En ce mardi 18 juin, l’Atelier 210 à Bruxelles osait le pari de rassembler dans une même soirée une conférence du physicien Belge François Englert, qui s’est vu décerné le Prix Nobel de physique en 2013, avec un concert des deux allumés du cerveau du groupe La Jungle. Bref un cocktail improbable qui suscite la curiosité.
Alors on va être clair, on ne contestera pas le fait que François Englert a été récompensé du Prix Nobel de Physique pour ses travaux sur le mécanisme de Brout-Englert-Higgs, un élément clé du « modèle standard » de la physique des particules (c’est à ce moment là qu’on perd déjà les ¾ des lecteurs). On ne le contestera pas parce qu’on a clairement pas le niveau et la connaissance pour l’envisager, même en rêve, ou même à 4h du mat autour d’une bonne bouteille. Jamais ! Donc sa conférence, à laquelle on a assisté, a plus que certainement été extrêmement riche et aura ravi l’armée de Sheldon Cooper présente dans la salle ce soir, mais désolé, nous on a rien compris. Désolé François, avec tous le respect que l’on a pour toi, pour la richesse de ton propos et de tes recherches, en tant que profanes, pour ne pas dire cancres des sciences, on était perdu au bout de la 19ème seconde.
Tout ça pour dire que finalement c’est sur le coup de 22h45 que les “deux singes rouquins de La Jungle, l’un qui est petit, et l’autre qui est grand” (dixit la vidéo de présentation réalisée par l’Atelier 210) investissent la scène. Soyons clair une fois encore, ce soir ce sont deux public très différents et venus chercher des sensations et des ondes différentes qui se sont croisés et un peu côtoyés, au bar surtout. L’assistance pour La Jungle étant plus intimiste que pour la conférence de François Englert. Mais dans les deux cas ce sont des connaisseurs attentifs qui sont présents et partent au quart de tour dès qu’on leur parle leur langage. Celui de La Jungle est assez sauvage et hybride, avec leur math/kraut/transe-rock servi à base d’une guitare, d’une batterie et d’un Casio pour générer un maximum de bruits et d’effets chelous sur une cadence ingérable.
Mais ils attaquent d’abord doucement avec quelques accords de guitares tranquilles avant de tout envoyer voler en l’air dans une nerveuse énergie joyeusement communicative. Et à partir de là c’est parti pour une heure à “200 km/h dans une voie à contresens” (inspiration à peine déguisée du titre du premier album de TATU). Mais finalement est-on tellement loin de la vérité ? Le matin même les gars étaient encore à Toulouse où, parait-il, il faisait moins chaud qu’ici. Ils sont sur les routes armés d’un troisième disque, le très réussi et varié “Past // Middle Age // Future”. Et pour le défendre ils n’ont pas besoin d’aide, entre le guitariste qui se met à agiter ses jambes et sa tête dans tous les sens, et le batteur qui semble avoir pris un shoot explosif d’on ne sait pas quel cocktail survitaminé, c’est bon comme ça, ça ira ! Ça transpire allègrement. C’est une impression de rage qui se dégage d’eux, mais elle n’a rien de destructif, elle est même assez festive et jouissive en fait. Et dans la salle ça danse aussi n’importe comment, et en faisant n’importe quoi, dans une euphorie pleinement assumée.
Là où le groupe apporte une nouveauté par rapport à ses précédentes productions c’est sur des titres comme “And the serf caresses the head of his lord” (oui oui, ça ne s’invente pas) avec des passages plus calmes, voir carrément planants. Mais on sent malgré tout cette tension palpable qui peut faire partir le morceau en sucette à tout moment. Et de fait, il y a toujours un moment où ça repart dans tous les sens comme une locomotive à vapeur lancée à plein régime, sans frein, et en pleine descente du Mont-Fuji (par exemple). Alors quand ils envoient le titre “Hahehiho” dans sa version la plus speedée c’est carrément l’apocalypse. Idem avec le bulldozer de “Technically you’re dead” qui défonce tout sans demander son reste, ni pardon. Distribution générale de joyeuses claques vigoureuses ! Et si tu l’as pas vu venir, tant pis pour toi !
La jungle fait partie de ces groupes dont les productions sur CD sont très intéressantes, bien que probablement un peu trop viriles et oppressantes pour une oreille non-avertie. Mais alors une fois que ça se passe sur scène, on rentre dans une autre dimension gargantuesque qu’il faut vivre pour en saisir la puissance. Un mystère que la physique et François Englert ne sont pas encore prêts de résoudre. Peut-être parce que le pouvoir des ondes musicales de La Jungle est tout bonnement indomptable et insaisissable ?