Il fallait bien tout oublier. Tout autour de nous. Ne plus rien penser et se laisser emporter par le flot musical et deux voix comme taillées et alliées au sein de l’intime perfection. Jeudi passé, les Innocents emportaient le Reflektor dans un voyage de richesse et de singularité.
À l’abri du monde et de ses alertes, qu’il fait bon de regoûter aux joies de l’innocence. Même si elle ne dure qu’un temps. Mais quel temps, à nouveau (comme a chanté une autre qu’eux) en compagnie d’une des plus formidable paire que la musique pop ait connu. Pourtant, c’est vrai, Les Innocents, je ne les ai connus que par procuration pendant longtemps tant ma conscience musicale n’est née qu’au début des années 2000, quand le chapitre se refermait sur les amis de l’autre Finistère. Alors, JP Nataf et Jean-Cri prenaient d’autres chemins de traverses, certes colorés, donnant l’intime conviction à certains qu’on ne les reverrait plus jamais jouer ensemble. Une impression confirmée par les années passées durant lesquelles ces deux-là se consacrent à des projets personnels.
Puis, la surprise, balancée comme un fruit de carnaval, Mandarine paraît et réjouit. L’authenticité est toujours là, le duo n’a pas tant vieilli, et la complicité fait toujours autant dynamite d’humour et de sensibilité. Dans le parterre du Reflektor, comme un seul, homme, la diversité fait âge, il y a des quinquas, des sexas, mais surtout des trentenaires. Des “jeunes” aussi, comme moi. Signe que les chansons et les tubes n’étaient pas si innocents, qu’ils avaient une raison d’être, celle qui a traversé 15 ans sans que le duo n’ait à y joindre ses voix. Mais avant l’entrée en scène de Jipé et Jean-Chri, le public savoure la force de conviction d’un futur Grand… George. Celui qui fait les beaux jours de la scène franco-belge a une fois de plus illuminé les yeux et donné du miel aux oreilles. Grandgeorge, et sa classe au naturel, n’a pas son pareil pour charmer une assemblée par le seul pouvoir d’une voix et d’une guitare. Il y a du Sting, du Charlie Winston, un indéniable sens du rythme. Grandgeorge se trace une voie royale dans la sincérité ultime et sans masque du paraître. Ébouriffé par sa musique ébouriffante, on adore ça!
Quelques minutes plus tard, c’est déjà un autre monde, et les philharmonies martiennes s’installent, durablement. “Tu t’es fait belle, Liège!” trouve JP Nataf, rappelé immédiatement à l’ordre par son compagnon. “Tu tutoies le public maintenant?“ Le duo ne se prend assurément pas au sérieux mais l’alliage vocal de ces deux-là est divin. Commence alors une immersion totale dans l’un des répertoires les plus fascinants de ces 25 dernières années. Et si la part belle est faite aux nouvelles chansons (Harry Nilsson, Des souvenirs devant nous, le magnifique J’ai couru), les anciennes chansons se fondent dans la masse, inusable trésors.
Viles flatteurs, les deux innocents improvisent leurs dialogues avec le public, vantant les mérites de Liège. “C’est notre première fois à Liège, ce serait con de ne pas en repartir! Mais si vous êtes chauds, on part demain à 9h à Boulogne.” Aussi, ils sont loin de se prendre au sérieux, incitant le public à participer. “Vous savez, on n’a que 20 orteils, 20 doigts, deux guitares“. Mais n’hésitant pas à remettre le public sur le droit chemin quand il se fait un peu trop timide. Derrière, c’est la feria, des cris footballistiques retentissent. “C’est l’idée, oui, rigole Jipé, comme des supporters d’…Anderlecht“. Et là, c’est le drame, la soirée avait pourtant si bien commencé… Pourquoi, pourquoi, cette allusion, cette provocation… Mais le barbu sympathique rassure vite: “Mais non, on ne va pas vous la faire, on sait très bien que c’est le Standard ici!” Le temps est à l’amour et Love qui peut, merveilleux single du dernier album.
Mis à part ces moments géniaux de complicité, relativement nombreux, le duo (“Ah ils sont que deux, ils sont nuls” s’auto-critiquent-ils) se sublime dans des arrangements monstrueux et des interprétations pourfendantes de beauté. Et dans la voix de Jipé, cet écrin, résonnent mille influences, jazzy notamment. Mais cette voix-là, elle est monstrueuses capable de passer de Ray Charles à des cris extra-terriens. Mais voilà déjà le rappel, et dans le public, des voix scandent le nom de plusieurs chansons qui n’ont pas encore eu leur place jusque-là. Jodie d’abord, sur laquelle Jipé butte sans se formaliser. “Jean-Chri n’était même pas encore là quand on l’a sortie.” Amusé, l’intéressé (qui ne s’est pas délesté de son magnifique sourire durant tout le concert) rétorque: “Peut-être, mais moi je la connais encore!” Hilarité générale. Une autre étincelle dans un concert qui jamais ne connait de mou.
Et s’il bat de l’aile, c’est pour mieux monter vers le ciel. Tant qu’à y penser à celui-là, lui qui en ce moment se fait plutôt lourd, les deux comparses ne l’oublient pas. Lui et ceux qui l’ont rejoint, un triste soir de concert, un vendredi 13. “Merci à vous d’avoir bravé, comme on va continuer de braver. Bravo, bravons encore longtemps. Ce concert, nous le dédions particulièrement à deux liégeois, Elif et Milko. Vous savez, on ne détient pas grand chose, nous. À part ces armes-là…“ Et les guitares se mettent en route, chasse l’intense émission pour quelques derniers refrains. Ceux d’Un homme extraordinaire. L’air est toujours aussi réussi, entêtant, mais c’est vrai qu’on aimerait changer quelques mots. Ne plus dire qu’on se souviendra de ceux qui commettent un crime… mais de ceux qui atteignent la cime. Comme ces deux artistes qui sans prétention ont prouvé que, quinze ans plus tard, ils sont plus que jamais des géants.
Setlist:
- Les philharmonies martiennes
- Un monde parfait
- Les cailloux
- Des jours adverses
- Harry Nilsson
- Fous à lier
- Raide, raide, raide
- Love qui peut
- Dentelle
- Himalayas
- Sherpa
- Les souvenirs devant nous
- J’ai couru
- Danny Wilde
- L’autre finistère
- Confessions D’un Vieux Serpent
- Colore
Rappel
18. Jodie
19. Lune de lait
20. Le cygne
21. Un homme extraordinaire