Il faut croire que les Ardentes portent toujours aussi bien leur nom. On aurait pu craindre que la flamme s’essouffle et que le festival soit écrasé par une concurrence trop rude, pourtant les braises continuent après 10 ans à rougeoyer et à enflammer les festivaliers de tous horizons.
Un festival atypique
Le foyer des Ardentes n’est résolument plus le même qu’à ses débuts, depuis maintenant quelques années les nuances electro-rock autrefois dominantes laissent la place à une musique dite « urbaine » (entendez hip-hop, rap, soul et consorts). Nouvelles sonorités, nouvelles orientations scénographiques, nouveaux publics, nouvel esprit… Le cœur incandescent des Ardentes, l’huile qui avive les flammes, se trouve désormais dans cette jeune scène bouillonnante et dans sa capacité à attirer les foules. Mais loin de renier son passé et surtout ses exigences et ses particularismes, le festival garde comme un élément de continuité, ce côté pointilleux et ouvert dans le choix des groupes et dans leur coordination sur scène. Ce souci de proposer, non pas quelque chose qui « va marcher », mais un ensemble de groupes de qualité, où vieilles formations et jeunes artistes se côtoient, rend le tout homogène et particulier à la fois.
Quoi qu’on en dise, le nouveau virage pris depuis 3 ans par le festival était un pari audacieux. Les organisateurs peuvent donc être vraiment fiers que leur travail porte aujourd’hui ses fruits. Avec plus de 90.000 tickets d’entrée vendus, une ouverture toujours plus sensible sur des publics étrangers et beaucoup plus bigarrés qu’auparavant,le festival peut s’enorgueillir de proposer pendant cinq jours une scène urbaine de qualité et presque unique en Europe.
À côté de cet état de fait, pour qui sait faire attention et prêter l’oreille, il est toujours possible de vivre un festival electro-rock aux relents folk à Liège. Je suis parti de mon côté avec dans la tête un planning de concerts peut-être un peu différent de la majorité du public de cette édition 2016, mais qui témoigne concrètement du souci de cohérence et de qualité de l’ensemble.
Voilà ce que cela donne sur le papier. Ambitions et rêves mis à part, qu’en est-il sur le terrain ?
Une expérience toujours repensée
Fort heureusement, le temps chaud et ensoleillé contribua largement à la bonne humeur générale observée sur place durant ces cinq jours de fête. Le dispositif du festival demeure sensiblement identique aux précédentes éditions à cela près qu’on trouve désormais un « village artistique » aux influences urbaines bien affichées (le Wallifornia Park) et une zone de détente “chill” (transats toujours occupés à l’appui). Plusieurs zones ont également été repensées pour cette édition 2016. C’est le cas de la traditionnelle Allée des Saveurs qui était plus longue et plus spacieuse.
D’une manière générale, les services secondaires (toilettes nombreuses, animations entre les concerts, qualité de la nourriture, etc.) rajoutent une véritable plus-value au festival. La qualité générale de l’organisation fait qu’on est rarement pris au dépourvu, déçu ou ennuyé entre deux concerts aux Ardentes.
Reste dans les points noirs la qualité sonore des scènes en intérieur… Étouffée, sans dynamique, sans relief, la retransmission sonore impacte directement l’expérience live. Le problème n’est pas nouveau, loin de là, et je ne peux donc qu’être déçu que cette édition 2016 ne se soit pas plus préoccupée de la question. Les salles des Halles des foires ne facilitent bien sûr pas le travail des ingénieux régisseurs, mais fort est de constater que le résultat en live nuit encore à l’expérience de 2016. Il est toujours difficile de rester sur sa faim et de voir certains groupes sous exploités (surtout quand on a déjà vu tel ou tel artiste sur scène et que l’on connaît ses potentialités).
Le bilan de la récap’ ; veni vidi audi
Le top :
Toujours très professionnel, le Franco-Libanais a offert les premières belles sensations de ces Ardentes. Trompettiste et jazzman de génie, il sait proposer un show généreux et calibré dans les moindres détails.
Toujours très en vogue, le groupe a démontré une fois de plus qu’ils savaient animer une scène et dynamiser un public. Si la scène était peut-être moins “intimiste” que lors de leur dernière prestation aux Nuits Botaniques, le chanteur a pu démontrer une nouvelle fois ses talents de showman malgré des béquilles un brin handicapantes…
Oubliés pendant des années, le groupe le plus typé old school du moment a amené un vent 90’s très rafraîchissantes sur la plaine des Ardentes. Une alliance savante de textes engagés, de voix superposées et complémentaires et des samples imparables. Une très bonne expérience live.
Charles Bradley est un monstre de la soul. Habité et transcendant, le bonhomme vit réellement la musique. Tout chez lui transpire la sincérité, la puissance et le génie. Allié à un groupe très professionnel, le concert live marque indéniablement les esprits.
Point d’orgue de ma soirée du samedi, Dj Shadow impose un concert-fleuve mêlant anciennetés et nouveautés sans jamais faire de faux pas. Les morceaux du cultissime Endtroducing font mouche dans le public tandis que ses nouvelles productions amènent une dimension dansante non négligeable. Un show sonore et visuel solide, avec en bonus ma première expérience des écrans de projection 3D sur toile devant l’artiste. Un réel plus sur ce concert !
Attendu par bon nombre de festivaliers, le duo a délivré une performance solide et tout à fait
entraînante. Alliance d’images et de son très efficace, le tout manque peut-être un peu de naturel et d’authenticité. Reste que les deux compères ont proposé un set éclectique et accessible maîtrisé jusqu’à la corde.
Producteur et DJ danois, Kolsch (qu’on a connu sous d’autres noms – Enur, Artificial Funk, Rune DK ou Ink And Needle – et surtout par son hit Calabria en 2007) a clairement démontré son talent de gestionnaire de dancefloor. Une douce alliance entre house et techno qui surfe sur les émotions et les travaille sans avoir recours trop facilement aux lignes de basses ravageuses. Efficace !
ScenesBelges en parlait encore récemment, Moaning Cities, produit 100% Bruxellois transpirant les influences psychédéliques et folk-rock, s’est invité en terres liégeoises avec l’intention de marquer les esprits. Dans une ambiance caniculaire et sous un chapiteau de plus en plus enfumé, le quatuor a rapidement réussi à faire monter la température d’un cran. Une ambiance irradiante, un sitar au premier plan, des rythmes et des mélodies entraînantes. On leur souhaite un bel avenir.
L’un des concerts que j’attendais le plus. Un univers à part, une musique psychédélique venue tout droit de Suède qui transcende le genre, deux chanteuses en transe du début à la fin… Le résultat sur scène est en toute honnêteté saisissant. La plupart des badeaux qui traînaient devant la main stage à ce moment, n’ont sans doute pas compris ce qu’il s’est exactement passé tant le show était en total décalage avec le reste de la programmation. Danses tribales, instruments étranges, costumes typés africains venus du fin fond de nos fantasmes occidentaux ; le groupe a installé son ambiance dès les toutes premières secondes et a réussi à maintenir l’étrangeté durant toute la durée du concert. Une chose est sûre tout le monde en est ressorti marqué. Pour les amateurs, c’était définitivement un très bon moment de rock psychédélique. Complètement barré.
Kurt Vile, fondateur du groupe The War on Drugs n’en est plus à son premier concert. C’est aujourd’hui un grand monsieur du blues-rock (teinté de folk). Encore trop méconnu, il transpire pourtant le génie, la maîtrise et l’amour de la musique. Fort heureusement pour sa première représentation aux Ardentes, la salle était bien remplie. Je suppute toutefois qu’une bonne partie du public était là par inadvertance au vu du manque de réaction. Bouli Lanners croisé par hasard dans la cohue avoue quant à lui, quelques minutes avant le début du concert, être venu spécialement pour lui. Bien vu, car le chanteur-guitariste-songwriter a effectivement envoyé du lourd.
Guts c’est l’un des meilleurs concerts live que j’ai eu l’occasion de vivre jusqu’à présent. Depuis lors, j’essaie de ne rater aucun de ses passages en Belgique et sa périphérie. C’est une véritable bête de scène. Accompagné par un groupe de plus en plus étoffé, composé de musiciens aux influences diverses qui prennent littéralement leur pied sur scène, l’ancien membre d’Alliance Ethnik développe une musique qui ne laisse personne indifférent. Il est quasi impossible de rester statique pendant son concert, qu’on soit un amateur chevronné de hip-hop ou non. Un des meilleurs remèdes à la dépression, une ode à l’amour et à la liberté, un concentré de good vibes. Merci Fabrice !
Après une première partie réussie de Flume au Palais 12, le jeune touche-à-tout de 19 ans, est venu proposer son électro hypnotique emplie de vocalises incessantes à une foule de fêtards déjà bien éprouvés. Une judicieuse clôture de journée et une bonne découverte.
Jose Gonzales c’est avant tout une voix typée, apaisante et tout en retenue. S’ajoute avec une réelle simplicité (mais avec beaucoup de maîtrise et d’expérience) une musique fine et humble. En live cela s’exprime par des notes effleurées et par une douceur irradiante. Un final comme on aimerait en voir plus souvent.
Les flops :
Mark Ronson. Un gros juke-box, des prises de paroles qui sonnaient un peu fête foraine. Efficace, mais en rien révolutionnaire.
Rone. Arrivé en retard et set décevant. On en attendait peut-être plus vu la pointure du bonhomme.
Pharrell Williams : peu inspiré et venu cachetonner tout au plus. D’aucuns disent que le spectacle le plus impressionnant se trouvait du côté des danseuses…
Avec une édition 2016 toujours surprenante par sa qualité, on attend avec impatience de voir ce que vont nous réserver les Ardentes 2017 !