Dans le registre “je suis une femme et je vais vous en faire voir”, la Belgique possède Angèle. La cousine Suisse a SANDOR. La comparaison s’arrêtera là, le côté doucement acidulé d’Angèle n’ayant nullement droit de cité chez Sandor, ce qui n’empêche pas cette dernière d’afficher un large sourire. Avec une notoriété doucement mais sûrement installée dans son pays natal après quelques singles et des prestations scéniques remarquées, Sandor s’attaque aujourd’hui à la Belgique et à la France avec une premier album éponyme, sorti à la mi-avril. Des textes directs, sans détours, et une musique à dominante électronique, c’est en somme une belle alchimie qui oscille entre le chaud et le froid qu’elle nous propose dans les méandres de la chanson française, de la pop et de l’électro. De passage à Bruxelles dans le quartier des Marolles, nous l’avons rencontrée autour d’une bière, le temps d’une discussion entrecoupée d’éclats de rire. Il fut notamment question de musique classique, de Marilyn Manson, de Mylène Farmer, de Roger Federer, et d’une interrogation sur le genre humain dans ses différentes facettes.
Jean-Yves pour Scènes Belges : Pourquoi le nom “Sandor” ?
Sandor : Sandor c’est une auteure qui était une Comtesse Hongroise qui a vécu autour de 1850. Elle a été élevée en garçon au sein d’une famille de la noblesse qui espérait donc avoir un garçon. A son adolescence un petit frère est né et la famille a décidé de dévoiler le pot aux roses, ce n’était plus important qu’elle soit élevée comme un garçon. Pour elle ce fut un choc et elle n’a pas voulu arrêter de vivre en garçon. J’avais lu sa biographie, et son histoire m’avait beaucoup touchée. Et puis le nom me plaisait au niveau de sa sonorité esthétique. Et je trouvais ça chouette de prendre un prénom masculin. Et donc ça n’a rien avoir avec le Sandor de Game Of Thrones que j’ai découvert bien après que j’ai choisi ce pseudonyme.
SB : Si tu devais donner un qualificatif à ta musique, ce serait lequel ?
Sandor : Personnellement je n’aime pas me mettre dans une case et me catégoriser. C’est aussi une manière de garder un peu de liberté. Mais ce que j’ai entendu le plus souvent c’est “pop synthétique”. Je suis assez d’accord avec cette description. C’est clairement de la pop avec des influences synth-waves.
SB : Quels sont pour toi les plus grandes influences dans ta musique ?
Sandor : A la maison quand j’étais gamine, on écoutait essentiellement Serge Gainsbourg, du jazz et du classique, un peu de musique de Mai 68, ma mère aimait bien ça. Pas mal de chanson française aussi avec des artistes comme Véronique Sanson et Michel Berger. Et je pense que ça a pas mal influencé ce que je fais aujourd’hui. La variété française au sens noble du terme. Étrangement depuis quelques semaines j’entends qu’on me compare à Mylène Farmer, et j’en suis ravie. Quand je l’ai découverte je devais avoir sept ou huit ans, les intros me faisaient un peu peur, avec des pleurs de bébés, des mélodies tordues, des dissonances. C’était l’époque d’ “Ainsi soit-je” et de “L’horloge” avec un texte de Baudelaire qu’elle avait repris. Il y avait un truc un peu sombre que je trouvais hyper subversif et ça m’a plu. A part ça j’ai aussi écouté énormément d’hard-rock des années septantes : Deep Purple, Led Zepplin, ACDC.
SB : Mais finalement pas beaucoup d’électro ou de musiques où l’on retrouve des synthés ?
Sandor : J’ai beaucoup écouté Nine Inch Nails et Marilyn Manson, ce genre de truc où il y avait déjà un peu cette influence des synthés même si effectivement c’est dans la variété française que je suis allé les chercher ces synthés. Aujourd’hui j’aime et j’écoute beaucoup la cold wave, mais ce n’est pas quelque chose que j’ai écouté dans ma jeunesse.
SB : Qu’est-ce qui fait qu’à un moment dans ta vie tu te dis “je vais faire de la musique” ?
Sandor : Plusieurs choses je pense : on écoutait énormément de musique chez moi, mon père était saxophoniste, il y avait pas mal d’instruments à la maison. J’ai très vite commencé à jouer de la guitare, qui est mon instrument de prédilection aujourd’hui. J’ai eu la chance qu’on me mette tout plein de possibilités dans les oreilles et dans les mains quand j’étais enfant. J’ai clairement évolué dans un environnement qui a favorisé une ouverture sur le monde de la musique, c’est comme ça que j’ai une formation de guitariste aujourd’hui. Pour le chant et l’écriture j’ai fais ça de manière autodidacte. Et je compose aussi sur des claviers, mais je n’ai pas de formation dans ce domaine là, donc je sais que ma technique est loin d’être parfaite.
SB : Auteure , compositrice et interprète, tu es seule à bord du navire ?
Sandor : Presque, je ne fais pas les arrangements. J’ai principalement collaboré avec Jérémie Duciel. Il a aussi réarrangé les morceaux pour les lives. D’ailleurs il est sur scène avec moi, et il y a aussi un bassiste. Donc je ne suis pas tout à fait seule dans cette aventure. Mais c’était important pour moi d’être à la direction des opérations dans la composition. Sandor c’est l’expression de mon monde intérieur.
SB : Le processus créatif, il fonctionne comment chez toi ?
Sandor : En général je commence par écouter longtemps d’autres musiques : instrumentales, de films ou classiques, Bach et Mozart principalement. Ce sont des musiques qui me portent, et en les écoutant les textes me viennent en général. Et ensuite seulement je les mets en musique.
SB : Dans tes textes il y a des mots qui sont durs, sombres et désabusés sur les relations humaines et amoureuses. C’est toi ou c’est un personnage que tu incarnes ?
Sandor : C’est moi. Mais c’est le monde sombre qu’on peut avoir à l’intérieur de soi. Je ne vis pas dans cette désespérance au quotidien. Je suis très heureuses et épanouie dans ma vie, mais mes inspirations viennent aussi des souffrances que l’on peut rencontrer. C’était une forme d’exutoire où je n’avais pas envie de faire de compromis sur les mots. Le but n’était pas de faire des chansons réconfortantes. J’ai plus jouer le jeu du réconfort sur le son et la musique en y donnant une certaine chaleur, une certaine rondeur, presque romantique. C’est ce que je souhaite de plus pour cet album, même si il y a effectivement un côté désillusionné.
SB : Mais alors c’est quoi le plus facile : écrire quand on a mal ou quand on va bien ?
Sandor : Largement quand on est sur une pente descendante (rire). C’est une source d’inspiration plus grande parce qu’on est dans l’introspection dans ces moments là, alors que quand tout va bien on ne se pose pas de question. Tout cela est très autobiographique. Mais il est intéressant aussi de se plonger dans d’autres vies que la sienne. On peut être très touché par ce qui arrive aux gens autour de soi. J’écris en “je”, mais c’est un “je” plus libre que ma seule personne. J’aimerai que les gens puisse rattacher ce “je” à leur propre vécu.
SB : Il y a aussi un côté “lutte identitaire” sur la place de la femme dans la société et sur la question du genre dans tes textes ou je me trompe ?
Sandor : Oui effectivement. Je pose beaucoup la question du genre plus que la question de “je veux être une femme” ou de “comment être une femme dans la société ?”. Le féminisme ce n’est pas forcément considérer que les femmes sont fortes. C’est là où est l’erreur souvent. On peut très bien être une femme sans être une “warrior”, et ça ne fait pas de la personne une demi-femme. Quand j’étais enfant j’avais vu des travestis hyper lookés et extravagants au Danemark, et j’étais restée bouche-bée. Mes parents m’avaient alors expliqué, sans jugements, qu’il y avait des gens qui naissent dans un corps qui ne leur correspond pas. Du coup je me suis questionnée sur moi-même à ce sujet, et sur le fait qu’attribuer certaines choses aux hommes ou aux femmes n’avait aucun sens. D’où Sandor.
SB : Ce premier album qui est sorti, il représente quoi pour toi ?
Sandor : C’est un rêve d’enfant, c’est plus qu’un aboutissement c’est une consécration. Je ne sais pas par quel miracle tout dans ma vie s’est mit en place pour que je puisse arriver à sortir un album. Certainement que j’y ai participé (rire). Mais c’est quelque chose de longue haleine et je pense que ça se construisait en moi depuis l’enfance. Un premier album c’est assez incroyable parce que c’est un recueil de tout ce qu’on a pu faire. Ca pose la base pour la suite aussi. Mon idée ce n’était pas de le vendre, ce que je voulais c’était faire de la musique et la partager. C’est un peu égoïste, mais le jour où j’ai pu mettre pour la première fois l’aiguille de mon lecteur sur mon disque c’était une immense émotion. Pour moi, faire un disque c’est tenir un vinyl dans les mains même si j’ai bien conscience qu’à l’heure actuelle ce ne sont pas les supports physiques qui se vendent le plus. Le streaming prend le dessus sur le marché, le système de redevance qui en découle est encore en train de se mettre en place, dès lors pour vivre de la musique ça doit passer par les concerts.
SB : Du coup, la scène c’est la finalité de tout le travail en amont ?
Sandor : Clairement. De toute façon c’est que j’aime dans la musique. C’est tellement grisant même si c’est épuisant et que ça rend fou. Et pourtant je souffre et je flippe à chaque fois (rire), je me demande pourquoi je m’inflige un truc pareil, je me dis que je suis folle et que je pourrai être tranquillement chez moi. Mais ça rend complètement accro parce qu’il y a une telle reconnaissance qui vient. Il y a une tournée qui est en train de se construire à travers la Suisse, la France et la Belgique. J’avais déjà joué sous le chapiteau aux Nuits du Bota et en première partie à la Rotonde et l’endroit est génial. En Suisse les gens écoutent très attentivement mais ils sont assez réservés pendant les concerts, en France ils se manifestent beaucoup mais on est jamais sûr qu’ils écoutent (rire), et en Belgique j’ai l’impression de retrouver les deux, c’est très agréable et ça fait plaisir. Il y a une vraie ouverture et curiosité chez vous.
SB : Dans le clip de “Bar de nuit” tu allies la musique et la danse. Est-ce tu aimerais concrétiser cette alliance sur scène dans le futur ?
Sandor : Oui complètement. Je ne suis pas danseuse mais je suis toujours tentée de prendre des danseuses et des danseurs sur scènes. C’est vraiment quelque chose que j’aimerais bien réaliser. Maintenant c’est vrai que la question financière me bloque un peu pour l’instant.
SB : S’être retrouvée à l’affiche de festivals aussi réputés que Paléo et les Transmusicales de Rennes ca fait quoi ?
Sandor : Pour Paléo c’était complètement fou. Quand ma bookeuse m’a dit qu’on allait faire Paléo je suis tombée de ma chaise. Tous les gens que je connaissais étaient là en plus. Ca a été un des moment les plus intenses de ma vie mais c’était génial. Et les Transmusicales c’était pareil, c’était le 6ième concert de ma carrière. Ca m’a ouvert énormément de portes pour la suite. Ca a été vraiment une étape importante.
SB : En Belgique il y a un complexe de reconnaissance et de réussite artistique qui consiste à devoir avoir du succès en France pour être pleinement reconnu au pays. On retrouve le même phénomène en Suisse ?
Sandor : Moi j’ai de la chance parce que j’ai été soutenue très fortement par les radios en Suisse avant qu’il ne se passe quoi que ce soit en dehors des frontières. Mais c’est vrai que le fait d’avoir été diffusée sur France Inter et d’avoir été mise en avant par Les Inrocks ça a donné un sérieux coup d’accélérateur en Suisse aussi. De toute façon en Suisse à part Roger Federer il n’y a pas de stars (rire). Et je pense qu’un artiste Français en Suisse aurait un accueil bien plus chaleureux et enthousiaste qu’un artiste Suisse. Il y a donc peut-être un complexe oui.
SB : Ton dernier coup de cœur musical ?
Sandor : Angèle avec son titre “Jalousie”, et puis aussi les Belges de Rive avec le titre “Vogue”.
SB : Le Meilleur concert de ta vie ?
Sandor : Marilyn Manson aux Arènes d’Avanches en Suisse. Je devais avoir 17-18 ans et j’étais restée sidérée. Il y avait des associations catholiques qui étaient présentes devant l’entrée pour décourager les gens d’aller au concert. Et Les Rita Mitsouko au Paléo aussi.
SB : Ton titre culte ?
Sandor : Gainsbourg avec “Elisa”. Cette chanson me fait penser à mon père.
Pour rappel, l’album éponyme de SANDOR est sorti à la mi-avril. Il est disponible aussi bien en CD qu’en vinyl, mais aussi sur les plates-formes de téléchargements et de streaming habituelles ! Et on nous glisse dans l’oreille qu’un concert au Botanique se prépare pour le mois d’octobre de cette année.
Site officiel : http://sandormusic.com/
Spotify : http://open.spotify.com/artist/2Ol0LbhtdJCLpdZBf2jS7Q
Deezer : http://www.deezer.com/fr/album/82944662