Non, une fois n’est pas coutume, je ne vous ferai pas la critique de l’album du méga-groupe irlandais… D’autres s’en chargeront mieux que moi.
Ce qui m’interpelle, c’est l’alliance entre un vendeur dont la prépondérance n’est plus à démontrer et un groupe d’artistes n’ayant plus besoin de ce coup de pub joliment orchestré.
Nous célébrons en ce 9 septembre 2014 l’officialisation de la disparition du support physique, puisque les 500 millions d’exemplaires achetés par la plateforme iTunes, propriété du géant de l’informatique Apple et mis gracieusement à notre disposition à titre gratuit seront offerts sous une forme numérique non gravée. Le véritable cd sortira dans 5 semaines… Mais qui l’achètera encore, si ce n’est quelques fans inconditionnels ?
Tout profit donc pour Apple, en lutte au coude à coude avec Samsung pour la domination du marché de la téléphonie mobile. Pour obtenir l’album des irlandais, il faut télécharger iTunes, si vous n’y étiez déjà. Et entrer dans le monde “convivial”, mais hystériquement verrouillé, de la marque à la pomme. La sortie de l’album, annoncée le jour de la présentation du nouvel iPhone, s’accompagne d’un puissant calcul stratégique et commercial. Et il m’étonnerait vraiment que la firme de Cupertino ait pour seul but une belle action philanthropique…
Tout profit pour les artistes du groupe: 500 millions d’exemplaires vendus dès la sortie les assure d’emblée d’une meilleure vente que leurs 2 derniers albums. Jadis, les maisons de disques offraient aux disquaires d’acheter des albums en grands nombres, puis de reprendre discrètement les invendus. Un “disque d’or” se calculant sur bases des commandes auprès des distributeurs et pas sur les ventes réelles au public… Une fois l’album “numéro un”, poussé par un puissant battage médiatique auprès de chaines de radios qui diffuseront 8 à 10 fois par jour le titre phare, les ventes s’installeront logiquement. Cela fonctionne toujours, et d’autres mondes, comme celui de la BD, utilisent les mêmes subterfuges. Le nouveau U2 assuré d’être crédité “multiple album de platine” avant même d’avoir été écouté par le premier quidam… Chapeau ! Bien qu’il apparaisse aujourd’hui que ce ne sera pas aussi simple, heureusement. Mais l’impact psychologique est bien là.
Tout profit pour le public ! L’album est gratuit, dans notre société du “tout au rabais”… La bonne affaire ! Effet de la modialisation, le monde internet s’est rué sur le téléchargement de l’album, que l’on aime ou pas U2, d’ailleurs… Puisque c’est gratuit, autant en profiter. La musique, dématérialisée, est devenue un bien de consommation courante, achetée (volée, en réalité, la plupart du temps), consommée, rejetée, puis oubliée pour autre chose… Où est l’oeuvre intemporelle, artistique, culturelle, qui résistera à l’assaut du temps et des modes diverses ? Franchement, vous l’avez écouté cet album ? Pensez-vous honnêtement qu’il prendra place au sein des “10 albums phares, bandes-son de toute votre vie ?”
Mais les autres ?
Quid des disquaires indépendants qui essayent de faire un boulot de qualité, assorti d’un service et d’un conseil, face à l’agressivité commerciale d’Itunes qui détruit encore plus un marché moribond ?
Quid des petits artistes, lesquels réclament une juste rétribution de leurs frais, et ils sont nombreux… ? Quel public acceptera encore de réfléchir à ce qu’englobe un prix face à la gratuité présentée finalement comme une norme ?
Effet de la mondialisation, entrer dans la logique de la diffusion digitale via le net, c’est ruiner la part propre de chaque artiste, et donc, à moyen ou long terme, le tuer, l’erradiquer, l’anéantir, tout simplement ! Il faut actuellement 10000 achats sur les platerformes de téléchargement pour rapporter à l’artiste l’équivalent de la vente de 1000 CD. Ceci équivaut à 100000 écoutes sur les plateformes de type Deezer ou Spotify. A 10 euros par mois l’abonnement, ces diffuseurs ont la cote auprès des consommateurs, et l’artiste ne gagne plus rien…
Les “majors” se sont repliés sur les grosses pointures et se débrouillent pour limiter la fracture numérique. Les petits labels indépendants patinent dans un marché qui a cassé les prix. Et quelques artistes se réfugient sur des plateformes qui assurent encore une répartition correcte des droits, comme Bandcamp, mais sans réelle possibilité de promouvoir leurs productions…
Restent les concerts, où souvent l’organisateur fera un tri sur base d’une audience assurée, au détriment, parfois, de la qualité, de l’éclectisme et d’une certaine mission de mise en avant de la nouveauté. Certaines formations “grand public” ont été de tous les festivals, cet été… On aurait parfois apprécié plus de variété dans les programmations !
Et je ne parlerai pas des effets de la vente sur le web par des géants allemands qui écrasent les prix sur les petits commerçants dans le monde des instruments de musique… Croyez-moi, là aussi, on assiste à un réel désastre !
Internet a accéléré la mondialisation, l’uniformisation, le prêt à consommer, l’appauvrissement culturel au détriment de notre liberté, de nos goûts, de nos choix personnels. C’est ainsi ! Et il faut l’accepter, qu’on aime ou pas cette idée ! Il ne sert à rien de s’écrier que c’était mieux avant. Nous ne reviendrons plus en arrière. A nous de nous y adapter.
Je rappellerai juste qu’il fut un temps où le rock’n’roll était une musique subversive, de révolte, d’opposition. A ce titre, il constitue à ce jour, dans l’Histoire, le seul mouvement culturel ayant eu une influence fondamentale sur l’évolution d’une société. Puis il a vendu son âme au diable. Internet sera sans doute le second mouvement culturel. Dont acte… Requiescant in pace !
Tout cela pour vous dire que le 9 septembre 2014 restera une date historique dans la victoire de la mondialisation, en terme musical. Quant à l’album associé à cet événement, je dirai juste qu’il est très “mainstream”, plaisant mais mou, et que les ex-punks de U2 sont devenus en 30 ans les apôtres de l’ère commerciale d’une pop-muzak bien insipide… Mais je ne m’inquiète pas pour eux: le public suivra, adulera, portera aux nues, puis oubliera… dans un gros mois.