En véritable sorcier de la musique électronique, la réputation et le succès de RONE ont depuis longtemps dépassé les frontières de la France dont il est originaire. S’inscrivant dans une démarche créative diamétralement opposée aux dj-entertainers qui dégainent la clé USB dès que le tirroir-caisse peut être facilement renfloué, il se positionne au contraire dans une démarche de défricheur sonore et mélodique. Il trace son riche chemin, suivi par une impressionnante et diversifiée communauté de fans, tout en faisant l’unanimité au niveau médiatique. Après le très réussi et ambitieux “Room with a view”, dernier album sorti en 2020, il a profité du confinement pour retravailler les titres de cet album avec toute une série d’autres artistes aux horizons musicaux parfois très éloignés les uns des autres. Il a aussi composé quelques BO de films tout en s’attaquant à un projet encore plus ambitieux : mettre en scène ce dernier album studio en collaboration avec le collectif de (La) Horde et Le Ballet National de Marseille. Il en a découlé une performance ensorcelante et époustouflante, où la danse contemporaine et les corps font vivre la musique de Rone avec une rage intense et étrange à la fois.

Mais ce soir c’est en solo que RONE est à l’affiche de l’Ancienne Belgique, pour un concert programmé initialement en pleine crise Covid. Avant ça, il y a une première partie dont on attend énormément de choses aussi : CONDORE, projet solo de Leticia Collet qui a récemment accompagné Antoine Wielemans (chanteur de Girls In Hawaii) sur scène. Elle a sorti cette année un premier album aux couleurs sonores sombres et enchantées à la fois, nous rappelant immanquablement l’univers vaporeux et éclairé à la bougie d’Agnes Obel et les delicats tourments sonores de Soap & Skin. Malgré un public plus orienté clubbers et ravers, elle réussit à captiver l’attention du celui-ci, même si sur la fin du set, et alors que la salle continue de se remplir, le brouhaha se fait un peu plus présent. On ne peut cependant que vous encourager à aller découvrir Condore. Nos attentes n’ont clairement pas été déçues et le public s’est laissé captivé, l’applaudissant longuement lorsqu’elle quitte la scène. 

Dans la salle on croise aussi bien des mecs avec des t-shirts de Vitalic ou de Paul Kalkbrenner que d’Amen Ra. Voilà le genre d’éclectisme qui nous rend déjà heureux alors que rien ne s’est encore passé. Inutile de préciser que l’AB affiche complet depuis des mois pour ce concert de RONE et que c’est donc une grande salle bouillonnante qui accueille le bonhomme dans son décor de verre et de plexiglass aux effets de miroirs s’enchevêtrant les uns dans les autres. Le son d’une énorme basse se fait alors entendre à intervalle régulier, résonnant comme un gong. Rone prend place derrière ses machines et tablettes pour lancer les premières notes de “Bye Bye Macadam”, titre phare de sa discographie. Après une longue et lumineuse montée en tension, il déroule le beat du titre, rendant celui-ci aussi hypnotique qu’euphorisant. L’AB exulte pour la première fois de la soirée.

Comme toujours, l’acoustique de l’AB fait des merveilles et permet de diffuser un son aussi puissant que clair, où chaque couche sonore, chaque nappe synthétique trouve sa place avec équilibre. Nos oreilles n’ont donc plus qu’à se laisser porter, et nos corps suivre le mouvement de danse général qui s’est emparé de la salle. Rone n’a pas fait les choses à moitié (le contraire nous aurait bien étonné) puisque le lightshow est chargé, tournoyant et intense. Comme on dit dans ces cas-là : sale temps pour les épileptiques. Mais c’est un régal hypnotique. Le rouge et le blanc dominent, avec parfois quelques incursions plus colorées. Le décor de plexiglass s’anime lui aussi, entre reflets lumineux et projections d’images ou de messages. Le set de ce soir n’a rien de contemplatif, il est clairement orienté dancefloor. Cependant, Rone possède le talent de construire une grosse ambiance tout en prenant le soin de mettre en avant la finesse mélodique des titres joués.

Bien qu’ayant souvent les yeux rivés sur ses machines, s’activant avec ses mains de tous les cotés, il lève régulièrement la tête en direction de la salle. C’est dans ces moments là qu’on voit apparaitre de manière quasi-systématique un large sourire sur son visage, quand il ne se met pas tout simplement à hurler avec une joie communicative. Les choses prennent encore plus d’ampleur lorsque Rone commence à jouer avec un oscillateur d’ondes pour générer du son, lui faisant prendre des postures presque mystiques et incantatoires. Effet visuel garanti.

Le set est mené sans temps mort, à l’exception de l’un ou l’autre passage de transition plus expérimental, plus spatial. Mais la majorité du temps, c’est dans un climat sonore euphorique que les titres s’enchainent. “Bora Vocal” en est l’exemple type, où la musique déroule sur fond de textes aux allures de brûlot philosophique portant sur la nécessité de vivre chaque instant sans concession. L’AB peut exulter une nouvelle fois. “Nouveau Monde” et “Parade” sont d’autres moments forts du concerts. Tout comme l’épique “Babel” qui est joué dans sa version remixée par Maceo Plex. Ce dernier titre a notamment été utilisé par les Pet Shop Boys pour introduire les concerts de leur dernière tournée en date. Et ça en jette, c’est prenant et émouvant à la fois ! Rone insère aussi un remix du titre “Can’t Be” d’Agnes Obel en fin de set : une version aux percussions glaciales, enveloppées par la voix de la belle Danoise.

Rone revient ensuite sur scène pour un rappel apocalyptique, toutes lumières rouges dehors et tournoyantes comme une spirale de fin de monde, semblant célébrer l’atteinte du point de non-retour dans une funeste joie dansante. Il enchaine ensuite sur un titre plus lent mais aux sonorités métalliques et indus, avant de partir dans un furieux final aux accents drum’n’bass. Rone remonte une dernière fois sur scène pour “Origami” avec ses irrésistibles montées rythmiques et mélodiques qui font basculer l’AB dans l’euphorie totale. Rone en saisit l’impact et étire longuement ce dernier titre, dans une sorte d’échange mutuel où les cris de la foule et la musique se marient parfaitement. L’AB exulte une dernière fois, Rone egalement. Le public restera longuement dans la salle à réclamer un ultime rappel, mais le carillon de 22h30 imposé à l’AB a sonné la fin de l’enchantement.

Faire de la musique électronique ce n’est pas juste traiter du son et des rythmes, c’est immerger l’auditeur, le spectateur, le danseur dans un monde imaginaire et émotionnel qui se développe et se construit par la musique. Rone appartient à cette catégorie d’artisans et de sorciers-fous aussi sensibles à la vibration triturée d’une onde sonore qu’à celle d’une bouleversante mélodie qui vous hérisse les poils.

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