C’est à LA MADELEINE que le rendez-vous est fixé pour la soirée que nous propose le label Ki Records et deux de ses baroudeurs des contrées électroniques allemandes : FEJKA en première partie et CHRISTIAN LOFFLER en tête d’affiche, qui est également le fondateur dudit label. Ils viennent présenter leurs albums respectifs sortis cette année : ils sont remplis de classe et de finesse, sans virer dans la démonstration technique pédante. Christian Löffler fait une deuxième soirée soldout ce soir à Bruxelles après un premier passage en avril à l’Orangerie du Botanique. Et le public ne s’y est pas trompé car ce soir ça sera la musique électronique dans ce qu’elle a de plus authentique et organique : la construction d’un son, d’un rythme, d’une mélodie et de l’atmosphère onirique et de grands espaces qui en découlent.
C’est sur le coup de 19h45 que le discret Fejká monte sur scène en toute simplicité pour un set d’une cinquantaine de minutes. Il vient pencher son regard et poser ses doigts sur les machines devant lui. Les premières notes résonnent et la rythmique se met doucement en place, profonde mais aérienne. Cette énergie positive semble être partagée avec les premiers mouvements de tête et déhanchements harmonieux des corps qui se mettent à accompagner la musique au sein d’une assistance encore un peu clairsemée à cette heure précoce. Il privilégie bien évidemment les titres de son dernier album, Reunion, au travers du monde enchanté d’une techno minimale lumineuse, de grands espaces vierges et doucement sauvages. Il trouve l’équilibre lui permettant de ne jamais basculer dans l’écœurement de beats et d’effets sonores tout en maintenant l’assistance dans une énergie légèrement bouillante par des montées et explosions rythmiques successives. C’est sous des applaudissements et des cris généreux qu’il quitte la scène.
Un gros quart d’heure plus tard les lumières s’éteignent pour de bon. Il est alors un peu plus de 21h lorsque le grand (le géant) Christian Löffler monte sur scène avec la même discrétion et simplicité que son prédécesseur. Un petit signe de la main et un sourire timide à l’attention du public et l’expérience peut commencer. Des nappes sonores s’échappent des enceintes, elles s’amplifient jusqu’à ce qu’un léger et lent battement ne vienne s’y immiscer, ce qui ravit le public silencieux et attentif.
Simultanément, et tout au long du set, sont projetés des images qui alternent entre forêts sauvages et mystérieuses, rivières, fleurs, plages désertes et autres formes plus ou moins déstructurées. On est plongé dans des ambiances de pénombres d’où émergent quelques faisceaux d’une lumière douce qui oscille entre les teintes de gris et de verts foncés légèrement troubles et vieillies. Toutes ces projections semblent venir de « Graal » dans le Nord de l’Allemagne où Christian est parti enregistrer ce nouvel album du même nom. La plongée dans la transe onirique de cette électronica n’en est que plus complète. C’est une impression de plénitude qui se dégage de la masse qui danse tranquillement.
On rouvre les yeux quelques instants le temps de constater qu’en fait une bonne majorité de la salle s’est laissée portée de la même manière en oscillant sur les rythmiques hypnotiques les paupières closes, un léger sourire sur le visage. Et on replonge ensuite dans cette douce valse électronique nocturne, à peine troublée par l’arrivée sur scène de la très timide (oui il semble qu’ils se soient tous donnés le mot) Mohna. Elle vient alors poser ses mains sur les claviers et surtout poser sa voix pour accompagner Christian aux machines dans la construction sonore et rythmique en cours. Elle restera à ses côtés une petite heure durant, avec notamment une interprétation profondément vibrante du titre “Like Water”, accompagnée du très nostalgique et réussit clip animé qui accompagne le morceau. Elle quittera la scène comme elle est arrivée, en toute discrétion, presque gênée des acclamations que le public lui adresse.
La tournure de l’expérience hypnotique devient clairement plus dansante et euphorique après cette première partie de set assez calme mais d’une intense fragilité. Le discret jeu de lumière, jusque là se fait plus frénétique, le beat s’accélère lentement, et la douce transe collective se transforme progressivement en un rayonnant dancefloor. Derrière ses machines et ses ordinateurs, l’homme s’affaire avec méthode et maîtrise. C’est propre, précis et carré : la rigueur allemande en y ajoutant une touche émotionnelle subtile et puissante. Le plaisir se prolonge avec le titre “Ry” issu du dernier album et un dernier morceau balancé en mode conquérant et tourbillonnant, mais toujours avec finesse. Par contre impossible de l’identifier, Shazam nous aura proposé cinq titres différents, tous aussi improbables les uns que les autres ! Les dernières notes et secousses vont s’estomper dans La Madeleine qui aura pris sa dose de bonnes ondes ce soir, un peu comme nous. Les lumières se rallument et chacun s’extirpe tranquillement de la contrée enchantée dans laquelle Christian Löffler nous a perdu durant plus d’une heure et demi. Mais reste les belles énergies.