Arpentant nos salles depuis le début des années 2010, les Californiens de Touché Amoré et de Deafheaven voient leur renommée grandir de concert avec leur ambition de briser les codes : une insolence passionnée qui ne manque pas de nous transcender à chaque rencontre.

Ce 4 octobre, nous avons rendez-vous dans la mythique Ballroom. Cette salle enchanteresse est de rigueur si l’on veut pouvoir aborder valablement les concerts qui nous attendent ce soir. C’est d’ailleurs Portrayal Of Guilt qui accompagne Touché Amoré et Deafheaven pour défiler, chacun à leur tour, sous cette lumière sanguinolente qui n’est pas sans rappeler l’artwork de « Black Brick ».

Il s’agit d’un combo pour le moins éclectique ; si les texans de POG sont positivement surprenants, rendant inoubliables le cri de leurs cordes et la lamentation des caisses dont on peut presque ressentir la douleur durant tout le set, c’est la voix cassée de Jeremy Bolm et son It’ll be better if you just stay the fuck away (du titre « Cadence ») qui me déchirent littéralement le cœur quelques instants plus tard.

Touché Amoré (déjà présents en 2012 aux côtés de Rise Against, comme quoi c’est en se servant des vieux pots qu’on fait les meilleures soupes) sait indéniablement comment heurter un public ; Bolm s’y jette d’ailleurs sans autre forme d’introduction comme pour attiser une flamme qui vient tout juste de prendre vie. La musique est incroyable, l’ambiance est brulante et les paroles sont sans cesse lancées çà et là, de part et d’autre de la salle : derrière moi, un homme d’une cinquantaine d’années connait la réplique et la renvoie à une adolescente du premier rang qui s’apprête à crowd surfer. Ainsi, c’est durant une bonne heure que nous voyageons dans la discographie du quintette ; les morceaux sont courts, ce qui permet d’en explorer les recoins.

Toutefois, l’assemblée n’atteindra jamais cet inévitable tout homogène et sautillant que l’on rencontre d’ordinaire. Au contraire, c’est dans un espace aéré et respectueux des expériences individuelles que le public accueille Deafheaven.

La veine post-rock fait indéniablement partie intégrante de l’identité musicale du groupe. Ce métissage est considéré par plus d’un traditionaliste métalleux comme une tendance « hipster » sans grand intérêt, critique que la performance live vient d’emblée ébranler. En effet, une telle hybridation ne peut s’entendre que si elle se vit pleinement : en dehors des écouteurs (en salle, donc), mais également en dehors de soi. Placée juste en face de Shiv Mehra (guitariste), je peux apprécier la justesse et la présence des instruments à cordes placés sur le même piédestal que la voix sépulcrale de George Clarke (chanteur). Cette dernière est, certes, délicieuse, mais pas autant que le fredonnement des instruments qui ont, quant à eux, une portée universelle.

Alors que c’est son anniversaire, Clarke ne laisse rien paraitre et évince les applaudissements pour s’abandonner totalement à l’intensité des émotions procurées par la musique. Loin d’être égoïste, celui-ci semble avant tout vouloir prôner le partage et la méditation. Les passages exclusivement instrumentaux s’y prêtent d’ailleurs parfaitement et ne manquent pas à la setlist proposée, laquelle met davantage en avant « Ordinary Corrupt Human Love » et ses morceaux de plus de dix minutes. Il n’y aura pas de rappel ce soir ; si cette omission m’exaspère généralement, je comprends qu’elle coïncide avec l’atmosphère et clôt parfaitement la soirée : l’inverse aurait été abrupt.

En définitive, c’est une soirée placée sous le signe du ravissement. La sobriété ainsi que la diversité des groupes à l’affiche (malgré le partage d’une même scène, au sens général du terme) est interpellante et prouve que la musique ne connait ni protocole, ni visage ; seulement des yeux fascinés pour la contempler.

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