Groupe incontournable de la scène métal underground française, ALCEST fête cette année son vingtième anniversaire. Sur leur tableau de chasse on retrouve notamment 6 albums de hautes volées où les genres et sous-genres se mêlent et se détachent pour donner naissance à une musique tempétueuse riche et variée. Ils contournent ainsi habillement le piège de la caricature des genres musicaux. Quelque part entre un black metal atmosphérique, le shoegaze, le blackgaze ou encore la dream pop, c’est cette diversité qui créée leur singularité musicale. ALCEST peut également se targuer d’avoir participé au prestigieux Meltown Festival de Londres en 2018, dont Robert Smith des Cure était le curateur cette année là. Direction l’Orangerie du Botanique donc pour une longue et sombre soirée musicale… mais pas que !
Car oui avant Alcest, deux premières parties sont au programme. Il faut être là tôt car cela commence dès 19h30 avec les 3 islandaises de KAELAN MIKLA qui prennent possession de la scène, avec une musique aussi tumultueuse que les volcans de leur île sauvage. On s’aventure dans la pénombre de la darkwave. Du noir, des chaînes, une voix qui se perd en échos fantomatiques et possédés, une basse assassine et des synthétiseurs qui s’extirpent des tréfonds du monde. La part des ténèbres et ses étranges êtres qui le peuplent se sont donnés rendez vous pour une lugubre danse bien pulsée, dont certains titres sonnent comme des hymnes à la gloire d’un monde obscur et à la dérive. Tout ça sur des textes inspirés de la poésie islandaise. On avoue que l’aspect “poésie” nous a échappé pour des raisons linguistiques évidentes. Mais l’ensemble rend terriblement bien.
C’est ensuite les français de BIRDS IN ROWS qui montent sur scène dans un style extrêmement brutal, aussi bien dans la musique, les rythmes, les sonorités que dans le chant, le cri même. Du chaos émerge un message ultra positif et bienveillant sur le bien fondé de l’âme humaine que porte chaque individu en lui. Ils jouent comme si la moindre baisse de tension allait engendrer un cataclysme encore plus grand que celui qu’ils sont déjà en train de créer avec leurs instruments et leurs voix, constamment au bord de la rupture et d’une vulnérabilité extrême. C’est avec les tripes qu’ils envoient l’urgente brutalité de leur musique. Résultat c’est le souffle court qu’ils s’accordent quelques secondes de répit entre les titres. Et nous aussi. La masse d’énergie qui explose au cours de le leur set est impressionnante.
La musique d’un cœur d’église est diffusée dans les enceintes quelques minutes avant que ceux que toute l’Orangerie attend ne montent sur scène. Les roadies travaillent avec un calme presque déconcertant après le choc tellurique qui a précédé… et celui à venir. Il est 21h30 lorsque ALCEST monte sur scène. Tout cela commence avec une guitare aérienne mais vive, et un chant en forme d’incantation sur “Les Jardins de Minuit”. Tout cela semble annoncer le début de quelque chose en provenance des entrailles de la terre. Terre qui se met à trembler au propre comme au figuré (on est au premier rang contre la scène et celle-ci tremble) lorsque le batteur vient envoyer ses premières rafales rythmiques d’abord martiales, et ensuite saccadées et rapides. Il en est de même lorsque la basse s’en mêle et surtout lorsque les deux guitaristes se mettent à caresser leurs cordes avec une maîtrise et un calme qui viennent contrecarrer le côté massif et tournoyant des riffs qui nous sont envoyés. Le light show vient achevé le boulot avec de beaux tableaux alternant mises en valeur discrètes des musiciens et salves stroboscopiques.
De cet ensemble sonore s’écoulent des mélodies et un son puissant. Quand on parle de la puissance émotionnelle de la musique on est en plein dedans. Ils sont plusieurs à avoir fermé les yeux dans le public et à s’être laissé envoûter et porter par ce qui s’apparente à une tempête sereine et harmonieuse. Comme lorsque les guitares se font plus atmosphériques et planantes pour que chaque note puisse être égrenée délicatement dans un style plus proche des ambiances posées du post-rock. Et ce jusqu’à la prochaine explosion au goût de métal qui se laisse pousser des ailes comme au moment du rappel sur « Délivrance ».
C’est un public très attentif qui les applaudit vigoureusement entre chaque titre avant de replonger dans un silence total pour qu’aucun décibel ne puisse lui échapper, à l’exception de l’éternel troll de service qui se sent obliger d’hurler un, toujours très distingué, « à poil » lorsque le chanteur fait remarquer que ce silence est impressionnant. Chanteur qui s’exprime avec une voix des plus posée, presque timide. Ce qui rend la férocité musicale d’autant plus touchante et profonde, jamais agressive.
Alcest trouve toute sa force et sa singularité dans cette capacité à allier la puissance de frappe sonore du métal avec un beauté mélodique presque divine, à vous en mettre les larmes aux yeux, en faisant émerger la lumière du tréfonds des ténèbres de la Terre. Il n’y a pas besoin d’être un fan acharné du style métal pour se laisser porter dans leur univers et leur musique bien plus cérébrale et émotionnelle que ce que certains clichés pourraient laisser penser.
SETLIST – Orangerie du Botanique – 03/03/2020
Les Jardins de minuit
Protection
Oiseaux de proie
Autre temps
Écailles de lune – Part 2
Sapphire
Le Miroir
Kodama
Là où naissent les couleurs nouvelles
Délivrance
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