Hugues Aufray! 85 ans et toujours bonne mine, avec une farandole de chansons qui ont marqué des vies. Des vies de marin, des vies de scouts, des vies d’humaniste. Des vies d’un peu tout le monde. Et c’est à la confluence de ces vies, que l’éternel troubadour a rendu visite au Cirque Royal. En visiteur d’un soir durant pas moins de 2h30 de concert.
Un clocher, une rue, la photo est vieillie, mais sur cette scène du Cirque Royal, l’esprit est bien là. Et puis, fringuant, Hugues Aufray apparaît, seul en scène. Acclamé avant même d’avoir joué un accord, avant même d’avoir dit un mot. Hugues Aufray, c’est un peu le Clint Eastwood de la chanson française, une légende intemporelle, un éternel troubadour, jamais très loin de l’idée de la convivialité d’un feu de bois. À 85 ans bien sonnés, l’homme en fait toujours 20 de moins, avec vitalité, passion et amour inconditionnel pour un public respecté. Un public, qu’à travers ses chansons, il a parfois guidé à travers les peines de la vie. Des peines, Aufray en a aussi traversées, des bonheurs aussi, entre vie publique et intimité. Avec sa tournée Visiteur d’un soir (inspiré du souvenir lointain du magnifique film de Carné), Hugues Aufray se fait homme et se raconte par bribes, pour donner visage à des chansons tellement fredonnées depuis les années 60 qu’elles sont peut-être devenues traditionnelles et qu’on en a oublié l’histoire de leur interprète. Pourtant, la trajectoire du chanteur se lit dans les lignes de ses chansons. “On ne peut pas tout dire dans les chansons. Je vous invite chez moi. Vous êtes mes invités. Et si vous payez, vous savez que sur son nombre d’entrées, l’artiste doit reverser une partie à l’état. Vous pourrez ainsi dire que vous avez participé aux frais d’Aufray.” Éclat de rire.
L’histoire d’un chansonnier apprécié
Appuyé tel un professeur à son bureau, une jambe pliée tel un cowboy, l’enfant de 29 n’a rien perdu de sa malice et de sa vitalité. Il commence à raconter sa vie, son pays de Cocagne au sud du Tarn, l’ancienne gendarmerie devenue sa maison, l’époque des films de Jules Berry et de la délicieuse Arletty. Et le petit gamin qui poussa dans ce paysage, avec ses deux frères et sa soeur. Gamin hyper-gaucher, Hugues Auffray (il n’avait pas encore perdu un “f”) écrit non seulement de la main gauche mais à l’envers (il sera rassuré en apprenant qu’un certain Léonard De Vinci était fait dans le même bois), dyslexique, dyscalculique, dysorthographique et hyperactif. Pourtant, l’élève se révèle habile en équitation et a l’oreille musicale, sans avoir à lire les notes, il reproduisait ce qu’il entendait. Sur foule d’instruments: alto, trombone, clarinette… Et lors des concours, il faisait semblant.
Pas de selfie avec Ava
Mais Hugues Aufray est aussi un enfant de la guerre… des guerres (les suites de 14-18, la guerre économique des années 30, 40-45, l’Espagne…) qui lui ont volé un compagnon… juif pour qui il écrira Petit Simon (“Les étoiles ne sont pas toujours belles, Elles ne portent pas toujours bonheur, Les étoiles ne sont pas toujours belles, Quand on les accroche sur le cœur“), le frère d’une star (Pascale Audret) et d’un physicien célèbre (Jean-Paul Auffray), frère d’un gentil garçon parti trop tôt (Francesco) à qui il a dédié une superbe chanson qui paraîtra sur son prochain album. Il y a aussi ces souvenirs de voyage, St Germain, l’Espagne, l’Italie où Aufray aura la chance, de son petit bistrot, de jouer pour des stars comme Humphrey Bogart, Sophia Loren. Et surtout Ava Gardner qui, un jour, entra dans le bar et le fit fermer: pendant une heure Aufray chanta pour elle. “Je n’ai même pas fait de selfie, quel crétin.” Puis, Jean Reno qu’il croisa au manège du metteur en scène équestre Mario Lurasci. Impressionné par la carrure du bonhomme, Hugues Aufray le salue timidement, ignorant que ce même Jean Reno, petit garçon, lui avait crié un soir de concert de chanter L’épervier.
https://www.youtube.com/watch?v=g7c0503Xe3k
Une vie en chanson
D’anecdotes en anecdotes, et toujours avec fière allure, Hugues Aufray égraine ses succès et les plus beaux titres de son répertoire, tantôt seul, tantôt accompagné des fidèles Georges Augier de Moussac et Max Paul Delvaux. Il y en a des dizaines de titres incontournables. Les choix son judicieux et pertinents, l’enthousiasme reste le même. Pourtant, si Aufray a le corps d’un vieillard que le temps n’a pas marqué, sa voix a changé, s’est enrouée lui rendant les envolées compliquées. Mais quel plaisir d’entendre qu’à l’instar des chevaux de passé et d’aujourd’hui, Hugues Aufray a dompté cette voix plus aussi assurée qu’avant. Et peut-être que justement, cette voix donne plus d’authenticité, d’intensité et de force à ce répertoire riche de plus de 65 ans de carrière. Après chaque chanson, les applaudissements vont bon train d’un public. Un public fait de beaucoup de plus de 60 ans mais dans lequel se sont glissés, de manière non-négligeable, des trentenaires, des quadra. Un peu de tous les âges.
https://www.youtube.com/watch?v=TFOCjRKRiew
Le danger du mal nommer
Plus polémique, le troubadour des temps modernes a aussi pris le temps de parler de philosophie et de programme d’humaniste, plus que de politicien. “Je ne ferai jamais de politique. La politique, c’est gérer l’économie.” Ainsi et aussi parce qu’il a le sentiment de devoir parler et de transmettre ses connaissances, notamment à son arrière-petite-fille, le folkman parle de l’importance de bien nommer les choses, qui lui tient à cœur. “Je plaide pour un ministère de l’enseignement en France. Vous le savez, nous avons l’Éducation Nationale. Mais pas l’Enseignement. Or, c’est quoi l’éducation? C’est physique, ça s’apprend dans la cour de récréation!” Puis contre l’injuste appellation du mariage pour tous. “Ça voudrait dire qu’un frère et une sœur pourraient se marier? Qu’un père et sa fille aussi? Non, il faut bien nommer les choses et non mal les nommer. Je suis pour l’introduction de cours d’étymologie, pour apprendre l’origine des mots à l’époque où les cours de latin disparaissent. Je me souviens avoir été abasourdi devant un petit mec, un enfant qui n’avait pas compris le sens de la démocratie.” Entre temps, les plus réfractaires à ce discours plus d’opinion que moralisateur ont quitté la salle. Comme pour s’excuser – mais de quoi? – Hugues Aufray remet les pendules à l’heure: “J’ai besoin de partager, ne le prenez pas mal. C’est un proverbe indien qui dit: Tout ce qui n’est pas donné est perdu.” Et de nous gratifier de deux de ses plus belles chansons, plus récentes : Les enfants d’Abraham et Ensemble on est moins seul. Magnifiées en live. Et alors que le concert touche peu à peu à sa fin (après près de 2h30!), Aufray rappelle: “Ma carrière – même si je n’aime pas ce mot – a débuté en Belgique avant la France. Vous avez cette sensibilité artistique.” Tout le monde se lève, et le temps est aux bons vieux classiques: Stewball et forcément Santiano. Le frais de la mer, l’Aufray du cœur. Un grand moment avec un tout grand monsieur!