N’est-ce pas un comble, pour un artiste, de perdre la pleine exploitation de son appareil auditif, au point de plonger dans un silence qui nous a semblé éternel ? Un silence de 4 ans, brisé aujourd’hui par celui qui collectionne les collaborations grandioses. C’est Le Motel, le producteur définitivement adopté par la scène noire-jaune-rouge (et pas que !) qui l’a « sorti du trou », et pour ça, on l’aime encore plus. Veence Hanao est de retour avec « BODIE », et qu’est-ce que ça fait du bien. On fait le point sur le concert de samedi dernier à l’Ancienne Belgique, un concert empli d’émotion, de poèmes chantés, de rap mélodieux, et une production collective qui fonctionne…
C’était donc samedi soir, et j’ai assisté, pour la première fois de ma vie, à un concert de Veence Hanao. J’avais entendu tellement d’éloges sur son concert intimiste au Grand Salon durant Les Nuits 2018 que je n’ai même pas hésité deux secondes à prendre mon ticket. Quelques potes sous le bras, j’ai débarqué dans cette salle étoilée qui fut la porte d’entrée d’un monde onirique partagé par les centaines de fans présents ce soir-là. La salle est pleine mais on n’étouffe pas, paramètre non négligeable pour passer un bon concert. Ça sent bon la bière, des sourires s’étalent sur les visages, il y a des mains dans des mains, des ados, des solitaires, des potes déjà enivrés, des messieurs grisonnants, et même… la maman de Veence Hanao. C’est sûr, il réunit tous les publics.
Et puis ça y est : il arrive sur scène et, après une magnifique mise en bouche – « Parking », chanté d’une seule voix avec un public déjà conquis -, il nous confie n’avoir jamais osé rêver jouer un jour sur la grande scène de l’Ancienne Belgique. « Veence, et si on tentait l’AB à l’automne ? », lui a lancé, il y a quelques mois, son ancien manager, Nicolas Renard. « Euh attends, quoi ? T’es sûr ? ». La salle s’emballe, Le Motel sourit, Veence s’en nourrit. Ça commence bien, j’ai déjà des papillons d’émotion.
Vous êtes blindés, putain !
Ça le faisait donc flipper d’être là, de retour devant un public affamé, totalement en manque. Il rappelle les soucis de santé qui l’ont éloigné de la musique, et nous remercie d’être là. Ça y est, l’aveu de ses faiblesses me rend encore plus sensible pour la suite, well done !
Mais il a juste assuré. Sa dégaine parfois « thug » laisse immédiatement entrevoir une belle sensibilité, amplifiée par ses poésies chantées, parfois murmurées ou à peine soufflées, mais toujours intensifiées. Veence Hanao raconte, et indéniablement apprivoise une foule mélancolique pendue à ses lèvres. Car elle était là, la foule, ce samedi soir à l’AB, présente et compacte, bruyante mais attentive, buvant ses paroles entre deux gorgées de bière. Et, directement, il crée sa propre ambiance ; parfois, de l’intensité de sa voix se raconte un mal-être, des angoisses, un amour trahi, ou même l’atmosphère glauque d’un parking. Tout au long du concert, il nous anime ou provoque en nous une colère douce, presque paisible, entre les images fortes d’une manifestation contre la guerre en Irak et les passages puissants de « Lexomil » (la première collab’ avec Le Motel), puis il nous titille aussi : « Le public de Liège faisait des pogos sur ce morceau. Je dis ça… »
Et puis bam, le Bruxellois nous entraîne dans un slam émouvant, torturé, à la seule lueur d’une ampoule qui flotte dans les airs. Le public, que je voyais danser depuis le début, s’était tu d’un coup, comme happé par le flow de sa prose, laissant une gorge sèche et des boules au ventre. J’ai même aperçu quelques larmes. C’est aussi ça, Veence Hanao, le transfert du rythme de ses morceaux sur nos émotions en transhumance. On a même eu droit à une percée dans son intimité familiale avec un diaporama en accéléré. Il illustrait « Asphalte », la chanson la plus autobiographique de l’album.
Mais ça ne dure pas, il nous détend à nouveau, nous fait danser sur ses morceaux les plus connus, « Les Moineaux » ou « La Jungle », en invitant sur scène, comme Grand Final, une bande d’animaux au déhanché prometteur.
Veence a pris plaisir à remuer le passé, avec des morceaux tels que Kick, Snare, Bien, Chasse & Pêche,… Il remonte même jusqu’à Midi Pile, sorti en 2007, morceau que l’on retrouve sur le projet commun avec Noza (Autumn Vol.1, Vol. 2), autre très grand producteur belge ayant bossé avec Grems, Baloji, Témé Tan et autres pépites. Offerte en exclusivité, la chanson « Samaël » : « Je prends un risque, là, mais allez on y va ». Est-ce qu’il avait vraiment besoin d’approbation ? De se rassurer sur sa nouvelle compo ? Le morceau est acclamé comme jamais. Entre le public et le performeur, le courant passe, celui qui permet l’identification aux textes, et l’émotion. Le public vibre et lui rend la pareille, samedi soir à l’AB. Et partout ailleurs, j’espère !
Il est rappeur ? Il est chanteur ? On ne sait plus, mais on s’en fout car on ne veut surtout pas le mettre dans une case. L’artiste est la star lyrique du soir, perfectionné par les beats parfaits du Motel sans qui ce concert n’aurait pas eu la même saveur, et un VJing saisissant pour illustrer ses mélodies. On pourrait croire que Le Motel est abonné aux oreilles blessées (cfr. Roméo Elvis) ; ça leur réussit plutôt bien.
Crédit Photos : Baudouin Willemart