Ibrahim Maalouf fait partie de ces artistes qui vivent plusieurs vies. Mais si beaucoup vivent plusieurs vies successives, il réussit l’exploit de les vivre simultanément. Le 25 septembre dernier, l’artiste franco-libanais sortait le même jour deux albums, Kalthoum et Red & Black Light. Benoît Demazy était lui aussi de la partie, il nous livre son ressenti.
Il était en Belgique à l’automne pour défendre le premier sur scène, au Centre culture de Huy. Ce jeudi, c’est à Bruxelles (à l’AB) qu’il a déposé sa trompette, sous les lumières rouges et noires.
Deux albums, deux ambiances.
Si le premier, un hommage à l’artiste égyptienne Oum Kalthoum, voguait entre le jazz et les musiques du monde, « R&B Light » se veut plus rock. Le changement de salle le montre déjà : fini l’ambiance feutrée d’un concert assis, bienvenue dans l’antre bruxellois du rock et de l’électro.
Bon sang ne saurait mentir, la trompette d’Ibrahim Maalouf reste bien entendu l’élément central du concert mais les sonorités lorgnent tantôt vers le rock progressif des seventies, tantôt vers des références plus funky voire vers l’électro. Le mélange des genres est clairement au programme ce soir !
La scène de l’AB n’est pas de trop pour accueillir Ibrahim et ses musiciens : si le concert débute en formule light avec trois musiciens – les excellents Stéphane Galland à la batterie, Eric Legnini au clavier et François Delporte à la guitare -, pas moins de cinq autres musiciens le rejoindront progressivement sur scène, une belle section cuivre avec trois trompettes, un second clavier et un bassiste.
Sans oublier un danseur qui le temps d’une chanson sera le double du trompettiste pour un effet – simple mais efficace – jeu d’ombre chinoise d’où l’esprit de Michael Jackson n’est pas totalement absent.
Habitude dans ces concerts : Ibrahim Maalouf aime parler, expliquer, donner du sens à sa musique. La musique a une signification répond-t-il à un spectateur éméché qui voudrait qu’il se contente de jouer de la musique.
Il nous parle de la genèse de cet album hommage aux femmes de sa famille et par extension à toutes les femmes, du clin d’oeil d’Elephant’s tooth à la ville où sa mère est née, là où tout a commencé.
Le tout ressemble parfois à un joyeux bordel, une fête entre amis où l’improvisation est reine : le show est pourtant rôdé, maitrisé. Ibrahim Maalouf se fait plaisir sur scène, c’est incontestable mais il n’en est pas moins un artiste rigoureux, précis. Il ne maitrise cependant pas tout : comme ce lacet défait à sa chaussure, qui l’empêche de se concentrer sur Nomad’s Lang.
Sur Red & Black, l’hymne des choses essentielles, il met le public à contribution et évoque la collaboration avec Safy Nebbou pour la musique du film « Dans les forêts de Sibérie » qui sortira en juin. L’occasion de projeter quelques images du film derrière les musiciens. Alors que le public est chauffé à bloc par un concert puissant, Ibrahim réussit à faire taire le public en quelques secondes, le temps d’écouter la respiration de Raphaël Personnaz dont la tête apparait en plein écran… avant de reprendre de plus belle la musique.
Il enchaine alors avec une ambiance plus reggae / ska pendant que défile sur le même écran la vidéo « Red & Black Light Project » tournée en août dernier, et dans laquelle il filme des centaines de passants à New York en leur demandant le mot le plus important pour eux.
Les musiciens se lâchent, l’ambiance se veut klezmer. Les instruments de prédilection sont provisoirement abandonnés pour une jam à quatre qui rappelle les tambours du Bronx, une cornemuse fait son apparition, Ibrahim rejoint les trois trompettistes pour compléter la section cuivre… On se croirait quelques instants dans le New Power Generation Hornz de Prince.
C’est la fête sur scène ! L’impression de vivre plusieurs concerts en un seul. Même Beyoncé fait une apparition éclair… du moins sa chanson Run the world, magistralement reprise par Ibrahim Maalouf (et qui avait donné en décembre un clip salutaire à l’époque où l’état d’urgence et la déchéance de nationalité alimentait toutes les discussions).
Les rappels s’enchainent, on sent bien que la joyeuse bande prend du plaisir, comme avec ce final de Ya Hala en version hard-rock.
Mais tout a une fin et c’est avec Lily – comme pour le concert Kalthoum en novembre dernier, histoire de rappeler qu’il y a certes deux albums mais il n’y a qu’un Ibrahim Maalouf – que le concert se termine, hommage à sa fille Lily où le public est une dernière fois mis à contribution.
Et si vous ne savez pas siffler, chantez !
Ibrahim Maalouf sera de retour en Belgique cet été, au Festival les Ardentes le 6 juillet et au Gent Jazz Festival le lendemain – et oui, toujours cette capacité de passer d’un univers à l’autre en quelques heures. Pour les aficionados, un rendez-vous à ne pas manquer sera sans conteste la fin de l’année, avec la fête organisée à l’occasion de ses dix ans de tournée: le 14 décembre à Paris Bercy (Accor Arena). Avec les nombreuses collaborations qui ont émaillé ces dix ans de musique, on ne prend pas un grand risque en disant que des invités prestigieux tels que Oxmo Puccino ou Yaël Naïm pourraient être aussi de la partie.
(Messages aux amateurs de vinyles : Kalhtoum et Red & Black Light sont enfin disponibles en vinyle.)