Nom de code: L’Artisan. Lieu de règne: Verviers. Dans le paysage fertile et sous-médiatisé de la musique à la belge, nous avons une nouvelle fois déniché une perle, plus urbaine cette fois. MC régionnal, germain sur les bords, géant de sympathie, lyriciste référencé bien ancré dans sa “realness” et ses combats, L’Artisan a répondu à nos questions. Le mystère reste entier mais l’étincelle a germé à l’écoute de son premier EP, “Atlas”. L’Artisan a tout d’un grand, et pas uniquement par sa taille!
Bonjour Sven, ou plutôt L’Artisan. Mais pourquoi ce nom d’ailleurs ?
Tu n’imagines pas le nombre de personnes qui m’ont déjà posé la question. En réalité l’explication est carrément naze, ça vient d’une rime dont j’étais très fier à l’époque : Partisan du travail bien fait/ Appelle-moi L’Artisan s’il te plaît.
Oh déception! (Rires) Mais qui es-tu ?
Un genre de ménestrel du hip hop verviétois.
Un cordonnier du rap français ? D’ascendance germanique ?
Exactement. Un mélange explosif.
[youtube https://www.youtube.com/watch?v=eEYHJAJcwZQ]
Un rap français que tu attaques. Tu parles de singeries ? De défilés de mode ? D’un monde qui tourne autour du fric. Le rap t’a déçu ?
C’est surtout les médias qui m’ont déçu à promouvoir un rap qui fait l’apologie de la violence.
Mais on ne peut pas cantonner un genre musical aussi vaste uniquement à ça. Ce serait comme dire à un fan d’electro qu’on aime bien David Guetta. Parfois j’ai envie de mettre des baffes à certains chroniqueurs qui se croient experts d’un sujet qu’ils ne maîtrisent pas du tout.
Tu as trouvé chaussure à ton pied avec le rap. Mais depuis quand ? Comment es-tu tombé dans ce monde urbain ? Quels sont les artistes, les événements qui t’ont donné envie de prendre le micro ?
J’ai découvert le rap il y a +/- huit ans avec Bushido, Sido (deux pointures dans mon pays d’origine)
et Aggro Berlin (un label berlinois qui n’existe plus aujourd’hui). Le rap français c’est venu beaucoup plus tard. Pour le moment les artistes français qui m’impressionnent le plus sont Youssoupha (pour ses textes), Nekfeu (pour sa technique) et Vald (pour son univers).
Tu proposes un rap ultra-référencé quand même, de Pistorius à la mythologie grecque. Où les trouves-tu ? Comment écris-tu tes textes ?
J’ai un carnet où je note des rimes en permanence. Quand je veux écrire un texte j’essaye de trouver un fil rouge parmi tout ce bordel et pour être honnête la plupart du temps ça part quand même dans tous les sens (mais c’est ça qui est bon).
Tu as le « Swag d’un universitaire », ça change la donne, non, quand on pense que les rappeurs sont souvent vus comme issus de banlieues sans avenir et où ceux qui ont réussi des études sont presque répudiés?
Ce qui fait un vrai rappeur pour moi c’est avant tout sa « realness ». Ça veut dire concrètement qu’un mec comme moi n’a aucune légitimité à jouer le thug (même si je viens d’une ville assez street quand même). En Belgique on a la chance de ne pas avoir de banlieue comme en France où aux Etats-Unis, c’est normal que notre musique n’ait pas pris la même direction.
Tu as aussi exercé au Kot Onu et dans la multiculturalité de Louvain-La-Neuve, ça t’a ouvert les yeux sur d’autres réalités ? Ça a nourri tes textes ?
LLN m’a surtout donné un public et des scènes pour me produire. Ça c’est vraiment quelque chose que je n’oublierai jamais. Après pour ce qui est de l’ouverture sur d’autres réalités c’est pas vraiment là que je l’ai apprise, même si le Kot ONU était une expérience enrichissante. Les étudiants viennent quasiment tous du même milieu social, c’est un monde très lisse. Comme un ami me dit souvent : l’université c’est pas l’école de la vie. Si tu veux une bonne dose de multiculturalité, viens soulever de la fonte avec moi au Basic Fit de Verviers ! (rire)
Dans tes paroles, tu te portes parfois aux nues, second -degré, jeu de rôle ou réel sérieux de ta part ?
Second degré évidemment, je ne me prends pas du tout au sérieux. Ceci dit, l’hyperbole est ma figure de style préférée, du coup parfois je me la ramène pas mal mais il faut savoir lire entre les lignes.
Tu dis n’avoir aucun style sur le beat ?
Ça c’est précisément le genre d’indices que je laisse à l’auditeur pour qu’il comprenne que je ne me prends pas pour un boss. D’ailleurs je le dis dans ‘Autodafé’ : « On m’a dit laisse bé-ton, tu seras jamais une pointure/ L’ironie c’est que mon premier son lui parle de chaussure ».
Atlas, pourquoi ce titre pour ce premier EP ?
Parce que le travail est énorme, comme le monde qu’Atlas doit porter sur son dos (je t’ai dit que j’aimais bien les hyperboles).
À travers tes chansons, tu portes littéralement ta ville sur le dos, Verviers ? Un réel amour pour ta ville ?
Ça tu peux le dire ! Le problème c’est que beaucoup de Verviétois ont une image très négative de
leur ville pour diverses raisons. Ce n’est pas nouveau mais la fusillade entre djihadistes et policiers a énormément tendu la population et les communautés (nombreuses ici) se regardent en chiens de faïence. Moi je ne veux pas laisser quelques illuminés attiser la haine communautaire alors je fais ce qui est dans mes moyens pour lutter contre ça.
Sur ton dernier titre, Renégat, tu es vraiment engagé par rapport aux problèmes de ton propre pays, la Belgique ? Ça te fait peur ? Et la situation actuelle avec les réfugiés ne doit certainement pas t’apaiser ?
Je ne comprends pas comment on peut offrir à des Jan Jambon et Theo Francken des postes ministériels au vu du passé des deux hommes. Honnêtement ça me dépasse complètement. En ce qui concerne les réfugiés mieux vaut ne pas me lancer sur ce sujet, tant on pourrait en faire une deuxième interview. Je souhaite à tous ceux qui s’offusquent de l’arrivée des réfugiés de devoir fuir un jour la guerre et de tout laisser derrière eux. On verra s’ils auront toujours le même discours.
« Quitte à cramer tes chances de te faire engager », il y a une réelle prise de risque ? On te l’a déjà signalé ?
Pour citer le lyriciste bantou: « Qui peut prétendre faire du rap sans prendre position ? » Moi j’ai pris position et elle est claire à 100%. Je n’ai pas peur des conséquences, je ne pense pas aller trop loin dans ce que je dis. D’ailleurs, ça m’étonnerait énormément qu’on fasse un procès à un mc régional comme moi. Je n’ai pas assez d’ampleur pour être dérangeant.
Un premier disque, un peu comme Atlas, il faut savoir le porter, y croire, le concrétiser. Jamais évident quand on est un jeune artiste, si ?
Non tu as raison, je ne m’étais pas rendu compte que le processus prendrait autant de temps… Et il ne s’agit que d’un EP ! Je n’imagine même pas le travail derrière un album. Heureusement j’ai eu la chance d’avoir été entouré pour ce projet.
Tu feras tout ce qu’il faut percer, « avec un mic, une feuille, je vais taffer », il y a d’autres projets en cours ? Atlas ne sera pas un one-shot, il y aura des suites ?
J’espère bien mon vieux. Pour le moment j’écris pas mal, on verra ce que ça donnera mais dans l’absolu j’aimerai bien sortir plus de trucs.
[youtube https://www.youtube.com/watch?v=UJSKf2G31Aw]
Puis, tu es entouré d’une bande fidèle maintenant ? Qui sont MC Baguette et Safino ?
MC Baguette c’est mon beatmaker attitré. C’est également lui qui enregistre et mixe mes sons chez lui. Autant te dire qu’il est plutôt indispensable ! J’ai vraiment beaucoup appris grâce à lui, c’est un musicien incroyable. Il jouait du synthé dans un groupe de rock, Ben and the Saints et ça se ressentdans mes sons je trouve. Il apporte une touche rock à mon rap et c’est ça que j’adore. Avoir un vrai musicien en live est beaucoup plus fun qu’un bête ordi car on peut jouer avec la foule.
Erfan (Safino) c’est un bon pote et collègue mc. Il est pour moi le meilleur rappeur de Verviers et enregistrer un son n’était pas évident vu le perfectionnisme du gars mais au final je me rends compte qu’il m’a probablement donné les meilleurs conseils par rapport à l’art de kicker sur une instru. Erfan, si tu me lis, merci gros !
J’imagine qu’à la sortie d’un premier cd, le soutien des proches, des amis est ultra-important ? Les avis autour de toi ?
Bien sûr le soutien des proches est important mais pour ce qui est de l’avis, je préfère avoir celui de personnes que je ne connais pas car mes potes me valident quoi qu’il arrive. (rire)
Je me souviens t’avoir vu en live, il y a quelques années, tu fais encore des concerts ? Il y a des envies de live ?
J’ai effectivement fait quelques concerts à LLN grâce aux kots-à-projet (Tutmonda deux ans d’affilée, Festival Change Priority, Cabaret du KDH…) mais aujourd’hui MC Baguette vit dans le sud de la France donc c’est plus difficile même si j’ai vraiment envie de refaire bouger le public. Mais il ne faut jamais dire jamais 😉
On ne le dira pas et on te redonnera voix au chapitre, chapeau l’artis…an!
[soundcloud url=”https://api.soundcloud.com/playlists/132060429″ params=”auto_play=false&hide_related=false&show_comments=true&show_user=true&show_reposts=false&visual=true” width=”100%” height=’600′ iframe=”true” /]
Artiste: L’Artisan
EP: Atlas
Tracklist: 1) Intro – 2)Chaussure à son pied – 3) Atlas – 4) Autodafé – 5) Artisans du rap – 6) Renégat
Durée: 14’53”
Autoproduit
Date de sortie: 15 juin 2015
Écoute intégrale et téléchargement libre sur: Soundcloud
Page Facebook: L’Artisan