L’artiste américano-belge Trixie Whitley nous a accordé de son temps avant son concert à l’Ancienne Belgique (dont vous pouvez retrouver le compte-rendu ICI ). Et c’est en toute simplicité que nous avons pu échanger avec elle dans sa loge avant le concert.
Gaël pour Scenes Belges : Vous parvenez à ma donner des frissons aussi bien en live qu’en album, comment est-ce que vous travaillez sur la production? Quels sont les choses spécifiques sur lesquelles vous travaillez?
Trixie Whitley : J’essaie vraiment d’utiliser le studio comme un instrument complètement différent de la scène. J’ai d’ailleurs souvent la remarque des gens :”Oh mais vos albums sonnent tellement différemment en live”. Je dis toujours que j’aime le studio pour des raisons différentes de celles pour lesquelles j’aime le live. Il y a deux bêtes différentes, si je puis dire, et du coup je ne suis pas gênée pour utiliser ces différences. Je n’essaie jamais de reproduire un album sur scène, j’aime le fait que ce soit des environnements différents, en tant que performeuse et musicienne j’aime utiliser ces deux facettes différentes. Le fait est que dans un studio tu as tout un tas d’instruments, pédales, etc… à ta disposition pour travailler et c’est complètement différent sur scène si un micro tombe ou qu’un câble lâche, vous êtes devant des milliers de personnes avec votre problème. Ce sont aussi des choses avec lesquelles il faut travailler et j’aime travailler avec ces challenges. Je suis quelqu’un qui est à la recherche de ces heureuses erreurs, je vis pour le processus, durant un show live j’aime aussi aller quelque part où je sais que je peux me surprendre moi-même, et le public également (rire!). Je sais que le public peut s’attendre à ne pas assister deux fois au même show, comme dans une situation comme aujourd’hui où nous jouons deux soirs d’affilées à l’AB, je sais qu’il y aura des choses différentes par rapport à hier et j’espère pouvoir transmettre tout ça et j’ose espérer que mon public ressente ça également.
SB : Nous parlions de peinture tout à l’heure, est-ce que vous avez de l’intérêt dans d’autres branches culturelles que la musique? (Peinture, danse, théâtre, etc…)
TW : Tout à fait! Je pense que j’apprends à connaitre mes propres formes d’expression tout comme je grandi et évolue. Fondamentalement je pense que l’endroit où je suis le plus à l’aise, c’est dans l’expression. Et j’ai toujours été gênée par rapport au mot “Artiste” parce que je trouvais ça trop prétentieux. Mais je réalise maintenant que je suis une artiste en expression, que ce soit via le son, les mouvements (jouer la comédie, danser) j’adore vraiment le côté artistique de ces formes d’expression. Tout comme la peinture en fait, je ne peins pas moi-même mais j’imagine tout à fait qu’un jour ce serait un moyen pour moi de me distancer un peu de la musique et qui pourrait être aussi gratifiant que la musique. Encore, l’expression est quelque chose de très circulaire, j’utilise le terme circulaire car je connecte tellement de choses là-dedans. C’est un monde d’expression, que j’ai un bête sceau pour taper dessus (rire) ou si j’ai juste un micro et une personne dans le public, c’est une toute autre dynamique. C’est un peu une sensation d’expression parce que j’aime beaucoup utiliser mes sens, trouver le bon compromis entre eux. Comme par exemple un très jeune enfant qui n’a pas encore de vocabulaire pour communiquer mais ils ressentent quand même les choses. J’aime conserver ce type de réaction subconsciente à la manière d’un jeune enfant.
SB : Breath you in my dreams est vraiment spéciale pour moi, c’est une chansons que j’aime beaucoup et j’ai déjà entendu des versions bien différentes. Pouvez-vous m’en dire un peu plus sur ce morceau et son évolution?
TW : J’ai été intéressée, fascinée par l’exploration du territoire des Sonics, en utilisant des technologies modernes, pédales d’effet, etc… pour colorer la musique. C’est comme jouer le même riff avec différentes pédales d’effet, le résultat est à chaque fois différent. Comme je m’entend parler ici, j’expérimente vraiment la musique comme un peintre. Je sais quelle image je veux peindre en gros, mais je peux toujours rajouter des nuages un jour, changer des couleurs ou ajouter des ombres, éclaircir l’image, etc..
Pour en revenir à la question, Breathe You in My Dreams est une des premières chansons que j’ai composées et c’était vraiment un aspect hyper important à l’époque pour moi. Parce que j’ai réalisé que :”Ok, j’adore tout ce qui peut se passer dans un studio mais fondamentalement je veux chanter mes propres chansons”. Si je ne veux pas que d’autres écrivent les chansons pour moi, parce que je pense que j’ai réalisé très vite en tant qu’ado que je n’étais clairement pas satisfaite de juste chanter les chansons. A plusieurs reprises et plus spécialement lorsque vous êtes une chanteuse, il y a une certaine formule toute faite dans l’industrie musicale : Oh tu es une chanteuse, alors créons simplement le reste du package. On va te donner des chansons, la production, le groupe, et tu peux juste chanter par-dessus et être sur scène.
Et très jeune j’ai réalisé que je n’étais pas du tout intéressée par ça, j’ai donc appris à écrire des chansons assez puissantes que pour être présente sur un album sans que ce soit quelqu’un d’autre qui la compose. Du coup “Breathe You in My Dreams” est un exemple parfait, car je pense que j’ai continué sur cette voie. Je commence peut-être de façon un peu old-school, comme “est-ce qu’une chanson peut tenir la route sans toutes les astuces et effets du studio?”
Du coup, quand je suis sur scène, je peux soit amener tous ces outils du studio ou bien au contraire jouer le morceau de manière très épurée mais c’est toujours la même chanson. C’est comme ça que j’aime travailler!
SB : Quelques explications sur la pochette du dernier album, Lacuna?
TW : La pochette du dernier album? Vous savez quoi? Et bien on l’a refaite! J’étais vraiment très excitée par la première pochette mais après nous avons tourné les clips de l’album, et c’est la première fois que je travaille avec une directrice artistique de haut niveau et elle disait :”Ok tu sais quoi? Je ne pense pas que ce soit suffisamment bon…” Et moi j’étais là comme ça :”Oh ok… Tu penses que ce n’est pas suffisant? … ok alors remettons nous au boulot, regardons tous les ingrédients à notre disposition et essayons quelque chose de différent!” parce que j’aime beaucoup être challengée! (rire).
Par après j’étais là :”Ah mais oui! Elle avait tout à fait raison!” et je suis tellement contente que quelqu’un soit aussi critique parce qu’on a tous besoin de ça et j’aime être challengée. Ça a pris un peu de temps pour atterrir là où nous le sentions bien, où ça pourrait rendre justice à l’album. C’était comique à propos des couleurs au début je voulais absolument que ce soit rouge, le disque devait être rouge mais après quand j’ai commencé à réfléchir plus en profondeur j’ai remarqué que tout le monde utilisait le rouge de nos jours (rire). Du coup j’ai commencé à voir ce lettrage rouge partout, comme la scène Punk l’utilisait, un truc un peu old-school… J’aime cette esthétique. Mais ensuite j’ai réalisé que je souhaitais créer quelque chose de plus personnel, et j’ai vu une peinture de Pierre Soulages et j’étais là :”Wow, CE bleu est vraiment spécial! Je n’ai pas souvent vu ce type de couleur dans le paysage musical”. Le genre rouge-noir-blanc est quelque chose que j’ai déjà vu à de nombreuses reprises, surtout dans le milieu de l’underground mais maintenant c’est utilisé également dans le milieu plus commercial, un peu comme à chaque fois ils volent à l’underground. Du coup je me suis dit :”Oh bleu électrique, essayons ça!” et ça a fini par marcher plutôt très bien!
SB : Alors il y a d’autres formes d’arts qui nourrissent votre musique?
TW : Je pense en effet! Honnêtement c’est la première fois que j’ai un costume sur scène. Et j’étais là :”Oh mais qu’est-ce que tu fais?” Je ne porterais pas ça de manière normale, dans la vie de tous les jours, mais sur scène ça m’aide clairement à créer quelque chose. Je suis toujours très impliquée dans mes artworks, vidéos et tout ça et j’aime énormément discuter avec des designers parce que c’est le langage visuel et c’est une très bonne manière pour moi de m’exprimer. J’adore collaborer avec d’autres artistes car fondamentalement la plupart des gens sont vraiment créatifs. Il faut utiliser ses sens pour nourrir son inspiration. C’est vraiment quelque chose qui m’excite, je me sens comme au début du voyage. Ça m’a déjà pris tout ça (3 albums), pour trouver une sorte de confiance dans ma musicalité parce que c’est quelque chose dont j’étais très demandeuse déjà à un très jeune âge et avec l’influence extérieure de l’industrie musicale c’est quelque chose contre lequel j’ai dû me battre pour trouver ma place de musicienne. Et ne pas être seulement reconnue en tant que juste une chanteuse qui peut convenir au package fourni par l’industrie musicale. Trouver ma propre confiance en quelque chose : “Oh ok, je sais comment écrire des chansons, je peux apprendre ça ou ça“. Je suis vraiment investie dans l’écriture des paroles, les sons, tonalités, etc… Alors maintenant ça m’a pris 3 albums pour trouver cette confiance et je pense maintenant être beaucoup plus confortable avec cet aspect de moi-même, je peux donc vraiment commencer à explorer d’autres formes d’expressions et les ramener dans mon monde. Je dis que c’est seulement le commencement parce que j’ai ressenti récemment que en tant que femme :”Merde, j’arrive à 30 ans!” (rire) et que dans l’industrie musicale, qui est un peu comme le monde des sportifs, tu peux être très vite oublier ou déchu si tu ne joues pas à un très haut niveau. Mais récemment, j’étais plutôt excitée d’être encore sur scène à 70 ans! (rire).
Je sais que j’ai encore un long voyage à parcourir et je trouve ça excitant même si je ne rentre pas dans le carcan de la “Pop”, je serai présente pour un long moment et je trouverai mon public, mon public me trouvera en retour et une chose est certaine c’est que je continuerai à chercher de nouvelles façons de m’exprimer parce que c’est tout simplement mon identité profonde. Je trouve ça extraordinaire si tu peux avoir une relation humble en connaissant tes forces pour explorer et expérimenter, c’est sans fin. Quand tu sais que tu vis pour le processus et que ce genre de chose est étalé sur la vie entière, ça importe peu que les gens perçoivent comme un succès ou non. Un indice de mon succès est que je sais que je donne tout à 100% à chaque instant.
C’est comme les chefs cuisiniers, quelqu’un de passionné par la nourriture c’est sans fin, la liste d’influences, d’autres cultures que tu peux étudier et amener toutes ces épices dans tes plats. Quand je regarde des chefs réellement passionné par l’art culinaire, vous pouvez aussi voir la joie quand ils servent des plats aux autres. Nous avons tous besoin de boire et manger c’est sûr, mais si tu peux le faire vraiment bien, quelque chose de particulièrement bon, quand tu vois un chef il vit pour ça.
La comparaison je pense est l’amour profond d’avoir la possibilité de fournir à quelqu’un quelque chose qui nourrisse son âme, son corps ou son coeur et qui est probablement très bon pour eux. C’est parfois comme ça que je me vois avec mes ingrédients d’expressions (rire).