Petit retour en arrière : le début des années 2000 voyait le rock, un fois encore, renaître de ses cendres et à nouveau débouler dans un paysage musical qui cloturait le pénible chapitre des boys et girls bands. Tout le monde ne jurait plus que par les guitares. Comme toujours dans ce genre de situation, les maisons de disques, qui commençaient à voir leurs ventes physiques royalement se vautrer, surfèrent avec opportunisme sur la vague et tentèrent de récupérer leur part du magot, aussi bien à l’international qu’au niveau local. Le paysage musical francophone n’échappait donc pas à la règle : Indochine balançait l’album le plus rock de sa discographie avec « Paradize », Les Wampas enviaient le portefeuille de Manu Chao et Noir Désir débranchait les amplis, par pudeur et nécessité, laissant un fameux vide sur les terres de la langue française. Quelques groupes (Dionysos, Louise Attaque, Dolly, etc.) installés depuis la décennie passée se voyaient ainsi rejoint par une scène foisonnante et fascinée par l’increvable énergie du rock. C’est ainsi qu’à Bois-d’Arcy, trois jeunes garçons décidèrent de se lancer eux aussi dans l’aventure pour tromper l’ennui de cette citée dortoir située dans la grande banlieue parisienne. Déportivo était né, avec fracas et succès ! Après 4 albums, le groupe appuyait malgré tout sur pause au milieu des années 2010. L’épisode du Covid derrière nous, le groupe marquait progressivement son retour sur scène en 2022 avant la sortie, début 2025, de « Reptile », un nouvel album fidèle à l’ADN du groupe.
Le temps a passé, le personnel aussi (tout du moins partiellement), mais l’esprit est resté identique. Du trio original composé de Jérôme Coudanne (chant-guitare), Julien Bonnet (batterie) et Richard Magnac (basse) ne restent que les deux premiers nommés. Pour partir à l’assaut des scènes, le duo voit le renfort de trois autres musiciens (basse, synthés et guitare). Il faut bien tout ce petit monde pour livrer une généreuse setlist de vingt-six titres en une petite heure et demi. Déportivo a en effet toujours privilégié l’efficacité et l’urgence d’une frénésie hautement électrique dans ses compositions. On ne s’embarasse pas de détours inutiles et le format court est la norme : en deux minutes trentes (Déportivo n’a pas attendu que Spotify en fasse son business model pour adopter cette formule) on balance un texte concis, percutant et nuancé avec un riff accrocheur et une rythmique le plus souvent bien nerveuse et survoltée.
Après la première partie assurée par les Liégeois de Fervents, Deportivo monte sur la scène de l’Orangerie vers 21h. C’est avec le massif « Reptile » que le quintet balance les premiers riffs du concert. Mention spéciale au bassiste qui est un sosie non-officiel d’Arnaud Tsamère. Le chant de Jérome oscille entre rage contenue et interpetation lancinante. Le premier quart d’heure est dans la meme veine, Déportivo allant piocher des titres un peu partout dans sa discographie. D’un point de vue sonore et visuel, l’ensemble a de la gueule, même si on sent bien que tout le monde a pris dix ans dans les jambes, mais pas dans l’esprit qui est resté vif et solide. Biberonnés au son de Nirvana, de Noir Désir et d’autres produits issus de la riche histoire du rock anglo-saxons bien saturé, Déportivo puise également ses influences au sein d’une certaine chanson française où les mots comptent autant que les mélodies (pas chez Lorie ou Wejdene donc). Le groupe se fait alors plus intime avec des titres comme « (L)ego », « Trainards » ou le faussement détendu « J’aurais dû t’en parler ». Déportivo offre également ce soir deux reprises qui font partie des titres incontournables : « La vie ne vaut rien » d’Alain Souchon et le très rock « Les bières aujourd’hui s’ouvrent manuellement » de Miossec.

On vous parlait d’un état d’esprit resté intact, c est aussi le cas dans le public avec une véritable pluie de ballons qui sont balancés dans tous les sens entre la fosse et la scène. Ce genre d’activité récréative n’a rien de nouveau en concert mais par contre il est plutôt rare qu’une heure après le débit du concert, le public soit toujours occupé à taper dans les ballons en prenant un malin plaisir à viser les musiciens sur scène. Un peu plus tard, c’est un pogo qui se forme sur « La Salade » avant une traditionnelle chenille sur « I might be late » et sa melodie jouée de maniere imporbbale a l’aide d’un kazoo. On voit même un festif wall of death agiter l’Orangerie, face à un groupe hilare sur la scène. Le public de ce vendredi soir n’est pas un public nostalgique de sa jeunesse, celui-ci réagissant avec un enthousiasme égal à chaque titre interprété, récent ou ancien.
Au delà d’une approche musicale sans détour, Déportivo fait aussi preuve de profondeur avec le galopant « Intrépide » et sa batterie qui cavale alors que les guitares enchaînent les notes à un rythme soutenu pour appuyer le texte qu’égrène Jérôme, avant un final aussi puissant qu’abrupt. Plus loin dans la soirée, c est une puissante trompette qui fait son apparition sur le titre « A l’avance » avant que « Suicide Sunday part. 1 » et ses airs de reggae gonflé à bloc viennent compléter la palette musicale du soir. En rappel et dans un final tempêtueux, Déportivo enchaîne les deux bombes « Wait a little while » et l’apocalyptique « Paratonnerre ». Le dernier titre s’achève dans les hurlements de voix et de guitares devenues rudement grésillantes.

Cerise sur le gâteau, Déportivo soigne son public avec un stand merchandesing bien fourni et varié à un prix tout à fait abordable. Mais ce n’est pas tout : pour une grosse dizaine d’euros il est également possible de recevoir l’enregistrement du concert du soir. Bien que n’ayant rien d’inédit, la démarche n’en demeure pas un sympathique souvenir pour les fans. Il y a chez Déportivo un petit côté born to loose (le frontman se décrivant lui-même comme étant quelqu’un de laborieux) qui donne la liberté au groupe de s’en foutre puisque qu’il n’y a de toute façon rien à perdre. Sans pression ni enjeux, le résultat est une réussite. Avec ce rock énergique, au premier abord sans prétention pompeuse ou arrogance, Déportivo finit quand même par faire quelques sympathiques fuck bien couillus, avec autant de désinvolture que d’élégance qui lui assurent une bonne place dans le paysage rock francophone.
SETLIST – Deportivo – Botanique – 18 avril 2025
Reptile – Parmi eux – La brise – Roma – (L)égo – Ivres et débutants – Intrépide – J’aurais dû t’en parler – Fiasco – La salade – Révolution benco – I might be late – Alloués – Domino – L’immobilité – Perdu ! – A l’avance – La vie ne vaut rien – 1000 moi-même – Les bières aujourd’hui s’ouvrent manuellement – Suicide sunday (part 1) – Traînards – Rubikscube – Toutes les choses – Whait a little while – Paratonnerre