Veence Hanao a fait son grand retour sur scène ce 1er mai, dans l’intimité du Grand Salon des Nuits du Botanique. Après quatre ans d’absence, le rappeur nous offrait une semaine plus tôt BODIE, son nouvel album, réalisé en collab’ avec Le Motel. On ne pouvait évidemment pas rater ce qui s’annonçait comme l’événement le plus attendu de la scène hip-hop bruxelloise…
« Veence Hanao, c’est meilleur sans la croute », me disait encore hier mon pote Panda, en fin de deuxième apéro. J’ai toujours pas compris ce qu’il voulait dire mais j’aime bien. Ça fait une jolie entrée de papier. Puis je me suis demandé si, en tant que bon affineur qu’il est, il ne faisait pas référence à un vieux fromage à pâte dur dont la croûte incertaine, légèrement piquante, cache un coeur fondant et dégoulinant de caractère… Quelque chose dont la mélancolie amer et un peu rance se déguste dans l’intimité sombre d’un cocon. Ou dans la chaleur du Grand Salon du Botanique.
Veence Hanao bricole à nouveau des p’tites choses
On est en 2014. Veence Hanao plonge le monde du hip-hop bruxellois dans une effervescence rare tandis que Loweina Laurae, son deuxième album, lui promet la route des planchers français. C’est alors que les mots “hyperacousie”, “acouphènes”, “surdité” viennent lui couper les ailes en plein vol. Le 8 septembre, Veence Hanao balance un post Facebook introduit par un fatidique “Game Over” qui fout au terroir rap bruxellois une gueule de bois qui durera plus de quatre ans. Quatre ans à espérer d’abord, puis à se rendre à l’évidence: c’est fini, Veence Hanao ne reviendra pas… Même si sa plume gratte encore de temps à autre les partitions de ces contemporains (Jali, Angèle ou Antoine Chance). Et petit à petit, l’artiste commence à distiller les indices d’un possible retour. Puis cette photo lâchée avec quelques vers sur les réseaux sociaux : des notes de lyrics, posées devant un clavier. Cette fois c’est sûr, Veence Hanao « bricole des p’tites choses en cuisine ». Et c’est à Le Motel – dont le talent a déjà fait son oeuvre (magistrale) aux côté de Roméo Elvis sur les albums Morale et Morale 2 – que l’on doit l’étincelle qui guidera à nouveau les pas de Veence Hanao sur les planchers bruxellois.
Et me voilà quelques mois plus tard. Le vinyle de BODIE, ce troisième opus que l’on n’attendait plus, réalisé à quatre mains avec Le Motel, git sur le coin de mon lit. Je crois que j’ai dormi avec. Hier, j’ai vu Veence Hanao en concert. Putain. Le premier en quatre ans. Ça y est, t’es de retour, mec. Et tu nous es revenu exactement comme l’on t’attendait. Toi et ton objet lexical non identifié.
Veence Hanao en mode ‘song from a room’
Pour son grand retour, Veence Hanao a choisi l’intimité (et la sécurité) du Grand Salon des Nuits du Botanique. Une salle cocoon, sombre, chaleureuse, intimiste, installée dans le cadre réconfortant du Museum. Des coussins et des fauteuils accueillent le public tout autour d’un espace scénique central, gisant à même le sol. Veence Hanao et son acolyte Fab (Le Motel) se frayent un chemin armés d’une lampe torche jusqu’à la table de mixage dont la lueur blafarde des boutons laisse émerger quelques visages de l’obscurité silencieuse. On retient son souffle le temps d’un battement. Une pression lourde s’abat sur la salle. C’est celle qui doit peser sur les épaules de Veence Hanao en ce moment même. Celle d’un public dont les quatre ans d’attentes chargent l’air d’une consistance palpable.
Et sans crier gare, Veence Hanao se jette dans la fosse. Parking déverse dans l’atmosphère l’odeur moite du bitume après une grosse pluie. Et tout s’allège. On se rassure, des sourires penauds s’affichent sur les visages. Des étoiles s’immiscent dans les regards. Dans celui de Veence aussi. On y est, l’artiste nous invite, comme au bon vieux temps, pour une balade dans La Jungle de sa réalité urbaine. Dans les dédales d’une cité qui puise sa beauté brute dans le spleen d’un amour/haine mélancolique.
L’homme est touchant. Son retour sur scène le fait vibrer. Nous aussi. On le sent s’assurer – se rassurer – au fil du concert. Reprendre foi en lui. Peut-être en nous, aussi. On a envie de lui souffler: « Tu vois, Veence, tout se passe bien… Il suffisait juste de revenir comme t’es. Nous, on n’a pas bougé ». Puis il s’adresse à nous. La glace est brisée.
C’est donc ça que ça fait de revenir!
Ceux qui me connaissent un petit peu savent que je flippe ma race de monter sur scène. Vous êtes blindé, vous êtes probablement gentil. Pour la plupart…
Mais là, vous faites juste flipper.
Et j’ai une petite voix dans ma tête qui me dit: peut-être que les gens seront pas là… Mais vous êtes là. Après quatre ans…
J’assiste alors au set – qui fait la part belle à BODIE (Asphalte, Lexomil, Prophétie, etc.) sans oublier de rendre hommage à quelques uns de ses anciens morceaux (Kick, snare, bien…, Chasse & Pêche), voire même de très anciens (Midi Pile) – comme on assiste à l’agitation trouble de la ville à travers la vitre dégoulinante d’un noctambus. Veence nous prend par la main pour nous emmener dans un voyage introspectif. Au fil des morceaux, notre esprit s’interroge sur ces coups d’un soir, sur ces errances de trottoir, ce dernier verre sous les lueurs d’une aurore aux relents de vomi. La textualité pluvieuse, somnambule, de l’artiste nous donne à nous délecter avec nostalgie de notre propre ennui, de nos insomnies, de nos regrets, de nos remords. Même si de temps en temps, ça se termine bien, comme cette histoire d’amour que raconte Mélusine, première romance au dénouement heureux signée Veence Hanao. Morceau qui se conclura d’ailleurs sur un duo d’une grande fraîcheur avec Garance, la demoiselle présente aussi sur l’album.
La mélodie est fragile, diaphane, atmosphérique. Les samples d’antan, plus nourris, plus narratifs, faits de boîtes à musique dissonantes, de mélopées de manège et de conversations de bar, laissent place au minimalisme minutieux de la trap de Le Motel. C’est un coup à prendre. Ça nous avait laissé un léger goût de trop peu à la première écoute de l’album. Mais nous avions tort. Tort de ne pas gratifier celui qui est convoité par le gratin de la scène BX, de Témé Tan à Roméo, de notre confiance la plus totale, tant son art revêt cette capacité extraordinaire de mettre en exergue les flow et les mots. Comme s’il agissait sur les complaintes à la manière d’une caisse de résonances. Les beats sont précis, chirurgicaux, tressent un tapis d’ambiance organique et délicat, sans fioriture. Ils agissent comme une ponctuation, utilise les silences comme des notes, organise les vides entres les syllabes. Et jamais ne s’éloignent de leur mission unique: porter au plus profond de nous les mots et les maux de Veence Hanao.
Le rythme du concert n’oublie pas de soigner sa courbe, en nous offrant tantôt le calme et la plénitude d’un slam à la lueur d’une lanterne, tantôt la montée névrosée et cynique du fabuleux Les Moineaux. C’est donc à un set d’une heure et demi, super équilibré, intimiste et touchant que l’on a eu droit ce soir.
Veence Hanao est de retour, bordel. Et ça fait un bien fou.
Veence Hanao sera en concert le 17 juillet sur la scène de Dour Festival et le 24 novembre à l’Ancienne Belgique.
Pour écouter BODIE :
Streaming : http://hyperurl.co/qyot7b
Vinyle et posters : http://bit.ly/bodie_boutique