Une idée commune veut que la Belgique soit le pays du surréalisme et des paradoxes, aussi bien pour le pire que le meilleur. Les exemples de la vie quotidienne et de l’actualité ne manquent effectivement pas de confirmer cette idée. Et rien ne semble échapper à cette loi quasi-scientifique et immuable qui sévit à l’intérieur de nos frontières, y compris dans l’univers de la musique. Avec VIVE LA FETE, nous avons donc décidé de nous intéresser à un groupe belge venant confirmer cette théorie du paradoxe surréaliste : prenez une ex-mannequin, un ex-bassiste de dEUS qui s’y ennuyait fermement, rajoutez y le coup de foudre entre ces deux-là, faites les habiter à la ferme avec des poules du coté de Gand, collez des paroles légères en français sur une musique synthpop et électro-rock, utilisez leur musique à un défilé de Karl Lagerfeld et vous obtenez le groupe glam le plus euphorisant qui soit. Le succès au Nord du Pays, mais aussi à l’étranger, ne se dément pas, malgré 25 ans d’existence au compteur. Et pourtant cette notoriété reste proportionnellement très faible dans la partie francophone de notre pays.

C’est donc au Hangar 3020, quelque part à mi-chemin entre Leuven et la plaine de Werchter, que nous avons passé notre vendredi soir pour ce concert qui s’inscrit dans le cadre de la tournée anniversaire du groupe. On connaissait les pop-up stores, il y a maintenant le concept de “pop-up eventlocatie” (en néerlandais dans le texte), puisque c’est dans un entrepôt d’une société active dans le domaine de la logistique que la Maison de la Culture d’Herent a installé une scène pour quelques semaines. Des guirlandes de lumières parcourent les plafonds pour rendre le lieu plus chaleureux, alors que quelques draps noirs suspendus ont pour objectif d’amortir l’effet naturel de caisse de résonance du lieu. Simple mais efficace. Le cadre posé, il est l’heure de rentrer dans le vif du sujet puisque “The Beautifull Blue Danube” de Johann Strauss retentit dans les enceintes de la salle. Ce titre de musique classique ouvre en effet les concerts du groupe depuis très longtemps maintenant.

Lorsque cet instrumental s’achève et que le groupe a pris place sur scène (tous vêtus de noir et avec une bande de maquillage noire qui recouvre leurs visages au niveau des yeux), c’est le batteur qui donne le signal de départ en compagnie du claviériste pour “Nuit Blanche”. Ils envoient respectivement une grosse salve de percussions et de couches synthétiques aux sonorités eighties mais bodybuildées de manière diabolique, en forme de rouleau compresseur. Le son de ces synthés est ce qui rend la musique de Vive La Fête unique et identifiable dans la galaxie des groupes tournés vers la synthpop en provenances des années 80. Le bassiste vient rajouter une bonne couche sonore bien vrombissante alors que Dany Mommens, armé de sa guitare et dissimulant son visage derrière sa chevelure noire, multiplie déjà les postures conquérantes tout en envoyant les premières notes aux sonorités curienne (on pense alors très fort au titre “A forest”). Els Pynoo se charge de son coté d’assurer le chant tout en enchainant les pas de danse, sans jamais tenir en place (une véritable galère pour les photographes). Elle allume d’ailleurs le ventilateur placé devant elle dès le troisième morceau.

En plus de cette marque sonore singulière, Vive La Fête se distingue donc par des textes quasi-exclusivement chantés en français. La légèreté est au programme. N’allez pas chercher un texte pompeux et une utilisation de la langue française pouvant permettre de prétendre à un Prix Goncourt. Vive La Fête joue avec la langue française mais sans prétention ni autre ambition que de faire la fête, un peu comme certains titres des Beatles par exemple (oui nous venons bien de comparer les Beatles à Vive La Fête) ou de pas mal d’autres groupes et artiste anglophones. Tout ça n’a parfois pas beaucoup de sens et de profondeur mais l’efficacité est là et les paroles sont reprises en cœur par le public. Et finalement tout ça est assez cohérent avec les influences eighties du groupe, d’autant plus lorsque nous regardons ce que la variété française proposait au cœur de cette décennie. On ne s’étonne donc pas de les avoir vu reprendre “Banana Split” dans le courant des années 2000. Nous assistons aussi à une scène surréaliste durant le concert quand un spectateur néerlandophone interpelle Danny Mommens en français. Ce dernier, néerlandophone lui aussi, lui répondant… en français, tout ça au beau milieu de la Flandre.

Qui dit tournée anniversaire, dit souvent tournée aux airs de best-of. Vive La Fête joue effectivement ce jeu là avec une setlist sans ventre-mou où chaque titre fait partie des nombreux brûlots de leur discographie riche de 9 albums. Le public apprécie, d’autant plus que la setlist permet au groupe de pouvoir aussi bien aller naviguer dans des sphères synthétiques et presque disco mais aussi beaucoup plus rock. Danny Mommens joue de la guitare et il y prend plaisir, surtout lorsque les morceaux lui permettent d’envoyer des riffs bien nerveux pour accompagner les synthétiseurs qui semblent frôler le surrégime. Il chante aussi everybody hates me ’cause I’m rock n’ roll, let’s get high tonight. Parfait pour celui qui mettait le feu à sa guitare avant de la jeter en l’air sur la scène de l’AB en 2007. Ces paroles correspondent donc très bien au personnage glamour, sombre et blagueur à la fois qu’il incarne sur scène mais aussi dans la vie privée, formant un couple de vieux amoureux avec Els Pynoo, aussi passionnés et enjoués qu’à leurs débuts. Les gestes d’affection entre les deux sont courants, comme sur le titre “Mots Bleus”, inspiration et semi-plagiat pleinement assumés du chanteur Christophe.

A l’heure du rappel, Vive La Fête envoie encore quelques tueries (“Maquillage” et “Noir Désir”) taillées pour les dancefloors et les karaokés chauds bouillants. Leur cover survitaminée de “Pop Corn” joue elle aussi son rôle pour faire danser la foule, alors que Danny Mommens y greffe de grandes volées de riffs électriques héroïques et qu’Els Pynoo se charge de maintenir la cadence avec son tambourin, tout en dansant toujours aussi frénétiquement, n’hésitant pas à se lancer dans des jetés de jambes avec une souplesse qui nous rend bien jaloux. Le dernier titre arrive avec “2005” et son entêtante mélodie, alors que la section rythmique s’en donne à cœur joie et sans contrainte. Danny Mommens fait alors un signe aux musiciens pour qu’ils relancent le morceau et pour ainsi faire durer le plaisir. De manière totalement improvisée, le chanteur-guitariste revient ensuite sur scène pour une brève reprise de “Psycho-killer” de Talking Heads. Le public est ravi, Vive La Fête a rempli sa mission : amener de l’euphorie dans un endroit qui ne s’y prêtait pas au premier abord.

Loin de nous l’idée de nous lancer dans un quelconque débat ou dans une obscure théorie communautaire dont la Belgique a le secret mais force est de constater que la curiosité et l’ouverture culturelle semble plus marquée en Flandre, tout en faisant le forcing pour promouvoir les artistes locaux. En comparaison, la partie francophone semble évoluer avec des œillères et continue de se regarder avec admiration dans le miroir, sans trop chercher à s’intéresser à ce qui se fait ailleurs. Il suffit de jeter un œil aux programmations des radios et aux statistiques de streaming pour confirmer cette métaphore doucement caricaturale. Alors qu’ils chantent en français, Stromae et Angèle (et bien d’autres avant eux) rencontrent un succès comparable, et ce indépendamment de la langue parlée par le public. Quels artistes issus de Flandre peuvent prétendre au même palmarès au Sud du pays ? Selah Sue, dEUS, Hooverphonic, Daan et quelques autres artistes peut-être ? Mais ils chantent tous en anglais et leur notoriété y reste malgré tout limitée. Et même lorsque ces artistes, comme Vive La Fête, font honneur à la langue française, la frontière linguistique reste malheureusement le plus souvent imperméable aux sonorités venues de Flandre. Un des albums de Vive La Fête se nomme “Produit De Belgique” pourtant ! Et c’est bien ça que nous retiendrons en ce qui nous concerne, continuant à scruter ce qui se passe au niveau musical aux 4 coins du Pays et en hurlant gaiement “VIVE LA FETE”.

Setlist – VIVE LA FETE – Hangar 3020 – 24 mai 2024

Nuit Blanche – Tokyo – Schwarzkopf – Hotshot – Quatsche – Liberté – Exactement – Mots Bleus – Touche Pas – Machine Sublime – Everbody Hates Me/Shoot Your Shot (cover) – La Vérité – Assez – Jaloux – Maquillage – Noir Désir – Pop Corn (cover) – 2005 – Psycho Killer (cover)

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