Du côté de Liège, l’ambiance est toujours connue pour être fort chaude. Et quand vient le début de l’été, on ne vous dit même pas. Enfin si, on vous l’écrit, tant ce début d’ardentes, avant même que ne commence le week-end, fut incendiaire. En grands noms mais aussi en révélations.
Quatre jours de folies, presque sans dormir, les oreilles au nirvana du mélange des genres, ça s’apprécie, ça se vit aussi. Et après un jeudi fort en r’n’b (on y reviendra sur les belles photos de Natacha Joveneau) qui a vu Starflam assuré un show du tonnerre et faire un malheur et l’attendu (par un public parfois venu de très loin vu l’exclusivité Bénélux du concert) Kendrick Lamar bien faire le boulot et prouver qu’il est bel et bien à sa place dans son statut de jeune prodige et roi du hip hop actuel; voilà arrivé le temps du vendredi. Et le vendredi, tous les festivaliers le savent, tout est permis. Et notamment les grands écarts entre des concerts plus intimes et totalement débordants d’énergie, entre pop et rap de gangsta, du plus petit nom de l’affiche (mais pas des moindres) au plus grand qui s’affiche en strass et promet du lourd.
Et on a à peine débarqué que nous voilà bousculés dans un monde aux milles saveurs, dans une foule hétéroclite et sous un soleil de plomb, de ceux qui donnent lieu à une fête non-stop et bronzée. D’ailleurs, pour notre premier concert, il est temps de se transformer en chercheur d’ombre pour mieux apprécier ceux qui cherchent l’or, le duo bruxellois d’Alaska Gold Rush, sur la scène de l’aquarium. Le monde est déjà au rendez-vous pour écouter ce groupe qui, avec un premier EP, se permet déjà de belles scènes, et à raison. L’esprit américain se ressent dans cette expérience qui convoque les plus grands, de Cash à Williams en passant par Patton. On ne pouvait rêver mieux pour commencer.
Feu! Chatterton, ohhhhhhh ouiiiiiiiiiii
Et alors qu’Hanni El Khatib chauffe la scène open air de son rock aciéré, on reste au vert et dans l’obscurité de l’HF6 pour retrouver ses délicieux cadavres exquis que sont Feu! Chatterton. Nous avions déjà pu être conquis lors des Nuits Bota (lors de leur tout premier concert en Belgique), mais la nouvelle s’était répandue comme une traînée de poudre et dès les premiers accords, c’est une véritable foule des grands jours qui s’est engouffrée dans le bâtiment de la Halle des Foires de Liège. De quoi nourrir la confiance de ce dandy magnifique qu’est Arthur Teboul, égal à lui-même, souffrant sa musique en grimaces improbables et remettant l’interprétation à sa digne et noble place. Feu! Chatterton, ce ne sont pas des chansonnettes gentiment dansante, ça se vit, ça remue. Et quelle fête que de voir un groupe comme ça! OOOOOOOOOhhhhhhhhh ouuuiiiiiiiiiiiiiiiii. Et quel bonheur de voir que nous ne sommes pas les seuls à se les dire, le public est sur le cul!
Mais l’heure tourne, et le concert, trop court, touche à sa fin. Et il est temps de passer d’un temple (celui d’une véritable chanson française et profonde ressuscitée) à un autre, plus psychédélique et plus capillaire aussi. Un éclat de soleil sur une guitare et nous voilà devant le Temples… du soleil. L’occasion de remarquer que les quatre anglais (qui devaient mourir de chaud enserrés dans leurs jeans et leurs vestes) sont décidément irrésistibles.
Mais une autre maestria nous appelle, celle des incontournables BRNS, qui montent qui montent. Deuxième passage aux Ardentes pour les Bruxellois et confiance et gallon sont de mise. Le set est massif, totalement maîtrisé entre grandes envolées. Les cris du public se font entendre, un public hypnotisé par la beauté de ce quatuor magique. Un public qu’il n’est désormais plus rare de voir répéter les paroles du groupe à la patine magnifique. Et ça, c’est déjà une belle victoire pour ce groupe qui se livre corps et âmes à sa musique.
Dury en barman et Rocky s’en bat le boa
Joke s’époumone sur la scène dans un genre qui ne nous plait guère, du coup, on se dirige du côté des songwriters anglais qui ont pris possession de l’Aquarium. Dans des genres terriblement différents, le folkman doux et tendre Tom McRae et cet iconoclaste soiffard (avec un curieux mélange entre bouteille de Jack Daniel’s et une canette de Jup’) et séducteur de Baxter Dury ont su rameuter un large public. Bon, d’accord pas aussi large que pour le mythique De la Soul & Big Band qui a servi aux milliers de festivaliers de l’Open air un cocktail des mieux sentis entre jazz, rap et hi-hop. Le groupe n’a pas vieilli même presque 30 ans (!) après ses débuts à Long Island.
Jusque là, la journée sans fausse note fut vite assombri par le faux pas de A$ap Rocky, arrivé sur scène avec près d’une heure de retard. Se prenant peut-être pour le Kendrick Lamar de la veille, le rappeur a non seulement nié son nom même (“as soon as possible” mais, non, pas vraiment) et a, pour le coup, un peu sous-estimé le public avec un mélo inodore et sans goût. Comme si Rocky s’en battait le boa, dans ce mauvais crochet. Bien loin de l’uppercut promis.
“Disons 20 ans…” et ça nous convient!
Heureusement… nous n’avions pas été jusqu’à l’attendre, préférant prendre la poudre d’escampette et rallier en triple vitesse l’HF6 pour le graal des graal. Un concert de dEUS, ça ne se manque pas. Présageant le grand moment, c’est une foule bien massée qui attendait le Barman et sa fine équipe: mieux valait avoir les coudes solides pour en jouer. Puis, les voilà qui entrent en scènes, sans fioriture, allant à l’essence-même de leur rock si légendaire. Barman prend la parole: “On fête nos vingt et…, disons vingt ans!“. Hé oui, vingt ans, c’est le bon âge, le bel âge, celui qui permet encore toutes les coquetteries et laisse encore un bel avenir devant, des jours heureux. Et ce vendredi en fut assurément un: le baptême de feu dès les premières notes a vite fait place à un délicieux déluge et à une furie inégalable. Bienvenue dans le domaine des dieux, bâti sur les rugissements d’un Tom Barman dans une forme olympique et sur une guitare en haute et due forme de Mauro Pawlowski sur des chansons intemporelles et best of sans plus aucun secret pour les fans… et dEUS… ou plutôt dieu sait qu’ils étaient nombreux dans cette salle ultrabouillante que des pogos sont vite venus chauffer à blanc. Clou parmi les clous du spectacle, un incandescent Instant Street dont le fracas doit encore trotter dans toutes les têtes, aujourd’hui. Du grand art prouvant que d’Anvers à Liège, il n’y a décidément qu’une seule et même rive suivant le flot d’un rock qui fleure bon le belge et la qualité.
Oscar and the wolf, dans un living de milliers d’invités
Bon, on a dit du mal d’A$ap Rocky, tout à l’heure, ce n’est pas bien! On va quand même se rattraper en disant que grâce à lui et son retard, le concert d’Oscar and the Wolf a été retardé. Assez que pour permettre à la foule conséquente revenant de dEUS de ne rien rater du show de Max Colombie. Et quel show! Sophistiqué et brillant, totalement esthétisé. Le sensationnel (et “chelou” pour certains) Max Colombie est arrivé en seigneur d’un electropop absolument émerveillant. Il dansait comme dans son living, le chanteur flamand, sauf que dans ses rondes il entraînait des milliers et des milliers de visages. Un moment suspendu et formidable, une éclipse inattendue.
Bien sûr, la soirée (et même la nuit) s’est prolongée jusqu’aux petites heures avec Paul Kalkbrenner, Lost Frequencies ou l’excellent The Avener. Nous, nous sommes rentrés. Il reste deux jours à tenir et quels deux jours! L’anniversaire des Ardentes est, quant à lui, déjà formidablement réussi.