Rose est une des artistes françaises qui soulève le plus de réactions lorsqu’on évoque son nom dans les dîners. Attachante pour certains, agaçante et larmoyante pour d’autres, la jeune femme est complexe. Trois albums aux succès différents, trois morceaux de vie tantôt triste, tantôt mélancolique qui lui ont collé une étiquette de bobo nombriliste.
Pourtant, Rose, et son univers musical, quand on prend la peine de s’y attarder révèlent bien d’autres choses. Un patchwork de sentiments, de regards posés, de petits papiers collectés que l’on retrouve au fond d’un sac.
Avec « Pink Lady » son quatrième album, elle revient plus sereine, moins vacillante. Lumineuse et posée. Un très joli disque chic et délicat. Et une très jolie personne.
Scènes belges: Ce dernier album, Pink Lady, est plus rond, plus galbé. On y retrouve moins de « Je » et plus de « Nous ». Était-ce conscient ?
Rose: C’est au fil du travail qu’on découvre ce dont on va parler. J’écris mes albums rapidement. Tous les trois ans, je m’enferme et j’écris. Entre les périodes de création, je prends des notes, sur le monde, sur la vie, sur ce que je lis. Il se passe toujours quelque chose de particulier pendant ces périodes.
Quand je me mets à travailler, je regroupe tout ça, je retourne à ce que j’ai rassemblé et je fais mon puzzle. Parfois, il manque des pièces, alors je les invente. Cette fois, les pièces du puzzle tournaient plus autour du monde, de notre société, de mon couple.
Dans cet album, je me suis trouvée. Au départ de cet album, j’étais encore dans la recherche de moi-même, je ne voyais pas clair mais j’étais rassurée et moins coupable car j’avais confiance dans les choix que je posais. Après cet album, je me suis sentie plus forte, plus apaisée.
SB: Cet album est plus « réaliste » aussi. Pensez-vous que la nouvelle équipe qui vous entoure a eu une influence sur cette couleur particulière ?
Rose: J’avais un souhait, somme toute logique, de m’ancrer dans la logique, le réel. Ça m’a amenée à rencontrer des gens plus carrés. La rencontre avec Pierre Jaconelli a été une évidence. Musicalement, il a compris tout de suite ce que je recherchais depuis longtemps. Jusque-là je n’avais jamais réussi à bien expliquer et le résultat ne me correspondait pas tout à fait. J’avais essayé de la folk, de la variété chic mais je n’étais jamais satisfaite à 100% du résultat une fois le disque terminé. Cette fois, même des mois après la fin du travail, je regarde « Pink Lady » et je m’y retrouve. C’est un sentiment vraiment très fort.
SB: Vous êtes beaucoup suivie par vos fans, ils attendaient avec impatience la sortie de l’album. Quel est votre rapport au public ?
Rose: Jusqu’il y a peu, j’avais l’impression d’avoir perdu quelques affections. Quand on passe de 600.000 albums à 60.000 sur le deuxième, on le vit comme un désamour. Je me sentais mal aimée, sentiment renforcé par mon manque de confiance. J’aimais profondément mon deuxième disque, je me suis raccrochée à lui comme à une bouée, les souvenirs étaient essentiels. J’ai un réel besoin de me sentir aimée, reconnue. J’ai beaucoup souffert à cette époque, je l’avoue.
Le troisième album n’a pas fait son chemin et je le comprends. Les chansons étaient tristes, sombres et mélancoliques à une période où l’on pensait que j’étais profondément heureuse. Je véhiculais d’ailleurs en interview ce paradoxe. J’étais une jeune maman, j’aurais dû être au firmament et je n’y arrivais pas. Cette période a été très difficile à vivre. Ces tourments ont été longs, douloureux.
Et puis, soudainement, peut-être suite à ma psychanalyse, la rencontre avec le père de mon fils, avec ma nouvelle équipe, tout a changé. Je comprends aujourd’hui que j’ai une place. L’image très nulle que j’avais de moi-même s’est diluée. J’ai accepté ce que je considérais comme des erreurs étaient finalement des morceaux de moi. Que j’étais encore en pleine construction. L’inconscient réserve parfois de belles surprises. Le public a une réelle place à mes côtés. Je suis là pour et par lui.
SB: Pouvez-vous nous expliquer les conditions de préparation de cet album qui sont un peu particulières ?
Rose: Ce disque, c’est un cocktail de regards que j’ai accumulés. Je l’ai d’ailleurs créé dans un hôtel, beaucoup au bar. Comme j’ai besoin de m’isoler pour écrire, l’hôtel était pour moi évident. Je travaille dans un lit, avec mon ordinateur, sans personne, sans contrainte. J’aime rester en moi, ne rien laisser sortir de la chambre. Je suis face à moi-même, pas d’artifice, de maquillage, de préparation. J’aime tourner en rond jusqu’à l’arrivée de l’heure de grâce qui livre la chanson.
Dans cet hôtel, peu fréquenté, j’avais l’impression d’être face à moi-même. Bien entendu, je sortais de ma chambre pour ne pas sombrer dans une espèce de folie. Dans les couloirs de cet hôtel fantôme, j’aimais beaucoup me balader, ressentir les choses. Et puis, il y avait un bar, désert la plupart du temps. A force, le barman a commencé à me proposer de nouveaux cocktails, plus u moins classiques. Et le cocktail Pink Lady est né de cette rencontre. Il était un peu à mon image. Visuellement éloigné de ce que son nom pouvait laisser imaginer. Il m’a inspiré la chanson éponyme qui décrit ce sentiment de mélange que je pouvais ressentir, de la distance entre ce pour quoi je peux passer et ce que je suis réellement dans ma tête.
Le disque a été baptisé du même nom car il est un cocktail, un assemblage de goûts, de couleurs.
SB: Vous consacrez une des chansons du disque aux réseaux sociaux et au besoin de reconnaissance qu’ils renforcent chez certains. Quel est votre propre rapport à ces nouveaux modes de communication ?
Rose: Les réseaux sociaux, j’y suis, depuis longtemps. La tendance bobo actuelle de retourner au Nokia de base ne me touche pas du tout.
Je suis très présente, je peux parfois passer une journée avec un ordinateur, je peux regarder la vie des autres pendant des heures mais à ce moment-là, je tire une sonnette d’alerte. J’essaie de me limiter, de me raccrocher à la vraie vie.
La présence de mon fils de quatre ans me pousse aussi à lâcher un peu. Je suis quelqu’un de très addictif à la base, j’ai peu de modération donc je suis attentive à ne pas me laisser complètement vampiriser.
SB: L’album est chez les gens. Vous avez joué en France. Aura-t-on le plaisir de vous voir en Belgique ?
Rose: Rien n’est encore fixé. J’aime jouer en Belgique. Le concert du Botanique il y a deux ans reste un très joli souvenir empreint de sincérité et d’affection. J’aime la bienveillance que je ressens ici.
A la base, je fais ce métier pour la scène. Pour moi, c’est une forme de reconnaissance dont je ne pourrais me passer. Je suis artiste pour être aimée.
Au fil de mes bifurcations professionnelles, je me suis rendue compte que je n’étais jamais heureuse. Je ne pouvais pas tenir, je n’étais pas nourrie. A un moment, on m’a demandé ce qui me rendrait heureuse et la scène est arrivée comme une évidence. Une fois mes craintes mises de côté, je me suis rendue compte que c’était vraiment là où j’avais envie de m’ancrer. Et j’avoue qu’aujourd’hui je pense avoir trouvé ma place.