C’est dans sa configuration « Théâtre » que l’AB nous accueille dans sa grande salle ce vendredi soir. Une place assise est effectivement la meilleure solution pour profiter du concert du compositeur allemand MARTIN KOHLSTEDT. Le garçon évolue dans une sphère musicale néo-classique aux relents électroniques que l’on peut associer à l’univers de Nils Frahm, lui aussi Allemand et maître incontesté du genre. Depuis quelques années, une vague d’artistes s’est emparée de la musique classique en faisant le choix de voler de leurs propres ailes sans pour autant renier l’imposant héritage historique qui l’accompagne. Ces artistes y ont également vu une infinité de possibilités et d’opportunités en y intégrant avec finesse l’électronique et les technologies modernes de la musique afin de transcender le genre. Le public qui se presse à ces concerts est ainsi toujours extrêmmement bigarré et parfois insolite, mélangeant par exemple les habitués du Bozar avec les amateurs de la vie nocturne du Fuse.

C’est sur une scène très épurée que Martin Kohlstedt monte peu avant 20h30. On retrouve un élégant piano à queue, un petit synthétiseur modulaire, une sorte de tableau de bord plein de boutons à tourner dans tous les sens et, au centre, une grosse boîte carrée renfermant de complexes secrets électroniques. Afin de compléter le poste de pilotage, il y a aussi plusieurs pédales d’effets et d’enregistrments qui permettront d’enregistrer des boucles tout au long du concert pour, petit à petit, construire et déconstruire les titres interprétés. Martin Kohlstedt est un véritable artisan des temps modernes, comme un souffleur de verre qui produit de manière infinie un objet aux caractéristiques bien établies, mais à chaque fois différemment. Certains verront cette différence comme un défaut, d’autre comme une singularité rendant chaque chose unique. Dans le cas présent, il s’agit de rendre chaque moment unique. Martin Kohlstedt laisse en effet l’improvisation diriger grandement la direction et le relief du déroulement de ses prestations lives.

Tout au long du concert, placés au premier rang, nous l’avons vu hésiter, réfléchir, poser ses doigts sur un clavier avant de se raviser, être lui-même surpris du résultat de ces tentatives et expérimentations. Nous l’avons vu être dans le doute absolu avant de finalement finir par s’engouffrer avec conviction et fermeté dans une opportunité sonore et mélodique aux airs de révélation, toujours à cheval entre piano classique ou légèrement jazzy et boucles sonores ou synthés électroniques. Il nous a aussi fait sourire lorsqu’il a retiré ses mains de ses machines à la fin d’un morceau avec une attitude corporelle qui semblait dire « voilà c’est bien comme ça », sans en être trop certain malgré tout mais semblant malgré tout satisfait. Il a enfin contraint le public de l’AB retenir son souffle quelques secondes lorsqu’il laissa longuement la dernière note de la soirée s’évanouir, tout en gardant ses mains sur son piano, n’étant lui même pas certain que cette note devait être la dernière, avant de finalement se lever et saluer.

Ce tableau général pourrait laisser penser que nous avons assisté à un concert expérimental, perché, brouillon, décousu voir carrément bordélique ou joyeusement punk. Il n’en fut rien, à l’exception de l’état d’esprit joyeusement punk. Martin Kohlstedt maitrise son sujet et n’a jamais malmené nos oreilles et le sens mélodique des choses. Il évolue dans un cadre large dont il connait les frontières à ne pas franchir, sous peine de voir s’écrouler le fragile chateau de cartes qu’il construit pour chaque titre. L’énergie du moment dicte les choses et cela semble parfois tourner à la lutte interne, quasi-schizophrénique où il tente de faire cohabiter les conventions musicales d’usage et la folie indomptable et inconsciente qui bouillone en lui, toujours à la limite de la rupture. Il en découle une tension ambiante qui tient le public en haleine, ne sachant jamais vraiment quelles couleurs et dynamiques vont prendre tel ou tel morceau. C’est en ça que Martin Kohlstedt se différencie grandement de Nils Frahm : ce dernier laisse également l’improvisation orienter quelque peu ses concerts mais avec une énergie plus calme et sereine. Avec Martin Kholstedt tout fonctionne à l’instinct.

Le concert de ce vendredi soir avait quelque chose de fou et d’imprévisible mais aussi de profondément honnête et humain, rythmé par les forces et les failles qui façonnent chaque être humain. Nous ne nous sommes jamais ennuyé durant la soirée, nous n’avons jamais eu l’impression que l’artiste s’embarquait dans un trip dont il était le seul à avoir la grille de lecture et dans lequel il s’enfermait, bien au contraire. La variété de ce qu’il a proposé, les virages musicaux qu’il a négocié, parfois suprenants, ont retenus toute notre attention durant 2 heures. Martin Kohlsted offrant ainsi un accès à une étrange mais fascinante dimension musicale et du vivant habituellement rendue inacessible dans un monde où tout est maitrisé, expliqué et normalisé. Il évolue comme un enthousiaste (et inconscient ?) funambule sans filet qui s’en va tutoyer les lois de la physique et de la pesanteur, conscient de ses propres excès mais ne s’interdisanr pas d’aller malgré tout là où tout le monde pensait que cela n’avait pas de sens et que tout monde finisse par valider cette audace.

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