Barrière de Saint-Gilles, fin de semaine pluvieuse, rendez-vous dans un bistro typique avec un artiste bruxellois emblématique. Marka débarque de Liège où il en répétition, deux pils sur la table, l’odeur des sous bock humides nous plonge immédiatement dans le bain. Une conversation intime, sans fard à l’image de « Days of wine and roses », le dernier album de Marka.

Scènes belges : Tu arrives de Liège où tu répètes en ce moment. Qui dit répétition dit tournée?
Marka : On est d’abord en répétition parce que j’ai changé de bassiste et qu’il fallait qu’on répète pour se mettre au diapason. Des dates, il y en aura dans les semaines qui viennent. Nous serons à Ittre le 29 janvier et à Nandrin le 26 février. C’est le début d’une série de dates. On va parcourir la Wallonie. J’ai envie de reprendre le concept que j’avais développé au 140 lors du concert au profit des associations.

SB : Les associations, parlons-en. On te connait toujours engagé. Il y a eu le projet d’amener des instruments à Cuba, aujourd’hui tu mets en avant des associations qui luttent contre la pauvreté et plus particulièrement qui soutiennent les sans-abris. Qu’est-ce qui motive cette envie de donner de ta personne pour les autres ?
Marka : L’engagement il est en continu. Je suis nanti. Je ressens le besoin de me mettre au service de ceux qui sont dans des situations moins faciles. Ça passe en général d’abord par un contact personnel qui m’amène vers la cause.
En ce qui concerne les SDF, on est à la porte de l’hiver, donc on commence à voir apparaître des sujets dans les médias mais la nécessité est là toute l’année. On pense au froid mais quand il fait chaud c’est aussi difficile. Quand il fait chaud, tu transpires. Quand tu es à la rue, tu n’as aucun accès aux sanitaires par exemple. Donc, même si c’est logique d’y penser quand il fait froid, on doit rester attentif en dehors des périodes hivernales.
Je suis arrivé chez Douche Flux via un ami, Michel Dupont qui aide des SDF depuis quelques années. Il m’avait demandé de venir chanter à un des repas caritatifs qu’il organisait. A cette occasion, j’ai rencontré un couple de SDF et on s’est dit qu’on pourrait faire un clip ensemble. Mon idée était d’afficher les associations en fin de clip. J’ai vu que cela avait une certaine résonance et j’ai voulu poursuivre au travers d’un concert que j’ai donné au 140. J’ai eu beaucoup de chance d’avoir un énorme soutien. Chaque association a reçu 1400 euros. C’est déjà pas mal.
Être engagé, ça me semble normal. Je suis privilégié. Je fais le métier que j’aime, ce métier me valorise mais je veux m’en servir pour soutenir mes engagements. J’ai bien conscience d’agir petitement, que je ne vais pas éradiquer la pauvreté mais je pense que je mets aussi en lumière les associations. On me dit souvent que c’est aussi un moyen pour moi de me mettre en avant, c’est vrai mais en même temps j’ai quand même le sentiment d’agir pour les autres. Et puis, la mise en avant, je pense qu’elle n’est pas essentielle. J’ai mon public fidèle depuis un moment.
Mais je dois aussi être en phase avec le projet. Par exemple, les restos du cœur belges, j’ai arrêté. Je ne comprenais plus les choix artistiques. Je voyais qu’on faisait appel à des artistes français alors qu’on a un tel vivier en Belgique. Je ne cautionnais plus et j’ai préféré arrêter et concentrer mon énergie sur d’autres associations.

SB : Days of wine and roses, ton dernier album comment le décrirais-tu ?
Marka: Ce nouvel album est profondément inspiré des États-Unis. On a cherché une ambiance Western avec une consonance des morceaux des années 60. On a travaillé les voix, on les voulait basses et très masculine, avec des influences d’Elvis ou de Roy Orbison. On a cherché la cohérence. En réalité, on avait assez de morceaux pour faire un double album. Du coup, on a choisi de mélanger des morceaux plus rock et des morceaux plus folk mais on avait toujours en tête cette cohérence. On avait envie d’aller vers une production proche de celle des musiques de film. J’adorerais d’ailleurs faire de la musique de film. J’ai failli un jour mais pour des raisons pas très glorieuses, on a abandonné le projet. Mais c’est dans l’air, je suis vraiment ouvert à ce genre de travail.

SB : Comment a-t-il été accueilli ?
Marka : Cet album, j’ai du mal à évaluer son succès. J’ai eu de très bonnes critiques dans la presse, l’étonnement positif et l’intérêt étaient au rendez-vous ce qui n’était pas gagné vu que je suis dans le paysage musical depuis très longtemps. Je pense aussi que c’est un disque de longue haleine. Comme je suis plutôt un artiste de scène, je pense que le disque va être plus visible pour le grand public. Les fêtes de la musique arrivent, puis ce sera les festivals et j’ai très envie de faire une tournée des centres culturels à la rentrée.

SB : Tu aimerais faire de la musique de film mais tu as un physique très cinématographique, une « gueule », aurais-tu envie de faire du cinéma ?
Marka : Faire du cinéma, j’ai peut-être la gueule pour mais être comédien, c’est un métier en soi. Ma femme est comédienne, je respecte énormément ce boulot. Je ne m’en sens pas capable, comment pourrais-je être légitime ? Parfois, je suis attiré mais finalement je me dis que jouer un rôle c’est aussi prendre un énorme de risque de ne pas être juste. Je suis un interprète dans ma musique, jusqu’ici je ne me sens pas capable de plus. Quand je travaille l’interprétation avec mon parolier, je suis très attentif aux détails.

SB : Cet album est en anglais, comment es-tu arrivé à l’idée de chanter dans cette langue ?
Marka: Avant je travaillais avec le même parolier, Thierry Robberecht, Thierry a eu des problèmes de santé importants au moment où je me posais des questions sur notre travail. La longévité de notre relation a peut-être érodé la magie qui existait entre nous. A ce moment-là, j’avais l’idée de monter un trio et de réaliser un album en anglais. J’ai rencontré lors d’un voyage un ambassadeur, le courant est passé immédiatement, très vite je me suis rendu compte qu’il était un excellent musicien et j’ai eu envie qu’il m’écrive des textes. L’anglais est arrivé comme ça.

SB : On sent en toi une authenticité, un attachement à Bruxelles et à tes origines de ketje et dans le même temps on t’associe toujours un peu à l’image culturelle de Bruxelles, un peu trendy. Es-tu une espèce de go-between entre ces deux univers ?
Marka : Mon père et moi, on a eu une histoire compliquée. On n’avait pas des rapports faciles. Je me suis fait tout seul mais un jour il m’a avoué qu’il croyait en moi, qu’il ne s’en était jamais fait pour moi. J’avais pris ça pour du désintérêt. Je me rends compte que ça a été important ce message. Je sais d’où je viens, d’un milieu populaire, plutôt fermé à la culture. Je suis passé au-dessus de ce manque et j’ai le sentiment d’avoir ouvert de nouveaux possibles à mes enfants. Tous les deux sont dans le milieu de la musique. Je suis fier d’avoir changé la trajectoire que mon héritage me prévoyait. Et ce qui me frappe c’est de voir à quel point mes attentes face à mon père sont différentes de celle de mon fils à mon égard. Il refusait que j’aille le voir en concert alors que j’aurais rêvé de voir mon père dans une de mes salles. Puis, il y a peu il m’a fait un clin d’œil qui m’a montré que j’avais tout de même une influence pour lui. Je crois que je suis attaché à la place qu’on a tant dans la société qu’avec nos proches.

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