C’est au mois de mai 2021 que le chanteur bruxellois MUSTII avait fait son grand retour avec un premier single intitulé “Alien”. Un titre aussi mastodontesque que fracassant, accompagné d’un sens mélodique imparable. Un second single dans la même veine a suivi à la rentrée, puis un troisième dans un registre un peu moins électrique. Tous ces singles annoncaient le second album de l’artiste qui est sorti il y une dizaine de jours. “IT’S HAPPENING NOW” est un album différent du premier, plus organique, moins léché. Il n’en demeure pas moins cohérent dans l’évolution du style, des compositions et de l’univers de Mustii. Le pari semble gagné jusqu’à présent. Et pourtant, en y abordant un thème aussi lourd et délicat que la schizophrénie, le risque était grand de voir le public ne pas adhérer au concept. Sur cet album, Mustii a rendu un hommage vibrant et puissant, mais jamais larmoyant, à son oncle qui a souffert de cette maladie durant des années. C’est à cette occasion que nous avons été à la rencontre de ce personnage dont le sentiment d’insatisfaction semble être un bénéfique moteur créatif.
Scènes Belges : Ton deuxième album est sorti il y a une grosse semaine maintenant. Explique nous comment tu as vécu cette sortie ?
Mustii : Les jours avant la sortie j’étais un peu anxieux et j’ai peu dormi. C’est deux ans de travail qui sont livrés en un instant et ça ne m’appartient alors plus. C’est troublant en fait. Mais je reçois beaucoup de messages positifs. Les gens semblent avoir compris le message, je n’ai pas l’impression qu’ils sont déroutés. Ils se rendent compte qu’on a passé une étape par rapport à l’album précédent 21st Century Boy et que je ne me suis pas reposé sur mes acquis. Maintenant il faut le défendre ce nouvel album. Le gros du boulot ça va être d’aller sur scène et de le partager de cette manière. Je crois qu’il a vraiment un potentiel scénique important.
Scènes Belges : A condition de pouvoir faire des concerts malgré tout.
Mustii : Oui effectivement, mais cet album doit vivre sur scène, il faut que les chansons puissent prendre une autre ampleur. Je n’ai pas conçu cet album pour la scène mais il y a toujours quelque chose dans mon travail qui est lié à la scène, inconsciemment. Pour les concerts qui arrivent au printemps, on va vraiment retravailler les arrangements des chansons. J’ai hâte que les festivals arrivent aussi, avec des grosses scènes pour pouvoir déployer le caractère épique de cet album. On retrouvait déjà cette caractéristique sur quelques titres du premier album, mais ici tout cela est devenu plus présent encore.
Scènes Belges : Justement, la manière dont tu as travaillé sur cet album a aussi changé il me semble ?
Mustii : Tout à fait. Mon but c’était de proposer d’autres textures sonores et pour ça il fallait que je change de méthode de travail. Sur le premier album on a été très peu de personnes à travailler dessus. On avait travaillé principalement avec des ordinateurs. Pour ce second album, ça a été un vrai travail d’expérimentation avec des musiciens à Paris. On a été aux anciens Studios Vogues où on s’est installé pendant plusieurs jours. C’est un travail que je n’avais jamais fait avant. Je voulais qu’on ressente quelque chose de plus organique dans le son, de moins synthétique. Je cherchais à ce que l’ensemble soit plus brut, qu’il y ait plus de reliefs dans la musique.
Scènes Belges : Les collaborations ont été nombreuses sur cet album.
Mustii : Oui, en effet. Le challenge c’était de travailler avec des gens qui viennent d’horizons totalement différents. J’ai commencé à travailler seul dans ma chambre sur mes synthés, et ensuite j’ai continué ce travail avec le duo de Delta notamment, mais aussi avec d’autres musiciens, compositeurs et producteurs. Et tous ces gens viennent d’horizons musicaux très différents. Toutes ces personnes ont compris ce que je voulais faire et mon job ça a été de garder la cohérence de l’ensemble du projet.
Scènes Belges : Tout récemment, j’ai lu une interview de toi où tu déclarais que tu te sentais toujours comme un imposteur dans l’industrie musicale. Qu’est-ce que tu aurais besoin pour t’y sentir légitime.
Mustii : Remplir le Stade De France je pense (rire)! Je pense que comme j’ai une formation artistique mais qui n’est pas musicale j’ai du mal à me dire que j’ai ma place, et ce malgré le fait que le projet de Mustii existe depuis plusieurs années maintenant. J’ai un coté fanatique et admiratif pour beaucoup d’autres musiciens, et du coup je suis vite intimidé quand je les croises en festivals par exemple. Ça m’impressionne et j’ai du mal à me dire que je fais moi aussi partie de ce milieu et que j’ai le droit d’y prendre ma place. Je fonctionne beaucoup sur le doute et la peur. Le doute c’est aussi un moteur, qui permet de ne pas avoir trop de certitudes. On évite le piège de s’enfermer en restant posé sur ses acquis. Je trouve que j’ai encore beaucoup de choses à apprendre pour être crédible pour moi-même.
Scènes Belges : Qu’est-ce que ça te fait alors quand pas mal de médias belges ont identifié la sortie de ton deuxième album comme “sortie majeure” de 2022 ?
Mustii : C’est vrai que ça fait plaisir et que c’est flatteur. J’espère que le public va suivre et que des gens qui ne me connaissaient pas ou qui me catégorisaient vont pouvoir me découvrir autrement. Même si à la base on écrit et on compose de manière un peu égoïste pour soi-même, l’objectif est quand même que les chansons puissent aussi rencontrer les gens et qu’on puissent se connecter avec eux par ce support.
Scènes Belges : Parlons un peu de la thématique de cet album qui tourne autour de la schizophrénie dont souffrait ton oncle qui est décédé. Comment es-tu arrivé à retranscrire ce sujet complexe et délicat sur cet album ?
Mustii : J’avais l’idée en tête bien avant de commencer à écrire quoi que ce soit. J’avais briefé toutes les personnes qui allaient collaborer à cet album sur le sujet de celui-ci. Je n’ai pas composé dans le vide. Arianna Damato, la chanteuse du groupe Brute avec qui j’ai écris tous les textes, a tout de suite compris ce vers quoi je voulais aller. Et la contrainte était de pouvoir aussi musicalement retranscrire ces émotions différentes pour que cet album soit une forme de montagne-russe, passer de quelque chose d’euphorique à quelque chose de plus sensible, que chaque sentiment soit exacerbé.
Scènes Belges : Aborder la question de la santé mentale de façon aussi directe et assumée peut surprendre. Ce n’est pas un sujet facile et vendeur au premier abord, surtout quand on est un artiste pop comme toi. De la même manière que l’a également fait Stromae tout récemment avec son titre “L’enfer”.
Mustii : Je crois que la santé mentale n’est pas un sujet nouveau dans le domaine de la musique ou dans tous les arts confondus. J’ai l’impression que le trouble et le déphasage par rapport à la réalité est quelque chose qui est abordé depuis que l’homme écrit. On questionne toujours notre rapport au réel. Peut-être que le contexte actuel fait jaillir beaucoup d’œuvres qui vont sur ce terrain. La pandémie actuelle risque de créer des générations troublées, et il faut veiller à ne pas le minimiser. La parole est plus libérée par rapport à ça, et c’est tant mieux. Mais jamais je n’ai eu la prétention d’avoir une approche scientifique de ce thème. L’idée était de prendre un cas concret lié à un membre de ma famille et de laisser mon imaginaire s’inspirer autour de son histoire et de sa perception du monde qui est différente. Il doit doit essayer de dealer avec ses démons pour rester connecter au monde et aux autres. J’aimerais qu’on puisse aussi tous s’y rallier et s’y identifier en dehors de la maladie mentale car on a tous des moments où on ne se sent pas en lien ou en phase avec les autres et le monde qui nous entoure.
Scènes Belges : Dans la même d’accessibilité pour toucher le public, quand on regarde le public qui vient à tes concerts, on constate que celui est très diversifié. Comment tu expliques ça ?
Mustii : Je suis incapable d’identifier la cible à laquelle je dois m’adresser. Et tant mieux. Je n’aimerais pas rentrer dans un processus marketing où je dois m’adresser à une cible spécifique. Je le remarque en concert, il y a des grands-parents, des ados, des enfants, des trentenaires. Comment est-ce possible que ma musique parle autant à une ado de 12 ans qu’à ses parents ? Je ne sais pas.
Scènes Belges : Tu es souvent comparé à David Bowie, dont tu as toujours revendiqué l’adoration que tu avais pour son oeuvre et son (ses) personnage(s). Suite à ce concert à ton concert à l’Ancienne Belgique en fin d’année passée, beaucoup de gens t’ont également comparé à Dave Gahan de Depeche Mode. Tu en penses quoi de ce comparatif ?
Mustii : J’ai regardé des heures et des heures de concerts de Depeche Mode. Pour moi Dave Gahan est un maître absolu. Je suis allé les voir en concerts plusieurs fois. A chaque fois que je regarde des lives de Dave Gahan, c’est une leçon que je reçois. Il y a plein de choses à capter dans son jeu de scène, il est en lien avec son public, c’est physique et sensuel. Son chant et les compositions du groupe sont aussi imparables. J’en parle peu mais je suis un fan absolu de Dave Gahan, alors que David Bowie j’en parle beaucoup trop (rire). Mais il y a aussi Florence Welch de Florence & The Machine qui m’inspire : c’est une sorte de Mike Jagger au féminin. Ce sont des gens dont il y a énormément de choses à apprendre. Ils ont tout compris.
Scènes Belges : Toujours à ce concert à l’AB, il y avait des t-shirts avec la phrase “Waiting for a miracle”. C’est une phrase aussi porteuse d’espoirs que de désillusions potentielles.
Mustii : Tout à fait, je trouve que c’est tout à fait approprié avec le contexte actuel. C’est une phrase extraite des paroles du titre “Alien”. L’album aurait pu s’appeler comme ça. Je trouvais ça important de développer cette punchline avec le merchandesing. Pour l’album, le titre “It’s Happening Now” laisse plus de mystère et d’imagination pour les gens. La chanson du même nom est une suicide song, je commence par la fin en parlant du suicide de mon oncle. Mais ça peut aussi être une renaissance. Tout est possible. Pour en revenir avec cette phrase Waiting for a miracle, je la trouve intéressante car elle peut aller dan tous les sens, il y a de l’espoir mais on est toujours empreint de doutes et on ne sait pas si on va s’en sortir, même si on a la volonté d’y arriver. C’est aussi un écho à la vie de mon oncle qui a lutté en permanence avec ses propres démons, tout en essayant d’atteindre la lumière et de rester connectés aux autres. Mais il y avait toujours une pulsion de vie.
Scènes Belges : Durant ces deux dernières années tu as été obligé, comme tout le monde à peu près, de mettre ta vie en pause. Tu en as profité pour découvrir quoi musicalement ?
Mustii : J’ai découvert Foals. J’étais un peu passé à coté de ce groupe il y a quelques années alors qu’ils sont connus. J’écoute beaucoup toute leur discographie. Je me suis aussi replongé dans la discographie des premières productions de Nine Inch Nails. Je les connaissais mais je les ai achetées en vynils. J’ai vraiment pris le temps de les redécouvrir. Ça se ressent sur l’album qui vient de sortir, je voulais vraiment intégrer des influences et des sonorités indus. C’est ça l’avantage de la pop, on peut intégrer des influences très diversifiées et opposées en les mixant et en faisant quelque chose d’hybride. Je suis du genre à écouter un morceau radical de Nine Inch Nails et à enchaîner avec un “Like a prayer” de Madonna. Il ne faut jamais s’enfermer ou mettre de frontières. Mais dans le futur, j’aimerais bien pouvoir encore aller plus loin dans ces sonorités industrielles.
POUR RAPPEL, MUSTII SERA EN CONCERT A PARTIR DU PRINTEMPS POUR DÉFENDRE SON NOUVEL ALBUM “IT’S HAPPENING NOW” QUI EST SORTI LE 21 JANVIER 2022 EN CD, EN VINYLE ET SUR LES PLATEFORMES DE STREAMING.