Véritable OVNI dans la galaxie du métal et de ses infinis sous-genres, les Français d’Alcest tracent leur sillon depuis plus de 20 ans en continuant à construire et affirmer une identité singulière au carrefour d’influences allant d’un black métal mélancolique à un shoegaze onirique. Le tout est porté par une atmosphère globale tournée vers la lumière, ce qui est plutôt rare dans les méandres des musiques acérées. Après le succès public et critique de l’album « Spiritual Instinct » sorti en 2019 sur le réputé label Nuclear Blast, Alcest est de retour avec « Les Chants de l’Aurore », un nouvel album qui continue à laisser entrer la lumière dans la musique et l’univers du groupe. C’est dans la grande salle de l’AB qu’ Alcest a répandu sa féérie ce jeudi soir, confirmant ainsi le succès et l’adhésion du public à cet univers à part entière.

Il n’est pas 19 heures lorsque les Anglais de SVALBARD ouvrent le bal dans une AB déjà bien remplie malgré l’heure précoce.  Le quatuor emmené par sa guitariste-chanteuse bénéficie de 40 minutes de set avec au programme un post-hardcore aussi massif et percutant que mélodique à ses heures : cris gutturaux (une fois n’est pas coutume, la voix la plus rauque est féminine) et passages chantés s’enchainent avec une batterie qui martèle l’ensemble sonore forcément très électrique sur base d’un fameux niveau BPM. Le son, d’abord un peu brouillon, se fait progressivement plus net et nuancé, bien que la batterie ait tendance à quelque peu faire passer les riffs de guitare au second plan. Cela n’empêche pas les têtes de hocher en rythme dans la fosse. Quelques nappes de synthés aériens et tourmentés viennent compléter l’atmosphère qui oscille entre nervosité brute et évasion mystérieuse.

Place ensuite à l’étrange et imprononçable duo belge de DOODSESKADER. Nous les avions déjà vu au printemps en première partie d’Amenra. Au regard de l’univers sonore ultra-brut dans lequel ils évoluent, on s’étonne quelque peu de les retrouver sur scène avant Alcest. Avec une batterie, une basse et quelques bandes sonores intégrées ci et là dans le set, Doodseskader embarque l’AB dans une mouvementée plongée en eaux étranges et torturées. Le résultat sonore et visuel est aussi déroutant que qualitatif. Les passages presque chuchotés à la frontière de la démence cotoient ainsi les attaques sismiques brutales. Cette masse sonore est accompagnée de projections visuelles léchées et issues de la créativité d’âmes en errance dans de sombres et complexes dimensions de l’existence. Avec la silhouette et la présence physique du bassiste qui n’est pas sans rappeler Gollum, la prestation du duo semble être constamment au bord de la rupture. Et c’est finalement tout naturellement qu’en fin de set, Doodseskader envoie un titre presque rappé et en flamand. On pense alors aux prestations survoltées de gaillards de la trempe de Zwangere Guy ou Roméo Elvis. Mais c’est avec un riff et des sonorités qui nous rappellent le puissant « Here To Stay » de Korn, sorti au début des années 2000 que tout se déroule. L’AB est conquise.

Que ceux qui pensent que le métal est juste un truc de bourrins mal rasés et ayant abolis la profession de coiffeur depuis une décennie tout en vouant un culte absolu à Satan peuvent, soit s’en aller tout de suite, soit prendre le temps de lire la suite. ALCEST fait partie de ces groupes qui mènent la vie dure à ces clichés, même si les longues chevelures sont là. D’ailleurs le groupe a longtemps eu du mal à trouver un écho chez les programmateurs de salles et de festivals : trop métal pour une programmation rock, trop doux pour une programmation métal. Mais avec le temps, le public s’est chargé d’imposer petit à petit le groupe.

Lorsque la scène se dévoile sur le coup de 21 heures, c’est un soleil rougeoyant qui apparait en arrière plan alors que de grands pans de tulle sont suspendus de part et d’autre de la scène. Il y a aussi de grands oiseaux migrateurs situés derrière la batterie, nous plongeant dans la thématique et l’univers de la pochette du dernier album. Sur scène, des petites ampoules aux airs de lanternes sont disposées. Le groupe monte sur scène en toute tranquillité et entame son set avec l’ultra-lumineux « Komorebi », titre d’ouverture de ce dernier opus. Le ton est donné, le set sera foncièrement tourné vers la lumière. Il y a dans ce premier titre autant de puissance que d’élégance. Alcest trouve toute effectivement sa force et sa singularité dans cette capacité à allier puissance de frappe et beauté mélodique. On note d’autres moments clés du concert avec des titres comme « Miroir », « Protection » ou le bien nommé « Souvenir d’Un Autre Monde ».

Alcest plonge l’AB dans un univers fait de douceur malgré l’énorme puissance sonore du quatuor, avec notamment une batterie qui tabasse bien fermement. Les guitares semblent répandre la lumière tout en se perdant en échos. Le chant de Neige (Stéphane Paut – membre fondateur du groupe) alterne entre paroles incantatoires et passages plus hurlés, sa voix semblant perdue dans un monde vaporeux. Avec des titres dont la durée s’en va régulièrement se balader entre 5 et 10 minutes, Alcest construit une véritable atmosphère immersive qui garde l’attentif et reconnaissant public de l’AB en haleine. Il est vrai que nous avons la sensation d’assister à une célébration dont il ne faut pas rater le moindre instant. Les bars d’habitude toujours pris d’assaut dans les concerts à guitares sont ce soir relativement épargnés.

Nous pourrions aller nous égarer dans un infini débat au sujet des adjectifs et des termes qui doivent permettre de classer de manière quasi-scientifique et inébranlable les groupes et artistes de la scène métal. Agir de la sorte reviendrait à infliger une injuste condamnation à la musique d’Alcest tant celle-ci regorge d’influences et d’émotions multiples. La tempête sonore sévit, mais celle-ci est harmonieuse et sereine, chaque note semblant être là où elle doit être. Le titre de cet article fait référence au célèbre réalisateur japonais Hayao Miyazaki car la musique d’Alcest nous emmène dans ces mêmes univers oniriques et étranges où l’innocence et l’imaginaire de l’enfance ouvrent les portes d’un monde parallèle au quotidien du réel. Tout y est déroutant et intriguant sans jamais que l’ombre ne vienne en dicter les règles de cet autre monde. Le fin du voyage s’annonce en douceur avec le titre « L’Adieu » pour conclure le set. Le mec a coté de nous s’exclame alors « et minute ici, pas trop vite hein! ». On est bien d’accord.

Enfin, et pour conclure, il est important de noter qu’à l’heure où la hausse du prix des places concerts ne connait pas la crise, l’AB propose régulièrement des soirées pour les amateurs de métal avec une programmation aussi riche en quantité qu’en qualité. Le tout étant servi pour une petite trentaine d’euros. Ce jeudi soir, nous avons assisté à trois concerts dans des styles et des univers complètement différents les uns des autres et nous avons apprécié cette diversité. Nous avons également constaté que le public de l’AB est toujours plus international et que la soirée proposée à également attirer un proportion de spectateurs plus large que celle de la grande famille du métal.

Setlist – ALCEST – AB – 05/12/2024

Komorebi – L’envol – Améthyste – Protection – Sapphire – Ecailles de Lune Part.2 – Flamme Jumelle – Le Miroir – Souvenir d’Un Autre Monde – Oiseaux de Proie – Autre Temps – L’Adieu

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