C’est sous une météo plutôt clémente bien que grisâtre que la dix-huitième édition du festival Esperanzah ! s’est ouverte sur le site de l’Abbaye de Floreffe. Une petite quarantaine de concerts sont proposés cette année, sur trois jours avec des artistes venus des 5 continents et de 20 nationalités différentes. C’est une affiche variée et axée sur la singularité artistique que les organisateurs nous proposent une fois encore. A coté des trois scènes habituelles ( le Jardin, le Futuro et l’Alpha) vient se greffer le Kiosq, sorte de soundsystem actif du début de l’après-midi jusqu’aux petites heures de la nuit, pour les plus téméraires et les amateurs « d’afters ». Récit d’une première journée déjà haute en couleurs et en vibrations. On sent aussi déjà que nos mollets vont souffrir avec les dénivelés monstrueux qui séparent les différentes scènes. L’Abbaye de Floreffe prend des airs de citadelle aux multiples couleurs !
Alors que Le Grand Méchant Loup & Global Hybrid Crew animent déjà gentiment ce nouveau Kiosq, c’est les Guadeloupéens de Delgres qui inaugure la scène du Jardin sur le coup de 16h30, avec leur blues où se mélangent aussi bien le rock et des influences plus exotiques. Le Trio guitare-percussions-tuba s’en donne à cœur joie et fait participer activement un public qui répond déjà présent. Public où les premiers pieds qui tapotent le sol et les premiers hochements de têtes deviennent déjà des démangeaisons. Au micro, le chanteur donne de la voix avec un effet de saturation légèrement rétro d’où se dégage une chaleur qui sent bon la bière et la moiteur d’un club surchauffé. Pareil pour la guitare. Le tout nous est servi sur fond de textes dénonçant principalement l’esclavagisme. Le trio nous propose aussi quelques belles balades d’amour. C’est un démarrage l’air de rien assez costaud qu’ils nous ont offert.
Direction ensuite la scène Alpha pour Babylon Trio. Comme son nom ne l’indique pas, ce sont trois musiciens et un chanteur qui montent sur scène. Ils sont arrivés en Belgique en tant que réfugiés il y a quelques années. Avec un clavier et des percussions c’est suffisant pour diffuser une musique où se mêlent influences électroniques et surtout musique traditionnelle Irakienne. Et dès les second morceau ils sont rejoints par une danseuse orientale. Après un démarrage tranquille et en douceur, se met en place une piste danse du Moyen-Orient, aussi bien sur scène que dans le public. Ce sont des rythmes effrénés comme ces pays du globe savent en produire qui nous embarquent au pays des milles et une nuits.
Retour ensuite au Jardin pour Danakil & The Baco All Stars pour un set de deux heures très attendu par un public chaud bouillant. C’est la grande famille du reggae français et surtout du label créé par Danakil qui s’est donnée rendez-vous pour faire la fête ! Même le soleil se décide enfin à arroser gracieusement la plaine. C’est le troisième passage de Danakil à Esperanzah et dès le premier morceau (« Echo système ») tout le monde est à fond. Au milieu de ce premier morceau le frontman interpelle le public par un splendide « merci pr les odeurs ». Le ton est donné. Tous les bras se lèvent. Et il en sera ainsi deux heures durant. Ca se bouscule sur scène tellement il y a de monde, entre les chanteurs qui se succèdent et les musiciens. Coup de cœur pour leur hit « Marley ».
On les abandonne avant la fin de leur set pour aller jeter un œil et une oreille aux Namurois de Glauque qui jouent presque à la maison ce soir (circuit-court oblige, vu qu’on est à Esperanzah!) sur la scène Alpha. On les avait déjà vu au Botanique en mai sous chapiteau avec 3 degrés, au Verdur Rock fin juin sous 43 000 degrés, on les voit enfin dans des conditions météos optimales et avec une luminosité extérieure qui diminue. Et c’est pas plus mal, ça donne de plus en plus d’ampleur à leur musique et à leurs textes aussi inquiétants que profonds. Les cinq bonhommes semblent monter en puissance et en tension à chaque concert. Lorsque les premières notes de leur titre « Robot » résonne le public s’emballe littéralement. Un peu plus tard ça part virilement en pogo au rythme de leur musique riche. Riche car elle bascule de nappes de synthés à de la haute tension électronique dans des mélodies au parfum de drame. Mention spéciale à leur nouveau morceau « Plane » et son implacable explosion vocale. Il faudra quand même qu’ils se décident à sortir un premier EP.
On continue notre promenade dans les allées de l’Abbaye pour aller kiffer sévèrement la prestation nerveuse et intense du beat-boxer australien Dub FX à la scène Futuro, alors que la nuit est maintenant tombée. Armé de deux trois machines et de toute une série de pédales d’effets il construit ses morceaux en amenant d’abord un beat avec sa voix, en y posant ensuite des vocalises en formes de mélodies pour finir par poser son chant tantôt presque pop, tantôt clairement rappé. Mais dans tous les cas il nous fait décoller avec lui. Et pourtant ça a commencé avec un souci technique qui n’a pas pour autant décontenancé outre mesure ce gourou des vibrations, au delà de deux trois « fucking bullshit » et coups de pieds dans la machine pour qu’elle retrouve ses esprits. Mais ensuite le décollage est immédiat dans des chambre d’échos monstrueuses et des basses qui font trembler les murs de l’abbaye. Ca part en reggae, en rap pour finir dans des incantations mystiques et psychédéliques. Vers la moitié de son set il est rejoint par un saxophoniste pour partir en méga dancefloor drum’n’bass. Et là encore ça par dans un pogo royal et syncopé dans le public. En fin de set, il redescend d’une vitesse pour son très joli titre « Love me or not ». C’est notre énorme coup de cœur de ce premier jour. A voir de toute urgence !
Passons ensuite au cas psychiatrique de Mezerg : l’homme aux 3 pianos, au Casio et à la grosse caisse. Il en naît une rythmique effrénée et complètement folle-dingue. Il fait danser le peuple d’Esperanzah! plus ou moins n’importe comment, mais ça danse à tous les étages. Sa musique est comme une machine infernale lancée à pleine charge avec des descentes et d’implacables montées, que personne ne peut stopper. Mieux, tout le monde semble vouloir que cela continue encore. Et il part pour un joyeux délire sur le gimmick d’ « Au clair de la lune » tout en distorsion. Un fou dont la folie est douce et nécessaire.
C’est ensuite à minuit tapante que le Français Thylacine monte sur la scène Futuro pour livrer un set à l’image de ses deux premiers albums, invitant au voyage et à l’évasion. Armé de plusieurs écrans qui bougent sur scène et de toutes ses machines il construit lui aussi le son de sa performance en direct, le rendant visible aux yeux et audible aux oreilles de tous. William Razé de son vrai nom semble clairement habité par sa musique, les expressions de son visage et la manière dont il vit physiquement sa musique ne laissent aucun doute là dessus. Et le public l’accompagne dans ce voyage qui vascille entre la Russie et L’Argentine (pays où il a enregistré respectivement son premier et son second album). C’est un set ultra percutant qu’il propose à un public qui l’attendait fermement. Il s’empart plusieurs fois de son saxophone pour agrémenter son set. Et comme toujours avec lui, le titre « Moskva » vient faire exploser une assistance qui n’attendait que ça, dans une sorte de transe jubilatoire généralisée. Pour info, il repasse à La Madeleine à Bruxelles le 25 octobre.
On termine tranquillement notre journée et notre nuit déjà bien entamée avec le berlinois Monolink. Il se présente en toute simplicité sur scène avec son veston, son chapeau, sa guitare électrique et son PC. Avec lui tout part d’une guitare et de sa mélodie sur laquelle viennent se greffer toute une série de rythmes et de samples. C’est comme ça qu’il nous sert de douces incantations hypnotisantes jusqu’au bout de la nuit, bercées par un beat lourd et profond dans sa première partie. Son set devient ensuite plus tempétueux et rythmés dans sa seconde partie. Le cap des deux heures du matin est alors déjà largement franchi, et il est temps pour nous d’aller chercher notre sommeil pour quelques heures, après cette première journée riche en images et en décibels.