alors que l’industrie musicale pousse les artistes à constamment proposer du contenu nouveau, à être présent sur les réseaux sociaux et à calibrer leurs productions en fonction des impitoyables règles des algorithmes, Girls In Hawaii continue sereinement et sans pression, avec discrétion et humilité, à tracer son chemin sans se soucier du contexte de notre époque, proposant ainsi une alternative crédible et qualitative à un public qui est loin d’être de niche.
SETLIST – Girls In Hawaii – AB – 15/12/2023
9.00 AM – Short Song for a Short Mind – Time to Forgive the Winter – Casper – Found in the Ground – The Ship on the Sea – The Fog – Fontanelle – Flavor – Organeum – Bees & Butterflies – Catwalk – Joking About My Life – Words Are in the Woods – Misses – Not Dead – Goddess – I.H.R.N. – Switzerland – Rorschach
